La semaine dernière, j’ai eu la chance d’aller visiter un bâtiment, avec 22 de mes camarades. Un endroit qui nourrit certains mythes et certaines intrigues, au 57 de la rue de Varenne : l’Hôtel Matignon, lieu de résidence et de travail du Premier ministre. On comprend que le quartier n’est pas banal lorsque l’on sort de la station de métro Varenne : vue sur la Tour Eiffel, sur l’Esplanade des Invalides et ses fameux canons, voitures de luxe telles que Lamborghini, Ferrari et 2 ou 3 Peugeot 206… En tant qu’enfant de la banlieue, j’ai pu remarquer quelque chose de choquant par rapport à mon lieu de résidence : il serait impoli de révéler la moyenne d’âge du quartier, d’après ce que j’ai pu constater. Mais la chose la plus choquante pour moi : aucun Kébab à l’horizon. Après ce genre d’observations, je suis arrivé en face du lieu de résidence actuel de M. Ayrault. Je reconnais la porte que j’observe sur BFM TV quasi-quotidiennement. Grande porte blindée, ouverte furtivement d’où sort en hâte la voiture du Premier ministre sous la cascade des flashes des paparazzi, chahutés plus ou moins violemment par des gendarmes.

Aujourd’hui, l’entrée de l’hôtel est calme. Je pense que c’est dû au fait que les journalistes n’ont pas jugé utile de filmer l’entrée des étudiants de Paris 8 dans la demeure du chef du gouvernement. Un garde est présent, nous regardant d’une cabine identique à celle que l’on trouve au jardin du Luxembourg. J’ai de la compassion pour lui : il semble s’ennuyer fermement, et nous observe, histoire de passer le temps.

Bref, à l’heure prévue, un gendarme sort d’une petite porte sur la gauche. Il vient nous donner les consignes : ne pas pénétrer à plus de cinq dans une petite salle cernée par six policiers, où l’on passe nos sacs aux rayons X. On atterrit dans la cour officielle de Matignon, celle qui accueille les nombreux chefs d’Etats.Voitures dignes de clips de rap. Mon père et sa vieille Xantia peuvent donc retourner à la casse.

Marcher sur les traces de personnes comme Obama ou Giorgo Napolitano, présent deux jours avant notre venue, représente un symbole fort pour un jeune élève de science politique. Dans la cour de Matignon, nous avons été dès lors, encadrés par un homme ressemblant fortement à Jean-Marc Ayrault. Il nous a énuméré ses nombreuses fonctions au sein de « la maison » : animateur (il se charge d’organiser les évènements culturels prévus par le chef de gouvernement et son épouse), conservateur du patrimoine de Matignon et pour couronner le tout, chargé des relations avec le public, d’où sa présence lors de la visite de ma classe.

Bref speech sur la création de Matignon en 1720, bâtiment abritant la famille royale de Monaco (que l’on aurait donc aussi pu appeler « Hôtel de Monaco »). Après de nombreux changements de propriétaire, Matignon est assigné au chef du gouvernement à partir de 1935. Rapide photo de ma promotion à l’endroit même où les ministres font leur « photo de classe ». On entre par une petite porte dans une salle comme celle que l’on voit dans les films. Grande table, couverte d’une nappe rouge avec juste un dossier, un stylo et un micro en face de chaque chaise. Nous sommes invités à siéger autour de cette table, où prennent place habituellement les énarques du conseil ministériel ou les membres du cabinet. Nouvelle présentation de la vie de Matignon.

La chose m’ayant le plus marquée lors de cette intervention d’une demi-heure fut le fait de constater que les membres travaillant à Matignon, quelles que soient leurs idées politiques, peuvent rester en poste 30 ans de suite au sein de l’hôtel (ce qui était par ailleurs le cas de notre guide, fonctionnaire de Matignon depuis 1979). Pour garder ce genre d’emploi, nous avons par ailleurs pu observer l’admirable langue de bois, propre aux politiciens, de notre hôte à la question de notre camarade québécois « quel est le Premier ministre sous lequel vous avez préféré travailler ? »

Nous sommes ensuite passés par une ou deux autres pièces, où, je dois l’avouer, mon attention était partie se balader dans les rues parisiennes. Je me rappelle juste que le guide a évoqué le fait que la salle était identique à son état au XVIIIe siècle. Mon esprit ne m’est revenu qu’après avoir repris contact avec l’extérieur, dans les jardins de Matignon. Grand espace vert, parsemé d’arbres, sous lesquels sont placés quelques bancs. J’anticipe la question : « T’as croisé le Premier ministre ? ». La réponse est non.

Il aurait fait, d’après les dires de certains élèves, une brève apparition au balcon, pour surveiller ce qui se passait dans son jardin, sans s’attarder. On voyait la lumière allumée dans son bureau. Sûrement en train de se triturer l’esprit à tenter de trouver une solution au casse-tête de Notre-Dame-des-Landes. On a par ailleurs obtenu un scoop : par tradition, comme tout Premier ministre, Jean-Marc Ayrault plantera un arbre dans les jardins de Matignon. Notre premier ministre jardinier plantera donc, en cette fun de mois de novembre, un magnolia.

Nous avons enfin terminé la visite là où nous l’avions commencée : dans la cour de Matignon, en train de rassembler avec peine mes 4 euros pour rentrer chez moi, faisant face aux voitures blindées sans prix des hauts fonctionnaires de Matignon. Deux prospectus nous ont été généreusement offerts par la maison.

Nous sortons par la grande porte, sauf que pour nous, aucune agitation, personne dans la rue à l’exception du même policier qu’à l’entrée. Je sais cependant que certains d’entre-nous se voient déjà, dans une trentaine d’années, sortir de ce même édifice, les regards braquées sur eux, assaillis par les flashes des photographes. Ils n’ont pas des « étoiles pleins les yeux » comme les petits enfants, mais des idées dans la tête, une ambition grandissante dans le cerveau.

Tom Lanneau

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