Vous êtes à Bondy, ville emblématique de la banlieue et du 93. La banlieue est un terrain peu favorable pour Nicolas Sarkozy. Votre intention est-elle de montrer que vous, vous n’avez pas peur de cet univers ?

Non, ce n’est pas du tout pour cela que je suis là. C’est important quand on exerce des responsabilités publiques que d’être au contact des réalités. Il n’y a rien de tel quand on veut apprécier l’efficacité de certaines politiques que d’aller à la rencontre de ceux qui les vivent. Qu’il s’agisse d’emploi, de discriminations, de sécurité ou de formation, la réussite de la France passe par celle de nos banlieues, de nos quartiers. Il y a là une force de créativité, un enthousiasme. Pour que cet enthousiasme ne se transforme pas en frustrations, eh bien, il nous faut des politiques qui réussissent.

Vous n’excluez pas de vous présenter à l’élection présidentielle de 2012. Pour beaucoup de Français arabo-musulmans, notamment en banlieue, vous êtes l’homme du discours du 14 février 2003 à l’ONU contre l’intervention américaine en Irak. Est-ce que vous comptez mettre à profit, électoralement parlant, cette popularité auprès de ces Français ?

La popularité ou la connaissance, c’est un capital, en politique. Mon idée, ce n’est pas de le mettre à profit, c’est de m’appuyer sur des atouts : le fait d’être né en Afrique du Nord, d’avoir une expérience internationale, crée une proximité. Le fait d’avoir pu connaître l’épreuve de la justice, c’est aussi une capacité à comprendre des difficultés ou des frustrations. Ce sont donc autant de passerelles et de liens qui font qu’on se sent plus proche. Et dans les banlieues, je sens l’urgence d’apporter des réponses. Quand il y a une telle attente vis-à-vis de la République, on se doit de se mobiliser.

Vous parlez d’épreuve de la justice. Mais vous n’avez jamais encore été incarcéré.

Le sentiment qui peut être celui de la stigmatisation, de la discrimination, est un sentiment très vif qui touche à la personne. La justice, quand on y est confronté, est finalement très proche de ce qu’on peut ressentir dans sa chair quand on est éprouvé pour des raisons de santé, familiales ou professionnelles. Comment surmonter cela ? Est-ce qu’il faut s’attarder sur ses blessures ou est-ce qu’il faut sortir de soi et aller vers les autres ? Ma conviction, c’est qu’on est plus fort quand on est capable d’aller vers les autres.

Avez-vous un programme pour améliorer les relations entre la France et le Maghreb, et notamment avec l’Algérie ?

Ma conviction, c’est que nous ne tirons pas suffisamment profit de cette proximité géographique, culturelle et historique avec l’ensemble de l’Afrique du Nord. Avec l’Algérie, compte tenu des blessures qui ont existé entre nos deux pays, il est particulièrement important d’avoir des politiques actives. Dans le développement de l’Europe, je suis convaincu que l’Afrique du Nord, comme la Turquie, comme la Russie, fait partie de ce que j’aurais tendance d’appeler un grand pôle à vocation européenne.

Etes-vous favorable à la signature d’un traité d’amitié entre la France et l’Algérie ?

Je crois que le temps est venu de tourner une page dans les relations entre la France et l’Algérie. Ce traité d’amitié serait le moyen de regarder résolument vers l’avenir. Nous avons eu dans les dernières décennies beaucoup de sujets de confrontations, et c’est avec force qu’il nous faut maintenant unir nos volontés pour écrire une nouvelle histoire.

Il y aura bientôt la Coupe du monde de football en Afrique du Sud. L’Algérie et la France y seront. Lors de matchs de qualification, il y a eu en France des débordements de la part de supporters algériens. Que dites-vous à ces jeunes qui sont très fiers de leur équipe et à qui on reproche parfois de soutenir davantage l’Algérie que la France qui est aussi leur pays ?

Je comprends très bien qu’on puisse s’enflammer pour une équipe qui représente le pays dont on est originaire, mais tout ceci doit se faire dans la civilité. Donc, il faut apprendre à se maîtriser pour éviter les débordements. Il n’y pas de raison que l’enthousiasme s’exprime au détriment du pays dans lequel on vit.

Votre affichage médiatique, aujourd’hui à Bondy, a lieu à une semaine du jugement qui vous concerne dans l’affaire Clearstream. Est-ce une pure coïncidence ?

C’est un hasard. La vie continue quelles que soient les échéances, et ce n’est pas parce qu’on est soumis à des épreuves qu’on doit s’arrêter de vivre et d’agir.

Fadela Amara revient avec le Kärcher pour répondre à la violence entre les jeunes en banlieue. C’est quoi, votre arme ?

L’arme indispensable, c’est celle de la tolérance, celle du respect. Je me méfie de ces mots qui cristallisent et qui peuvent donner le sentiment d’exclure. J’ai vécu, comme premier ministre, la crise des banlieues, et je crois qu’il faut tirer les leçons du passé. Rappelons-nous tous ces événements qui ont conduit à des violences, partant d’un sentiment d’injustice, d’une mort subite ou accidentelle. Il faut prendre en compte la sensibilité des quartiers. Quand on est dans une période de chômage croissant, il faut faire attention aux débats que l’on lance. Nous avons besoin de nous rassembler. 800 000 emplois ont été perdus au cours de ces derniers mois, il y aura un million de Français en fin de droits en 2010. Plus que jamais, c’est de rassemblement dont nous avons besoin.

Votre politique sécuritaire à l’endroit des banlieues serait-elle fondamentalement différente de celle de Nicolas Sarkozy ? Vous étiez accompagné cet après-midi (hier) de Georges Tron, député-maire de Draveil (Essonne). Or Georges Tron a défendu l’idée, comme d’autres députés UMP, sarkozystes ceux-là, de la suppression des allocations familiales aux familles dont les enfants commettent des incivilités répétées. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Sur le plan des politiques menées, rien n’est plus important que l’expérience. En matière de sécurité, pourquoi se priverait-on de moyens susceptibles de faire avancer les choses ? La gauche avait lancé une police de proximité, qui n’était pas toujours adaptée, compte tenu des horaires de cette police, aux besoins ressentis. Mais néanmoins, elle assurait la connaissance qu’on peut avoir de certaines situations d’une population et donc évitait la déclinaison quatre fois par jour d’identité. J’avais proposé d’améliorer cette police de proximité à travers la création d’une police de tranquillité publique qui se serait déployée sur des horaires beaucoup plus larges et qui aurait acquis la connaissance des réseaux, soit quelque chose d’essentiel dans la politique de sécurité.

Et à propos de la suppression des allocations familiales ?

Faire en sorte que le lien soit rétabli avec la famille dès lors qu’il y a une absence scolaire à répétitions me paraît nécessaire. La politique de suppression des allocations familiales risque dans un bon nombre de situations d’aggraver les choses. S’il y a des cas spécifiques où l’on constate que la suppression des allocations familiales peut être un levier de la mobilisation de la famille, alors oui, on peut y avoir recours, en liaison avec les élus locaux et les assistantes sociales, mais dans un temps limité, de façon à donner un avertissement.

Que pourriez-vous dire d’original par rapport à l’emploi des jeunes en banlieue ?

La réponse doit commencer par la recherche d’emplois dans les quartiers eux-mêmes. Il y a une Agence nationale de la cohésion sociale et de l’égalité des chances (ACSE), il y a une Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU), mais il n’y a pas d’agence nationale du développement économique pour les banlieues. Une telle agence, qui se donnerait pour but de créer des emplois et de faciliter la recherche d’emplois pour les jeunes, serait une solution adaptée. Par exemple, dans le cadre de l’ANRU, on pourrait inciter les bailleurs sociaux et les architectes à faire en sorte que les rez-de-chaussée des immeubles puissent être consacrés à l’activité économique de très petites entreprises et d’associations, avec des loyers extrêmement bas. Ensuite, il faudrait permettre à des petites entreprises de banlieue de former des groupements d’intérêts économiques pour participer à des appels d’offres ; leur permettre de s’associer à de grandes entreprises et de bénéficier ainsi du soutien de banques, qui pourraient accompagner dans la durée des projets.

Lorsqu’un candidat se présente à l’élection présidentielle, c’est toujours avec un super plan Marshall pour les banlieues. Mais quel que soit le gagnant, il ne se passe pas grand-chose.

C’est bien pour cela que je n’arrive avec aucun plan Marshall. Mais avec quelques idées qui ne demandent qu’à être enrichies. Une bonne politique est une politique vivante, qui se corrige à l’épreuve des réalités. L’un des défauts des plans banlieues successifs, c’est qu’ils sont pensés et pilotés d’en haut, alors que par définition la banlieue est un milieu particulièrement vivant, où il faut avec des élus locaux, des associations, des habitants, faire avancer les choses.

Etes-vous pour ou contre le port du voile intégral ? Etes-vous favorable à une loi l’interdisant ?

Je suis convaincu que le voile intégral n’a pas sa place dans notre république. Mais, face à ce constat, quelle réponse apporter qui n’aggrave pas les choses ? Une interdiction générale risquerait de placer certaines femmes dans une situation impossible. Il faut être pragmatique et poser des principes clairs. Mon premier principe, c’est celui du rassemblement et du consensus. Une bonne réponse est une réponse partagée par tous et qui fait l’objet d’une unanimité politique. Le choix aujourd’hui posé d’une résolution me semble judicieux.

Faut-il une loi à partir de cette résolution ?

Il faut éviter des lois de circonstance qui, parce qu’il y a une émotion à un moment donné, veulent fixer les choses une fois pour toutes. Or nous avons suffisamment d’éléments aujourd’hui pour peser sur les comportements. Que l’on décide, en ce qui concerne les services publics – l’école ou les hôpitaux –, que ce voile intégral ne saurait être accepté, me paraît un élément suffisamment dissuasif qui marquerait clairement les frontières à respecter. Sans pour autant rentrer dans ce qui pourrait apparaître comme une logique idéologique et punitive, chose qui serait contraire aussi aux intérêts de la république.

Vous êtes né au Maroc comme Eric Besson. Le connaissez-vous personnellement ?

Je ne le connais pas et je ne suis pas heureux de la création du ministère de l’immigration et de l’identité nationale, qui ne correspond pas à l’esprit et aux besoins de notre pays.

Dans cette France pleine de tensions, vous considérez-vous comme l’homme du recours, un peu à la façon du général de Gaulle en 1958 ?

Non, d’autant que je pense que le gaullisme est une tradition qui appartient à tous les Français et à toutes les Françaises. Je n’aurais pas la prétention de la revendiquer pour moi tout seul. Mais ce qui est vrai, c’est que notre pays a besoin aujourd’hui d’alternative. L’alternative, ce n’est pas forcément l’alternance. C’est la possibilité, au sein d’une famille politique…

De remplacer Nicolas Sarkozy…

… C’est la possibilité d’exprimer une autre vision. Je souffre, en ce qui me concerne, de voir au sein de la majorité, que la tradition politique qui est la mienne – la tradition gaulliste, sociale, républicaine, attachée à l’indépendance de la France et à une vocation de la France dans le monde – n’est pas assez représentée. L’une des leçons que je tire des deux dernières années, c’est qu’à force de vouloir réformer tous azimuts notre pays, nous avons perdu de vue un certains nombre de fondamentaux : la nation, la république, l’Etat. Revenir à ces fondamentaux a quelque chose non seulement de séduisant mais de nécessaire. Cela dépasse de loin les clivages entre la droite et la gauche. Plutôt qu’une politique de débauchage de personnalités de gauche rentrant dans des gouvernements de droite, il me paraît beaucoup plus important de dégager une majorité d’idées sur quelques grands enjeux : les valeurs républicaines, la politique de défense. C’est pourquoi je me suis élevé contre le débat sur l’identité nationale. Quand je viens à Bondy, je constate qu’il y a identité nationale forte. On n’a pas de leçon à donner ici en cette matière. Ces débats qui sont faits avec le souci de marquer des camps me paraissent hors de propos.

Avez-vous l’intention de créer un nouveau parti politique ?

J’ai participé avec d’autres à la création d’un club (Club Villepin) pour faire des propositions et offrir une alternative. Si, demain, je constate qu’il faut en passer par un parti politique, eh bien je créerai un parti politique. La détermination, l’engagement c’est d’aller de l’avant et de s’assurer que le chemin rend possible ce à quoi l’on croit. C’est pour cela que je me bats.

Savez-vous que l’ambassade américaine à Paris invite très souvent des leaders issus de la diversité à participer à des sessions de formation aux Etats-Unis ? Ne pensez-vous pas que la France est en train de passer à côté d’une future élite ?

Je crois qu’effectivement, on sous-estime ce vivier d’énergie et de créativité présent en banlieue et qui s’exprime parfois y compris par la frustration. Tout ce qui peut être fait pour décloisonner la banlieue doit être fait.

Prenons un exemple très concret : la nourriture hallal en entreprise. Dans les cantines en Angleterre et aux Etats-Unis, les employés musulmans ou juifs pratiquants trouveront de la viande hallal ou casher. En France, cela est pour ainsi dire impossible. D’où, chez certains, des frustrations. Quel est votre avis à ce sujet ?

Il faut bien toucher du doigt que notre modèle n’est pas le même que le modèle anglo-saxon, qui est un modèle communautariste. Nous ne devons pas abandonner le nôtre. Sans quoi nous créerons des tensions et une république à plusieurs vitesses.

Ne sommes-nous pas déjà dans une république à plusieurs vitesses ?

Je crois que c’est un risque, mais il n’y a pas de fatalité, car je suis sûr qu’une immense majorité des Français veut préserver cette république. Il y a le risque de la voir évoluer en fonction des besoins et aspirations de telle ou telle communauté. Soyons attentifs et prenons conscience que si cela arrive, nous ne vivrons pas dans le même pays. Nous serons alors très désarmés, très inquiets, avec une peur qui grandira et nuira à ce pacte républicain qui est si essentiel dans notre pays.

Mais peut-on tout mettre sur la peur du communautarisme ?

Tout ce qui crée des Bastilles, des enfermements, des séparations, est un problème. La force de nos principes républicains, c’est qu’ils sont nourris par des exigences de liberté, d’égalité, de fraternité. Le problème que nous avons, c’est que ces principes ne sont pas assez vécus. Mais la solution n’est pas de les rogner et de les renier, mais de leur donner une traduction concrète. Et quand nous parlons du problème de la burqa ou du voile intégral, quand nous parlons du problème de la viande hallal, ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas être à l’écoute, prenons garde simplement à ne pas instaurer une république communautariste qui ne serait plus la république.

Etes-vous pour ou contre le droit de vote des étrangers?

Je n’y suis pas favorable, je crois que cette question pourra être abordée dans quelques années ou quelques décennies. En ce moment nous ne sommes pas dans la situation d’évoquer cette question.

Vous aimez la littérature, est-ce que vous vous intéressez à ce qui s’écrit en banlieue, à travers des auteurs comme Faïza Guene, Rachid Djaïdani ou Mehdi Charef ?

Je suis très sensible à ces paroles, et à la poésie. Il y a dans le slam quelques paroles très fortes, qui disent une vérité de la vie en banlieue et qui me touchent. Rien ne me frappe plus que le besoin de création artistique dans les banlieues.

L’argot des jeunes en banlieue est-il un frein à l’emploi ?

Je vais vous dire la vérité : l’argot des jeunes en banlieue est aujourd’hui très partagé par les jeunes de tous les quartiers de notre pays. C’est un élément d’identification d’une génération. Mais cela peut être un frein dès lors que la maîtrise de la langue se limite à un vocabulaire trop court.

Si vous étiez professeur de français, quels auteurs mettriez-vous au programme de littérature ?

Je mettrais des auteurs qui sont susceptibles de me toucher. Céline, par exemple, qui emploie une langue très travaillée, très riche qui permet de développer des sentiments, des émotions. Je mettrais « L’étranger », qui ouvre à une réalité du monde d’aujourd’hui, qui vous donne envie de partager, d’aller vers les autres. Lire « Candide », c’est mieux comprendre le monde dans lequel on vit, c’est s’interroger. Nous avons la chance d’avoir une littérature très riche. Je pense à l’outre-mer : Chamoiseau, Edouard Glissant, Léopold Senghor. Il n’y a pas une seule façon d’être intelligent, il n’y a pas une seule façon de réfléchir sur la vie et de ressentir la vie.

Seriez-vous prêt à courir torse nu sur les bords du canal de l’Ourcq comme vous l’avez fait un jour sur la plage de la Baule ?

Je vais vous dire, quand j’ai couru à la Baule, je pensais que les caméras étaient très loin. D’ailleurs, les caméras n’étaient pas venues pour moi mais pour Nicolas Sarkozy, le matin, pour son footing. Mais je n’ai aucune forme d’exhibitionnisme et je ne crois pas que mélanger vie privée et vie publique soit une bonne inspiration.

A vous écouter, vous êtes à l’extrême opposé de Nicolas Sarkozy.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que nous sommes différents par nos personnalités et nos tempéraments. Je crois aux complémentarités, aux bonnes volontés.

Pour en revenir au général de Gaulle période 1958, il y a cette phrase célèbre prononcée à Alger : « Je vous ai compris. » Est-ce que votre venue à Bondy n’est pas un autre « je vous ai compris » adressé à la banlieue ?

Je ne crois pas du tout que ce soit ma démarche, car mon idée d’une approche pragmatique et interactive est précisément contraire à celle qui voudrait que j’aie un grand plan. Je ne détiens aucune solution toute faite. Aller à la rencontre, c’est pour écouter, pour recevoir des messages et bénéficier d’une expérience. C’est cela, ma démarche.

Propos recueillis par Antoine Menusier

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