MUNICIPALES 2014. Visite de Manuel Valls, lettres ouvertes de personnalités locales, porte-à-porte massif, SMS anonymes… A Aubervilliers, la campagne du deuxième tour a connu un regain d’intensité et de tension depuis que le maire sortant Jacques Salvator (PS) et l’ancien maire Pascal Beaudet (PCF) sont arrivés au coude-à-coude à 32%. Reportage.

« On se retrouve à la section ! » Il est minuit, ce dimanche soir, lorsque le directeur de campagne de Jacques Salvator (PS) annonce à ses troupes le rendez-vous. A l’Hôtel de ville, le maire sortant vient d’annoncer les résultats du premier tour des élections municipales. Ceux-ci lui donnent 32,1% des suffrages, au coude-à-coude avec son opposant Pascal Beaudet (PCF), à 32,9%. Seuls 86 voix séparent les deux hommes, qui auront à faire avec la concurrence de Fayçal Menia (UMP) au second tour.

Dans son bureau du premier étage, où il est resté enfermé toute la soirée en compagnie d’une poignée de collaborateurs, Jacques Salvator veut positiver. « Nous avons amélioré notre nombre de voix par rapport à 2008. Vu le contexte national et l’importance de l’abstention, c’est un très bon score. » Dehors, les deux camps s’affrontent à coups de slogans et de youyous. Les communistes, au rez-de-chaussée, savent qu’ils sont en tête. « Désistement républicain ! Désistement républicain ! » La question n’a même pas traversé l’esprit des socialistes. Comme en 2008, aucune des deux listes ne se retirera et la gauche devra passer par un duel fratricide qui laissera des traces. Face à un score aussi serré, l’heure n’est pas à l’euphorie et chacun se réunit pour définir la stratégie de l’entre-deux tours. Arrivée quatrième avec 7,1% des voix, la liste citoyenne 100% Aubervilliers est au cœur des discussions. « Ce sont les faiseurs de roi », glisse un élu socialiste. Devant la mairie, Pascal Beaudet partage le constat. L’ancien maire salue, une cigarette à la bouche, « l’excellent résultat des jeunes ». Et leur tend, déjà, la main. « Nous allons tout faire pour les intégrer à notre dynamique du second tour. » L’heure serait donc, déjà, aux négociations ? Pascal Beaudet sourit et acquiesce. « C’est comme cela que ça marche, oui. »

Le lendemain matin, il est 10 heures quand commencent officiellement les tractations. Samir Maizat, la tête de liste de 100% Aubervilliers, est accueilli par Jacques Salvator à la mairie. Plus d’une heure durant, le jeune enseignant de 30 ans, qui avait déjà été courtisé avant le premier tour, expose au maire sortant ses propositions et ses exigences. Au café de la mairie, deux clients observent, paparazzis des temps modernes. « Regarde Samir, il sort de la mairie. Ça y est, il est avec les soc’ ! » Et pourtant, à midi, Maizat tient exactement le même discours à Pascal Beaudet, à quelques dizaines de mètres de là. A chaque fois, il a convenu avec les candidats d’un nouveau rendez-vous dans l’après-midi. A 15 heures, c’est Jacques Salvator qui dégaine, le premier, ses propositions. La discussion se poursuit et les candidats de 100% Auber se paient le luxe de faire attendre Pascal Beaudet. C’est ainsi vers 17 heures qu’ils prennent acte des propositions de celui qui les appelait la veille encore « les petits jeunes ». En fin de journée, chacun prend congé et le téléphone de Samir Maizat frise la surcharge. Leur score leur a donné une véritable légitimité dans la ville, et un poids important en vue du second tour.

De quoi alimenter questions et attentes, pour une équipe inexpérimentée lancée il y a seulement trois semaines dans la campagne. Les propositions sont pourtant alléchantes. On parle de trois à six élus dans la nouvelle majorité, des postes de maire-adjoint aux sports, à l’insertion des jeunes, aux centres de loisirs… Jusqu’à cinq heures du matin, les colistiers de 100% Auber et les directeurs de campagne des deux candidats échangent, s’appellent et se rappellent. Mardi, les deux camps attendent la réponse. Ils doivent déposer leurs listes avant 18 heures en préfecture. Finalement, à 15 heures, la réponse tombe. En ne parvenant pas à choisir leur camp, les colistiers de Samir Maizat scellent leur indépendance et déclinent les offres du PS et du PCF, refusant par là même d’appeler à voter pour quiconque.

Les deux camps poursuivent donc leur campagne avec des enjeux différents. Les communistes savent à quel point leur avance est précaire. En 2008, l’écart de 300 voix en faveur du PCF n’avait pas empêché Jacques Salvator d’emporter la mairie. Comme un coup de pouce, Michel Jouannin, candidat Lutte Ouvrière, a appelé ses 300 électeurs à voter pour la liste du Front de gauche. Bon à prendre mais insuffisant pour une équipe communiste qui mise beaucoup sur le rejet du maire actuel. « A défaut d’avoir un véritable projet », tacle un élu socialiste. « Etre anti-Salvator et promettre des logements et des emplois à la mairie, ça ne suffit pas. » En face, Salvator met en avant son bilan, sa vision de l’avenir… et agite le spectre d’un retour en arrière. « Beaucoup d’habitants ne veulent pas du communisme à Aubervilliers », prévient-il. Les socialistes portent dès lors leurs espoirs sur une mobilisation plus importante de leur électorat. En parallèle, Salvator a reçu le soutien du candidat de droite Stéphane Pelliccia (6% au premier tour).

A Aubervilliers, l’issue du scrutin semble si indécise que, de part et d’autre, les équipes de campagne ont sorti les grands moyens. Réunions d’appartement, phoning, porte-à-porte, mobilisation des jeunes… Tous les moyens sont bons pour convaincre les récalcitrants, dans une lutte sans merci entre les deux camps. Mercredi, Salvator rencontre quelques dizaines d’habitants de la Maladrerie autour d’un apéritif organisé dans un restaurant du quartier. Une militante communiste arrive et s’adresse aux jeunes. « Vous n’avez pas honte ? Vous allez vendre votre voix pour un sandwich ! » Le ton monte et la femme est conduite à l’écart. Tout juste le temps de l’entendre protester contre ce maire « à genoux devant les entreprises ».

La scène témoigne de la tension qui règne dans la ville autour de ces élections. « La dernière ligne droite est usante », confirme un militant. Alors, de part et d’autre, on a fait appel aux poids lourds pour mettre la dynamique de son côté. Mercredi, l’ancien maire Jack Ralite (PCF) s’en prend publiquement à Salvator et au PS. Dans une lettre, Ralite égratigne son ancien adjoint, qui « met en cause » à Aubervilliers « la dignité de la politique ». Plus loin, Ralite pointe du doigt « les intérêts égoïstes » du PS local, qui fait triompher « un principe de ruines » par son « immoralité ». Le lendemain, c’est une autre figure locale, Didier Daeninckx, qui lui répond. L’écrivain reproche à son ancien ami des propos qui « prennent bien des libertés avec la réalité, avec l’histoire ». Aujourd’hui soutien de Salvator, camarade de classe au collège, Daeninckx s’en prend à Beaudet, le gendre de Ralite, arrivé là par « népotisme » et sans en avoir « ni l’envie ni l’envergure ». Match nul, balle au centre.
Des jeunes, posés dans un square de la ville, nous expliquent qu’ils voteront Beaudet. « Parce qu’on connait un mec de son équipe. S’il passe, il va nous « mettre bien ». Il nous l’a dit. » Un peu plus loin, des mamans de toutes origines rappellent l’urgence des problèmes de logement, d’insécurité et de misère sociale à Aubervilliers. Elles attendent de pied ferme Manuel Valls, attendu jeudi dans la ville, pour lui parler. « C’est quand même le futur Premier ministre, il peut faire quelque chose », sourit l’une d’elles.

IMG_20140327_202835IMG_20140327_202835De ses ambitions gouvernementales, il n’a pas été question ce jour-là à Aubervilliers. Manuel Valls est venu en « ami de 30 ans » pour soutenir Jacques Salvator. Derrière le cordon formé par les journalistes et l’imposant dispositif de sécurité du ministre de l’Intérieur, un deuxième cercle (plus vaste encore) de militants PS entoure Valls et Salvator. De cette visite feutrée d’un peu plus d’une heure ressortiront quelques belles images et quelques échanges aussi brefs que banals avec une poignée de commerçants. Pas de quoi transcender la campagne du maire sortant, par ailleurs en désaccord avec le ministre sur un certain nombre de questions, comme l’intégration des Roms.

Mais qu’importe. Le maire file retrouver quelques centaines de ses supporters pour un meeting, avant de participer à une réunion d’appartement nocturne dans le centre-ville. A 23 heures, enfin, il retrouve, autour d’un kebab, une dizaine de jeunes des quartiers plutôt hostiles à son action pour discuter de ses propositions. « Il ne s’arrête jamais », souffle, admiratif, un membre de son équipe. A la fin de son meeting, Salvator donne rendez-vous à son équipe. Et se dit volontiers « confiant » pour dimanche soir. Au PCF, le ton n’est pas tout à fait le même. « On n’est pas dans la confiance, on est dans le combat. »

Ilyes Ramdani

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