Du « V » partout dans la halle Freyssinet, où des milliers de personnes trépignent d’impatience, samedi 19 juin. « V » comme victoire, « V » comme Villepin. « V » comme « Les Visiteurs ». Avec cette grande lettre rouge dans le dos de leur t-shirt blanc, les jeunes villepinistes ont quelque chose de la série des années 80, où des personnages déchiraient leur apparence humaine pour laisser place à une peau verte de reptile.

Ce samedi après-midi 19 juin dans cette halle du 13e arrondissement de Paris où Dominique de Villepin vient annoncer la naissance de son mouvement, République solidaire, on ne pas croise pas encore de militants verts déclarés mais plein de couleurs de peau différentes. « C’est ça qu’on aime chez lui, son côté fédérateur, témoigne Samia, acquise à la démarche politique de l’ancien premier ministre. Avec lui, toutes les origines ethniques et sociales se mélangent, il a ce côté humain, ce charisme qui met tout le monde d’accord. »

La « star » du jour se fait attendre, permettant à des militants de s’exprimer tour à tour sur scène. Chacun explique les raisons de son engagement dans ce nouveau mouvement. Une femme qui se présente comme féministe, issue des quartiers populaires ; une femme médecin, un agriculteur, un jeune diplômé ; les organisateurs de cette journée se sont attachés à présenter un panel d’une France « en quête de renouveau ».

Une quarantaine de jeunes entrent dans la salle scandant « Villepin président » et arborant une banderole « Corbeil Essonne avec Villepin ». Au même moment, une vidéo est projetée sur trois écrans géants. Mais le flux des images est saccadé, en contre jour, avec un son hoquetant. On y aperçoit malgré des gens, jeunes et de moins jeunes, qui donnent leurs avis sur la politique. Mais voilà que Dominique De Villepin arrive dans la salle entouré d’une nuée de caméras et de photographe, et d’une foule qui le suit jusqu’à l’estrade.

Des « Villepin », des « Villepin président » emplissent la halle, jusqu’à l’arrivée de l’intéressé sur la scène. Une fois qu’il y a posé le pied, le silence se fait. S’ensuit une bonne heure et demie de discours. DDV comme certains l’appellent, s’adresse non pas à d’irréductibles Gaulois mais aux « irréductibles insoumis » qu’il convie à la révolution. Révolution contre les « bastilles » contemporaines, celles de « l’argent », de la « discrimination », entre autres.

L’homme, c’est connu, a de l’éloquence et de la prestance. Son attention marquée aux banlieues fait mouche. Brahim, un ingénieur de 28 ans, semble en tout cas conquis par « son côté fédérateur et apaisant ». Chômage, retraites, identité nationale, conflit au Proche-Orient, situation en Afghanistan, il aborde quantité de thèmes, et fait son mea culpa sur le CPE, dont il était l’initiateur et dont il « tire les leçons » sans pour autant « tirer un trait sur le chômage des jeunes ». Pour lutter contre celui-ci, il propose « d’imposer aux entreprise de plus de 500 salariés un pourcentage minimum de jeunes salariés de moins de 25 ans ».

A plusieurs reprises, Villepin s’en prend à la politique de Nicolas Sarkozy, dont il ne prononcera pas une fois le nom dans son allocution. « Nous n’acceptons pas les dérives du débat sur l’identité nationale et ce gouvernement qui instrumentalise les peurs sur l’islam. Nous n’acceptons pas que le Kärcher tienne lieu de politique dans le domaine des réalités sociales », lance-t-il. Il rappelle son engagement contre la guerre en Irak, inscrit ses pas en politique internationale dans ceux de Jacques Chirac et dit son souhait que soit un jour signé un traité d’amitié entre la France et l’Algérie, initiative tentée mais non aboutie lors du second mandat du prédécesseur de Nicolas Sarkozy.

« N’oublions pas les fils et petits-fils des immigrés qui peuvent être fier de leur histoire, déclare Dominique de Villepin. Il s’agit d’une reconnaissance de notre mémoire qui ne se résume pas à nos ancêtres les Gaulois. » Et de citer Abd El-Kader, Césaire, ou encore Senghor. Ces mots en particulier reçoivent une salve d’applaudissements et de cris d’approbation.

Si le discours fédère manifestement l’auditoire, l’intendance, elle, ne semble pas à la hauteur. « J’étais chaud, et là je suis de plus en plus froid, confie Mourad. DDV a une vraie popularité, notamment dans les quartiers, mais l’équipe qui travaille à la mobilisation des gens et des énergies aurait pu mieux faire, ça fait amateur. Ils sont aux antipodes des stratégies de mobilisation, ils ne savent pas utiliser un réseau, les invitations pour le lancement de ce mouvement se sont retrouvées dans les spam, ils ne savent pas gérer et risquent de commettre les mêmes erreurs que Ségolène Royal et Bayrou. »

Villepin était pourtant parti à la rencontre de « 70 jeunes têtes de réseaux », dans un café du Quartier Latin, des jeunes issus des banlieues qu’il était censé mobiliser pour qu’ils mobilisent à leur tour. « Malheureusement rien n’a été fait dans la durée, regrette Mourad. L’équipe aurait dû prendre les coordonnées des participants, créer un listing, envoyer des remerciements, créer une cartographie, rien de tout ça n’a été fait, ils sont à côté de la plaque. »

Cet homme qui distribue des tracts semble donner raison à Mourad. Il les distribue donc avant d’aller tous les récupérer lorsqu’il se rend compte qu’ils contiennent une faute. « A moins d’un changement radical sur sa communication et sa mobilisation, il est condamné à perdre, et ça à cause d’une équipe merdique. On est très loin du Yes We Can d’Obama », conclut Mourad, très remonté. Dominique de Villepin et son équipe de communicants semblent ignorer l’importance des réseaux sociaux, dont ils sont pour ainsi dire absents. Le rassemblement du jour n’y avait même pas été annoncé…

Après Mourad le grincheux, Hakim l’enthousiaste. Chauffeur de bus de métier, il est «totalement emballé » par la prestation du fondateur de République solidaire. « Avant, je ne votais pas, mais là je suis vraiment convaincu qu’il va changer les choses, dit-il. Je ne suis pas dupe des ambitions de la droite ou de la gauche, qui, lors d’élections, promettent monts et merveilles aux quartiers défavorisés et dont les promesses restent lettre morte une fois les élections passées. Mais cette fois, j’y crois vraiment, il a quelque chose d’humaniste et de sincère qui donnent de l’espoir. »

Président d’une association, Millenium, qui se propose d’éduquer les jeunes à la politique, Hakim est venu ce samedi avec une quarantaine de jeunes écouter le discours. « Contrairement à Nicolas Sarkozy, Villepin ne nous a jamais insultés, il est plus habile dans le choix de ses mots », observe-t-il. Robert, lui, est quelque peu sceptique : « Qu’est-ce que vous avez compris ? Il lance un parti ou un mouvement ? Parce que moi, j’ai compris qu’il lançait un mouvement, ça veut dire qu’il reste dans sa famille politique et qu’il ne se présentera pas aux cantonales, c’est dommage. »

Annoncé comme un nouveau parti, « République Solidaire » ressemble plus à un mouvement d’inspiration gaulliste qu’à une formation politique à proprement parler. C’est là, du moins, ce que les personnes présentes hier à la Halle Freyssinet ont compris. Eugénie, consultante en communication et membre du Club Villepin, veut y croire : « J’espère que le mot solidarité ne sera pas un vain mot », dit-elle. Des jeunes militants, eux, forment avec leurs doigts le « V » de victoire. Mais la victoire où, quand, comment ?

Widad Ketfi et Latifa Zahi

Widad Kefti

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