Ici, à Nice, ne vous étonnez pas si vous voyez des jeunes filles délurées parlant russe se ruer sur les plages pleines à craquer. Soyez encore moins étonnés si les mémés et pépés ont des teints cramés à l’auto-bronzant ou des tronches badigeonnées de crèmes pailletées. Parce qu’ici, à Nice, l’apparence compte plus que n’importe où ailleurs. A l’image de Christian Estrosi… Ami d’enfance de notre cher Sarkozy, propulsé à la mairie de Nice en 2008 et appelé il y a une semaine au ministère de l’industrie.

Christian Estrosi n’a pas mauvaise réputation dans sa ville. Le maire semble bien gérer la situation et séduire les habitants. Jamais je n’aurais cru entendre tant de compliments à son propos, lui qui se dit en faveur du « rétablissement de la peine de mort pour certains crimes » et qui se bat pour « le rapatriement de la dépouille de Napoléon III sur le sol français ».

Linda n’a pas la quarantaine, mais elle a déjà la fâcheuse habitude de se tartiner le visage de crème auto-bronzante. Pour elle, « Nicolas Sarkozy est le meilleur des présidents » et « Estrosi un bon maire ». Linda parle plutôt fort devant sa porte d’immeuble et dit « n’avoir honte de rien ». Elle déclare « avoir voté pour Estrosi » l’an dernier. Elle ne regrette rien, se félicite des « dizaines de caméras de vidéosurveillance installées ». La sécurité est un point sensible, à Nice.

Les uns sourient et assurent que la ville n’a jamais été aussi bien contrôlée. Les autres sont mous du faciès et préfèrent ne pas se prononcer. Sans doute parce que c’est dans les mentalités de ne pas trop parler, de ne pas dévoiler son prénom, de ne jamais dire ouvertement ce que l’on pense. Au coin d’une allée, un vieillard se tient à une rambarde en bois. Il tente d’avancer, lentement. Sans doute une promenade de santé… Lui, au moins, y va franco : « J’ai voté pour Estrosi. » Et pourquoi donc ? « Parce qu’il a pu me payer des fenêtres antibruit, qui font taire le boucan extérieur. » Estrosi paye donc des fenêtres à l’un de ses administrés, et peut-être paye-t-il à d’autres des chaussures compensées pour leurs pieds attaqués par l’arthrose ou des lunettes de soleil pour se protéger des rayons. Que serait la politique municipale sans le clientélisme ?

Rares sont ceux qui s’affichent en opposants au maire. Ils sont même introuvables. On a beau leur crier « sortez de vos cachettes », ils n’en sortiront jamais. Seule Nassera a un début d’anti-estrosite aigu. La jeune femme s’occupe des personnes handicapées et âgées. Un an seulement qu’elle a ses papiers français, après sept années de combat. Et pour elle, avec le maire, « tout le monde n’a pas sa chance ». Comme un maître d’école, le monsieur a ses chouchous. Nassera affirme qu’il est difficile de trouver un logement, à part pour certains. Qu’il est difficile de trouver un emploi, à part pour certains. Celle qui vit dans une petite chambre avec son père n’a pas encore demandé de logement à la mairie. « Parce que je ne veux pas aller vivre à Saint-Augustin ou dans d’autres quartiers sensibles. » Des cités cachées de la ville bourgeoise, qui sont « pires que l’Algérie », lâche naturellement Nassera.

Elle sera la seule à m’en parler de ces quartiers, où le taux de chômage explose, où les logements sont des taudis, où la violence est devenue banale. Où les jeunes sont déscolarisés, où les parents triment, triment. C’est un peu « cachez cette misère que je ne saurais voir ». Parce qu’ici, à Nice, on a une habitude : parler du maire (en bien), lui cirer les pompes pour lui demander, plus tard, une faveur.

Mehdi Meklat, à Nice

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