Sa vie a basculé un samedi de novembre. Il y a tout juste deux ans. Chez lui, aux Mureaux, à l’occasion d’un casting organisé par l’agence The Claw Models. « A la base, j’accompagnais un pote, se souvient-il. On y croise des gens et des mamans que l’on connaît. Tous me disent, vas-y, toi aussi passe le casting. Au final, je le fais. Ça se passe bien, puis trois ou quatre jours plus tard je reçois un mail de l’agence qui m’informe vouloir me rencontrer pour signer un éventuel contrat. »

Le racisme envers les Sud-Asiatiques est vraiment banalisé par rapport aux autres formes de racisme. On est souvent formaté à devenir informaticien, ingénieur, ou autre. Or, de jour en jour, on voit bien que c’est en train de changer.

Réputée pour promouvoir la diversité, l’agence internationale, basée à Paris et Milan, finit par faire signer au jeune Muriautin un premier contrat d’un an. Pourtant, rien ne prédestinait cet ancien ailier du Mureaux Basket Club à devenir mannequin. Dernier né de sa famille, François grandit avec ses trois sœurs dans le quartier des Musiciens.

François Delacroix au dernier défilé Lemaire pour la saison Printemps-Été 2022.

D’origine indienne par ses parents arrivés (de Pondichéry) en France en 1991, il passe par le collège Jules Verne avant de filer au lycée Le Corbusier à Poissy où il obtient un bac STMG. « J’ai connu une enfance assez basique, entre l’école, la maison et le basket. La mode ? Ce n’est pas quelque chose qui m’intéressait plus que ça. Puis plus j’avançais dans l’âge conscient, plus j’ai laissé pousser mes cheveux, comme quand j’étais petit. Il s’avère que ça plaisait. C’était flatteur mais je ne me disais pas : deviens mannequin.»

Le mannequinat m’aide à affirmer ma double culture.

Depuis, il fait partie, du haut de son mètre 84, des nouveaux visages de la mode. Un visage qu’il apprend à façonner. A aimer aussi. «Quand je discute avec les photographes, le mot qui ressort souvent dans les shootings est ‘atypique’. Il faut dire que dans l’industrie du mannequinat, il n’y a pas beaucoup de modèles Sud-Asiatiques aux cheveux longs. Je reçois d’ailleurs régulièrement des messages de personnes indiennes, sri lankaises, tamouls qui me disent qu’à travers mon parcours ils sont fiers de leurs origines. Le mannequinat m’aide aussi à affirmer ma double culture. »

François Delacroix, avec son allure longiligne, ses cheveux longs, séduit les plus grands créateurs. Ici avec la maison Lemaire.

Une double culture sur laquelle il souhaite s’appuyer pour délivrer quelques messages et ainsi offrir une forme de visibilité, de représentation ou simplement de fierté à tous ces jeunes qui en manquent. «Etre issu d’une double culture, c’est une vraie richesse, poursuit-il. Le racisme envers les Sud-Asiatiques est vraiment banalisé par rapport aux autres formes de racisme. Alors quand je vois de plus en plus de personnes de mon ethnie (tamoul) qui se lancent dans des milieux artistiques, je trouve ça beau pour l’impact envers la jeunesse. On est souvent formaté à devenir informaticien, ingénieur, ou autre. Or, de jour en jour, on voit bien que c’est en train de changer.»

On peut beaucoup bosser pendant plusieurs mois, puis parfois il n’y a aucun shooting, aucun casting qui fonctionne, aucune option qui se confirme.

Alors qu’il a décroché un BTS en commerce international à l’été 2020, il a resigné un contrat de trois ans avec la même agence. Quand il n’est pas chez lui aux Mureaux, il multiplie les défilés et les séances photos. Des podiums de la Fashion Week aux shootings pour les magazines Dazed ou Paulette, il a tapé dans l’œil des stylistes de la Maison Lemaire, de la marque de prêt-à-porter De Bonne Facture ou encore du groupe Printemps.

« Etant donné que j’ai un profil polyvalent pour le commercial et les défilés, je m’en sors bien. Mais cela demande beaucoup de flexibilité et d’énergie. Il faut savoir jongler et enchaîner les allers-retours à Paris, au Portugal, en Allemagne, en Espagne, en Suède, sans jamais avoir le temps de voir quoi que ce soit de la ville. C’est parfois très dur psychologiquement. On peut beaucoup bosser pendant plusieurs mois, puis parfois il n’y a aucun shooting, aucun casting qui fonctionne, aucune option qui se confirme. »

La photo de Kamila K Stanley pour le magazine Paulette exposée au Musée Louviers en Normandie.

Conscient du côté instable d’un milieu parfois cruel et brutal, il ne se ferme aucune porte. Son diplôme en poche, il a décidé de s’offrir une année sabbatique afin de se consacrer entièrement aux opportunités dans la mode. Lucide, il ne s’interdit pas non plus de poursuivre ses études vers une licence professionnelle. Avec une pensée, en cette fin d’année, pour le styliste de Louis Vitton Virgil Abloh, récemment décédé des suites d’une forme rare de cancer. François était particulièrement fan du créateur de la marque Off White.

« Si jamais je défile un jour pour Off White, ça me fera bizarre de savoir que Virgil Abloh n’est plus derrière, concède-t-il. Il s’agissait d’un designer parti de rien, comme nous, qui a rencontré le chemin de Kanye West avant d’impacter le monde de la mode. J’ai une grande  admiration pour lui. »

Florian Dacheux

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