C’est une embarcation dans un tourbillon. Il faut y entrer et se laisser faire. Se laisser porter par le vent. Il ne faut aucunement résister. Il faut laisser faire le mouvement. François Hollande a décidé de courir le marathon des banlieues, une semaine avant le marathon de Paris. Et nous, nous avons décidé de suer avec lui. La place d’Italie est livide. Le car de presse attend sagement devant le mairie du 13e. Les journalistes et leurs attirails se chargent. Le car déborde. Le car démarre. Une dame du service de presse donne des précisions au micro : « A Aubervilliers, cet après-midi, vous prendrez une petite rue et on vous mettra sur un pont. Comme ça, vous pourrez suivre la déambulation. » Carnet de voyage.

Les Ulis

Le car s’arrête net aux Ulis. Il est 10 heures 13, le quartier a encore les yeux collés. Les matinaux s’entassent au Lidl. Devant l’entrée du magasin, une témoin de Jéhovah regarde le spectacle. Elle témoigne : « Depuis que j’ai lu la Bible, il y a 29 ans, je ne vote plus. » Elle ajoute, illuminée : « Les politiques ne peuvent rien contre la vieillesse, la mort et la souffranc Eux, ils sont limités. » François Hollande s’extirpe de sa voiture. « Hollande, président !  » , cassent la voix de jeunes filles. Le candidat et le troupeau de journalistes foncent, comme des taureaux, dans la Maison pour Tous de Courdimanche. Des femmes l’acclament. Il les embrasse.

« C’est la deuxième journée de la femme de l’année » , sourit une dame. Que ce soit les violences et les inégalités salariales, le candidat tranche : « Mon engagement, c’est l’application des lois. » Il promet un ministère des Droits des Femmes. Applaudissements.  Il promet un gouvernement paritaire. Applaudissements. Il promet de « mettre en place des cours pour aider les parents immigrés, parce que quand on ne maîtrise pas la langue, on devient reclus. » Les hôtes exultent. Une femme, près du radiateur, fulmine dans sa barbe : « Moi, je suis handicapée, je sais que je ne travaillerais pas jusqu’à 65 ans. Et je ne sais pas ce qu’on prévoit pour moi. On nous parle de changement, mais quel changement? Personne ne parle de nous dans cette campagne. » Francois Hollande s’enfuit déjà.

Il sort par la porte arrière. Il va serrer la main de trois gaillards du quartier. Jarell, 20 ans, lui fait signer sa carte électorale. « Ce sera la première fois que je vote, et ce sera pour lui » dit il. Les habitants donnent des claques pour faire des clics. « Les journalistes, vous le voyez tous les jours, laissez nous faire quelques photos, faites pas les crevards« , quémande un homme. François Hollande continue sa marche. Une femme se fait écraser. Des enfants crient. Des rosiers sont piétinés. Il est midi, l’éléphant a secoué le quartier. Les journalistes chargent.

Clichy-sous-Bois

Les journalistes déchargent. Le jour crépite. Le ciel est d’un blanc haletant. Le car se gare dans une rue étroite de Clichy-sous-bois. Le ministère de la crise des banlieues d’AcleFeu crâne sous les arbres feuilletés. Un des ministres déclare solennellement : « Hollande peut venir, on est là. » Mais le président du ministère, avec d’autres responsables d’associations, déjeune juste à côté, dans un gymnase, avec le candidat. La presse ne peut pas entrer. Dans une salle du complexe municipal, les journalistes se voient offrir un sandwich, une orange et une bouteille d’eau « préparés par la mairie. » Il y a aussi des gâteaux orientaux, mielleux et doublement sucrés. « Le car repart« , prévient l’attaché de presse rose. Les journalistes chargent.

Aubervilliers

Une journaliste de l’AFP se dépêche de taper sa dépêche. Le fils de François et Ségolène, Thomas Hollande, s’est installé au fond du car. Le chauffeur du car s’est perdu dans le dédale urbain. Après avoir traversé Clichy, Saint-Denis, Aubervilliers, Saint-Denis, Aubervilliers, le chauffeur donne l’ultime coup de frein dans le quartier du Landy. « C’est un quartier coupé du monde, ici » coupe un jeune qui habite « juste là« . Il poursuit : « Au début, on allait voter Sarkozy, parce qu’il y est déjà. Mais là, vu qu’Hollande est venu jusqu’à nous, on va voter pour lui, obligé.  » L’aire de jeux pour enfants a été prise d’assaut par des ados. Ils regardent la tornade qui passe, inactifs. Une photographe tente de les immortaliser. Riposte.

Une dame prend le poignet d’Hollande : « François, jamais de Rolex, hein ? » François sourit. Elle dit : « C’est le meilleur. Je voterai pour lui, pas pour moi, mais pour mes enfants. De toute façon, tout le 93 doit voter pour lui. » Lui se dirige dans le centre de santé du quartier. Le maire présente les invités. Didier, un médecin généraliste aux Francs Moisins plante le décor :  » Je voudrais des lois de protections sociales qui protègent. Les personnes les plus vulnérables ont un parcours compliqué pour avoir la CMU. » Hollande reconnait : « Les inégalités sont cumulatives. » Et répond sans répondre : « Il faut simplifier l’administration dans l’accès aux droits. » Avant d’évoquer les immigrés : « Toutes les personnes qui sont sur notre territoire doivent être soignées. »

Re-journalistes. Re-attroupement. Re-voiture qui vrombit. Re-départ. Re-voiture qui s’ouvre. Re-Hollande qui sort. Il prend une passerelle pour atteindre l’autre rive. Les photographes veulent une image d’Hollande sur un pont. Ils se battent. Le pont tangue. Et finalement, personne ne tombe. Les jeunes socialistes ont planté un camp dans un parc où les t-shirts « H is for Hope » à 10 euros ne s’arrachent pas. Sous une tente, Bruno anime une « battle citoyenne » où « 95% des jeunes votent Hollande. » Hollande sourit : « Il m’en reste quand même 5% à convaincre. »

Sur l’estrade, des jeunes l’assaillissent de questions. Le candidat sert la soupe : « Les quartiers sont une chance pour la République. » Et poursuit : « Pour les projets, il y aura la possibilité d’avoir des accompagnements. » Il annonce aussi un « ministère de l’égalité pour lutter contre toutes les discriminations. » Et puis s’en va, en disant : « Quand je serai Président, je reviendrai souvent en banlieue, avec la même liberté. » Un des jeunes réagit : « C’était bof, il aurait fallut plus de temps, mais c’est déjà bien. » Un militant y croit : « C’est le président des jeunes dans toutes leurs diversités. » Les journalistes chargent.

Aulnay-sous-Bois

Les journalistes déchargent. Dernière étape. Le quartier est doucement chamboulé. Des baffes crachent du son ensoleillé. Des barrières et des agents régulent les flux devant le gymnase. La salle n’est pas remplie. Le député, Daniel Golberg, corrige : « Si, il y a déjà 800 personnes assises. » Il y a des drapeaux, des enfants, des poussettes, des badges, des lumières. Et des personnes âgées. Le candidat, gorge légèrement enrouée, monte sur scène. « Je finis mes 48h dans ce qu’on appelle les banlieues, mais qui sont tout simplement la France » dit-il, emportant une vague d’applaudissements avec lui.

La banlieue, ce terrain qu’il a dragué, de Lyon à Creil (vendredi dernier), des Ulis à Aulnay (samedi dernier). La banlieue, ces territoires oubliés de la campagne, mais espoir de François Hollande. La banlieue, cette France sur laquelle Nicolas Sarkozy a beaucoup compté en 2007, mais qu’il a décidément oublié en 2012. Najat Belkacem : « S’il est mal accueilli à un forum Elle à Sciences-Po, imaginez en banlieue. C’est un terrain risqué pour lui. »

Il est 20 heures 16. François Hollande s’engouffre dans sa voiture et s’efface. Sur les pavés, un militant socialiste trappiste regarde le cortège s’évader : « La dynamique est du côté de Mélenchon. Du coup, je sais pas encore pour qui voter. Lui ou Mélenchon ? »

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

Articles liés