MUNICIPALES 2014. Le Tour de France des villages prend fin au sud du Nord-Pas-de-Calais, au Souich. La petite bourgade abrite 179 âmes, et le scrutin municipal de mars n’est pas anodin : 38% des habitants sont candidats.

Le train ne va pas jusque-là. Le bus, non plus. Il faut prendre un taxi pour ceux qui n’ont pas de voiture. S’enfoncer dans une campagne de champs, étalés les uns à côté des autres. Le taxi dit qu’il ne connaît pas cet endroit, pourtant il connaît ses terres. Il dit que c’est « sa première fois » dans ce village. Le village est discret, au milieu de pas grand chose. Christian, un retraité, situe : « C’est un village qui reste rural avec ses cinq fermes. Sinon, c’est un village-dortoirs pour ceux qui travaillent à Arras ou Amiens ».

La mairie est accolée au cimetière. A l’intérieur, il y a quelques fenêtres. Une table et des chaises qui serviront pour le bureau de vote, dimanche. Une urne qui patiente. François Hollande, punaisé aux murs. Le secrétaire de mairie aussi, là depuis quarante ans. Ils plient les dernières cartes d’électeurs qu’il vient de recevoir et qu’il doit envoyer. Dimanche, 127 inscrits voteront ici, parmi les 179 habitants. Chacun devra choisir 11 conseillers, parmi les 32 candidats. « Le village est vraiment divisé ».

Aux alentours, comme dans plusieurs communes de France, des villages peinent à trouver des candidats, volontaires, engagés. Au Souich, ils seront 32, sur 4 listes différentes, à vouloir atteindre la mairie comme le Graal. « Ça prouve qu’il y a un vrai problème », lance Roland, celui qu’on appelle aussi « la mémoire du village ». Il a tout vu, tout vécu. Il n’a rien oublié. Surtout, il se souvient parfaitement des petits arrangements  du premier conseiller.

En 2003, on propose d’installer six éoliennes sur des terrains agricoles de la commune. Personne ne répond vraiment. Sauf le premier conseiller du maire. L’appel est relancé, un peu plus tard, toujours pour les éoliennes. « Mais ce deuxième appel ne sera jamais communiqué à personne », raconte un habitant. Il poursuit : « Le premier adjoint a gardé l’offre pour lui, sans la partager. Il se retrouver maintenant avec trois éoliennes sur son terrain ». Les éoliennes lui rapporterait « entre 26 000 et 32 000 euros par an ». Ceci explique cela.

Dans une maison, près de ses terrains agricoles, Michel déjeune. Sa famille est là. Ils mangent des pâtes. La télé est allumée. Il se justifie, très simplement : « En 2003, personne ne les voulait, les éoliennes. J’étais le seul à répondre. Depuis, on me soupçonne d’un tas de trucs mais il y a eu des enquêtes publiques ».

Le village redouble, par milliers, d’affaires d’Etat à l’échelle des champs. Un concurrent au maire s’offusque au hasard : « Hier, il y avait un conseil municipal. Et au conseil, il y a un conseiller fantôme qui ne s’est jamais présenté ». Une autre, toujours concurrente : « Le maire est toujours bourré. Il parle très mal à ses administrés ». Et ainsi de suite. A écouter chacun dans son coin, les affaires s’enroulent les unes aux autres pour ne jamais en finir.

Les routes sont terreuses. Le village est calme, sans aucun bruit. Sauf, parfois, des camions aux gros moteurs qui le traversent très fort. Des voitures aussi, plus discrètes. Dans une rue, un peu reculée, il y a la maison du maire, le décrié de quasiment tout le monde. Il tente, tant bien que mal, de défendre son bilan. « J’ai restauré la chapelle ». Une femme, de son côté : « C’est du folklore cette campagne, jamais vue au village ». Pour elle, il y a déjà « 125 votants sur 127 qui savent pour qui ils vont voter ».

Ils auront le choix parce que trente huit pour cent des votants se présentent. Dont William Santerre, principal rival du maire. Il mène une campagne à l’américaine dans un village qui fait une miette de pain. Il fait du porte-à-porte, alors qu’il connaît chacun. Il a imprimé une affiche de campagne, près de la maire. « C’est une première au Souich ». William, derrière des lunettes de rock star, balance : « Je veux retrouver le village de mon enfance ».

Pour lui, comme pour d’autres, le village s’amoche. Les routes deviennent sales. Les fleurs fanent ou disparaissent. Une salle, propriété de la mairie, a été vendue à un promoteur pour 22 000 euros. L’adjoint, Michel, explique qu’elle était désaffectée et que « ça fera un peu plus d’argent pour le budget de la commune ». Les tensions continuent sans jamais se taire. La bataille sera acharnée pour « passer à autre chose après treize ans avec ce maire ».

Autre concurrente, autre combat, autre liste. Elle est maquillée. Elle a les cheveux noirs. Elle parle assez fort, elle dit surtout ce qu’elle veut. Les autres l’appellent « la Parisienne » parce qu’elle y a vécu, en ayant toujours sa maison au Souich « depuis quarante ans ». Pourtant, elle se sent « toujours comme une étrangère, même si je suis arrivée avant eux ». L’intégration est compliquée, jamais garantie dans un village.

Aux élections, Dany a monté une liste de femmes. Neuf femmes. La moitié vit avec des maris qui sont inscrits sur des listes concurrentes. Le mari de Dany elle-même est engagé sur la liste de William. A deux, ils voudraient, par exemple, « refaire danser le village ». Comme avant, quand il y avait des parquets dansants où tout le monde s’amusait. L’ambiance d’une campagne festive et familiale. Et ce n’est pas seulement un rêve. Après les municipales, tout redeviendra possible.

Mehdi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah

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