« Hier un homme est venu vers moi d’une démarche un peu traînante. Il m’a dit : t’as tenu combien de temps ? J’ai répondu : bientôt trente. Je me souviens qu’il espérait tenir jusqu’à quarante. Quand j’ai demandé son message il m’a dit d’un air tranquille : les politiciens finiront tous au fond d’un asile. J’ai compris que je pourrais bientôt regagner la ville. »  Capdevielle

En claquant la portière du camping-car, c’est la première chose que j’ai dit à Asile, j’ai cru devenir fou. Elle m’avait raconté mais les électrochocs, les nouvelles idées que ça provoque et les anciennes que ça débarrasse, excellent.

Elle était venue me chercher à l’hôpital de Rodez. Trois jours auparavant, je m’y étais arrêté dans l’intention de voir le maire. Pourquoi ? Parce que je suis le président et que l’homme, là, en photo, ai-je pointé à l’employée municipale, monsieur Chirac, il a fait son temps et ce sera bientôt moi à sa place. Par la vertu de mon insistance, monsieur Ferdière a fini par se montrer. Assez ! Assez de ce bazar, monsieur le président, je ne peux pas vous recevoir aujourd’hui, je suis de service.

Parce que monsieur Ferdière est aussi directeur des fous de Rodez. Il sait que pour être élu, il ne faut pas seulement être élu. Ni faire le président comme on fait le petit chien. Peut-être qu’un examen approfondi vous sera-t-il plus utile que ma signature, ajouta-t-il dans le camion qui nous conduisait à l’hôpital.

Oui, à partir d’un certain moment, sur le chemin de la magistrature suprême, on passe de l’autre côté du miroir. On le sent. On est moins président que ce qu’on sera et davantage que ce qu’on était. Ce sentiment paradoxal rendrait facilement schizophrène un esprit mal préparé.

Monsieur Ferdière m’a reçu le lendemain. Du repos et des calmants, ce n’était pas de trop. Depuis mon entrevue avec le président Loubet, l’avant-veille à Saint-Denis, l’excitation, la rédaction de mes mémoires, pas moyen de fermer l’œil, j’avais fini par prendre le camping car et filer vers le sud sans m’en apercevoir. Le docteur m’a dit que cette obsession d’être président, il faut voir si ça résiste à l’eau sous pression. Et ils m’ont comme ça, toute la journée, passé au jet d’eau. Mais j’ai tenu bon.

D’ailleurs, c’était bon. Le second jour j’ai beaucoup parlé de l’attitude que je voulais adopter vis à vis de mes rivaux. Pendant ce temps, le docteur approchait une petite cuillère de mes yeux, à m’en faire loucher, et répétait : le président c’est moi, le président c’est moi. Et, inlassablement, je lui répondais : ah non, monsieur Ferdière, vous vous trompez, car c’est moi.

Le troisième jour n’a pas davantage ébranlé la conviction que je suis une fatalité pour la France. J’ai quitté le maire de Rodez en pleine forme, ayant passé le test avec succès, l’esprit dégagé et secoué. Oui, les électrochocs, pour donner une bonne claque à vos habitudes, rien de tel. Et vous pouvez me faire confiance, je suis votre président, ce n’est pas une lubie passagère !

 

Dilgo

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