«  Quand j’ai débarqué ici dans les années 1980, Valenciennes était triste et inhospitalière comme un film noir et blanc », se remémore Ahmed, immigré algérien. Depuis l’ancien bassin minier du Nord-Pas-de-Calais a su tirer parti de son emplacement stratégique.

Sa proximité avec Paris, Londres et Bruxelles n’a pas échappé au géant de l’automobile Toyota au moment de s’y installer au début des années 2000. La firme annonce, pour 2014, un plan de recrutement de 500 intérimaires sur son site à Valenciennes Nord. La ville doit sa reconversion réussie à « l’architecte » comme l’appellent certains : Jean-Louis Borloo, le maire bâtisseur de 1989 à 2002. 12 ans après son départ, l’ombre de celui qui a été élu « meilleur maire de France » plane encore sur la commune et sur les élections municipales.

Il est 13h lorsque William, 31 ans, attend son tramway à l’arrêt Sainte-Catherine pour se rendre au travail. Les  bâtiments qui entourent la station sont neufs ou en cours de construction. Selon lui la ville est en perpétuelle évolution, et ce depuis les années Borloo. « Il a fait revivre la ville grâce aux infrastructures de transport notamment. Valenciennes est devenue une ville moderne et attractive ». Il reste cependant des choses à améliorer selon William : « Je pense qu’il faudrait développer plus de points de sorties pour la jeunesse valenciennoise ». Attristé, il poursuit : « Avant, on se rendait beaucoup en Belgique pour s’amuser. Plusieurs potes ont perdu la vie sur le trajet du chemin retour après des sorties de boites … » Il préfère rire de la célèbre formule : « Borloo = alcolo » et rétorque : « Avec Borloo le boulot c’est le boulot. C’est un bon vivant. Les médias le stigmatisent parce que c’est un gars d’ici ». Sur la ligne 2 du tramway, un couple vante lui aussi l’apport de l’actuel président de l’UDI pour la ville. Benjamin, qui a grandi à Valenciennes déclare en souriant : « Avant, c’était une ville dortoir. Maintenant c’est une ville étudiante ! ».

Sur la place de la République, à quelque pas de l’URSSAF et du lycée Henri Wallon se trouve le Chicken Grill, tenu par Morgan 23 ans et Delphine 26 ans. Morgan a grandi à Valenciennes, et Delphine, à Maubeuge. Le restaurateur nous avoue en rigolant : « si Valenciennes était restée comme dans les années 1990, je n’aurais jamais songé à y implanter mon restaurant! ». Delphine approuve : « La ville est beaucoup plus séduisante qu’auparavant. La population valenciennoise s’est beaucoup rajeunie ! ». Eux aussi vouent une sorte de « culte » à Jean-Louis Borloo, le « bâtisseur de la ville ». Morgan assure : « Il suffit d’aller dehors et de parler aux habitants pour comprendre que c’est encore le maire!». A l’approche des élections municipales Morgan sera vigilant sur un domaine qui lui tient à cœur : « La sécurité est un véritable enjeu. On a ouvert notre commerce depuis un mois et demi et on a eu un souci au bout de quinze jours. Une heure après avoir déclaré le problème, toujours pas de force de l’ordre à l’horizon…».

valenciennes place d armesValenciennes ville en mouvement,  c’est le message subliminal que véhiculent les affiches qui ornent le mobilier urbain (bras armé de la communication municipale) qui joue sur la vitalité de la commune. Le club de football le VAFC est très présent, certains passants arborent fièrement le maillot du club malgré la déconvenue de ce weekend contre Reims 3-1. Le football féminin est également mis à l’honneur sur des pancartes.  Une affiche nous indique que l’équipe de football américain recrute. Pour passer du bon temps, la zone de la briquette s’est munie d’un cinéma et d’une patinoire afin de rendre la ville plus vivante. A 7 minutes à pied de la gare SNCF et à deux pas de l’hôtel de ville,  le centre commercial Cœur de Ville reste tout de même le point de convergence des valenciennois. S’il est attractif pour la population jeune et pour les touristes, il agit comme un épouvantail pour les rues environnantes qui s’en trouvent vidées.

Assises sur les sofas du centre commercial, deux étudiantes en Langues Etrangères Appliquées au commerce international refont le monde pour tromper l’ennui. Marie et Leila ont 19 ans. Elles vont se rendre aux urnes pour la première fois. «Il faut que je vote. Pour moi c’est un devoir. Mais je ne sais pas encore pour quel candidat je vais voter » hésite Marie. Même son de cloche pour Leila qui se sent plus préoccupée  par la monotonie de ses journées que par l’insécurité. «  Je ne ressens pas de sentiment d’insécurité. C’est trop tranquille Valenciennes même tard le soir. Le plus grand danger ici c’est l’ennui » assène-t-elle. Au moment de choisir son candidat, Marie sera attentive à la problématique des transports :  «Le tram s’arrête à 21h. Ce n’est pas top pour des étudiants qui aiment sortir et faire la fête ».

DSC_0296Nathalie, 45 ans, gérante du « bar 36 » depuis 1995  rue Famars subit les conséquences du manque de dynamisme du centre-ville vampirisé par le cœur de ville. « Au niveau de ma rue c’est le déclin! A l’époque elle était bondée mais le centre commercial a poussé les petits commerces à fermer. Heureusement que j’ai ma clientèle habituelle qui ne me lâche pas. » Pour la gérante du bar à l’ambiance familiale, il faut donner la priorité à la « création d’emploi pour sortir du cercle vicieux: taxes trop élevées, chômage, pas de consommation. Tout ça a une influence néfaste sur le commerce ! » Conclue-t-elle. Nathalie ne vote pas à Valenciennes mais elle suit de loin la campagne municipale.  Un autre client évoque le fait qu’il s’agit « d’une joyeuse pagaille ».

A Valenciennes, les municipales se jouent sur fond de querelles fratricides à droite comme à gauche. Intronisé par Dominique Riquet (élu au premier tour avec 55% des voix en 2008) le maire actuel sortant de l’UDI Laurent Degallaix, en mal de légitimité, tentera d’être élu pour la première fois par les citoyens. Bien qu’issu du sérail de Borloo, il devra affronter un autre disciple du « maire de Valenciennes », Didier Legrand candidat de la liste divers droite. L’extrême droite sera également représentée par deux candidats Dominique Slabolepszy, membre de l’ancienne garde du FN, déjà candidat en 2008 et Jean-Luc François Laurent le « rookie » du Rassemblement Bleu Marine. Dans une ville qui semble promise à la droite, les candidats de gauche n’ont pas réussi à s’entendre. Jean-Luc Chagnon sera la tête de liste socialiste tandis que Jean-Claude Dulieu représentera le front de gauche.

« Moi j’ai l’occasion de voter pour la première fois. Mais ça me fait ni froid ni chaud. J’compte pas y aller. Personne ne me représente et je ne crois surtout pas en la politique » lance Anthony 19 ans,  en sirotant la bière éponyme : la « 36 ». Bonnet rouge, jaune, vert sur la tête, il roule sa clope.  Il évoque ses déboires d’aspirant intermittent  du spectacle. Anthony habite la région depuis 12 ans, il reconnaît  que la ville a beaucoup évolué, bien qu’il se sente de gauche, il utilise à contre cœur des euphémismes pour qualifier l’action de Borloo : « Faut bien admettre que c’est pas le plus mauvais. C’est pas un mauvais bougre pour moi! ». En revanche, il pointe du doigt l’envers du décor du marketing territorial. «  Valenciennes est une des villes les plus fliquées au monde ! » ose-t-il. Anthony ressent beaucoup la pression policière, il estime que : « Les rockers ne passent pas dans le coin ». Il poursuit sur le ton de la confidence : « Moi, juste à cause de mon bonnet rasta, je me fais contrôler tous les trois jours. Au nom de l’attractivité, tout est fait pour lisser l’image de la ville avec le sport la culture et des boutiques chics au détriment de certains jeunes. ».

A n’en pas douter la question de la sécurité sera le thème principal de la campagne électorale à Valenciennes. Deux semaines après la mise en place du T2 qui traverse sept communes et dessert des zones qui étaient jadis enclavées, les habitants s’inquiètent déjà de voir le centre ville prit d’assaut par des « indésirables ». La commune découvre les joies de l’urbanisation tandis que la municipalité envoie un message stigmatisant la jeunesse : « Valenciennes ville jeune, mais sécuritaire ». Cette contradiction remet en question l’image de la ville dynamique et étudiante quand on sait qu’un tramway qui arrête de circuler à 21h sonne comme un couvre feu et que cela augmente les risques de conduite en état d’ivresse.  Au moment de se décider à voter combien se demanderont : « A quel point Valenciennes assume sa jeunesse ? »

Balla Fofana & Tom Lanneau

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