Elle parle français avec un léger accent italien. Du haut de ses 23 ans, Yasmine Ouirhrane est étudiante à Sciences Po Bordeaux mais elle n’y met pas souvent les pieds. Elle préfère vadrouiller aux quatre coins du monde et profite de son année Erasmus pour défendre son discours féministe et anti-discriminations. Il y a un mois, elle s’est exprimée à Bruxelles, le mois d’avant à New York ; cet été, elle sera au Canada. Pour l’instant, la jeune italienne d’origine marocaine a posé ses valises en Espagne, le temps d’un stage.

Le temps aussi de faire une pause car ce mois d’avril 2019 fut particulièrement éprouvant pour elle. La « faute » à une récompense : celle de « jeune européenne de l’année », décernée par la fondation Schwarzkopf à Yasmine début mars. Une reconnaissance qui vient couronner « son engagement en faveur de l’égalité hommes – femmes et de l’égalité des chances pour les migrants en Europe » selon le jury, avec la possibilité de faire un stage dans une institution européenne ou internationale.

Ce prix, Yasmine l’a obtenu en coordonnant, entre autres, l’édition 2018 du YOFest, un festival européen de débats et d’échanges à destination de la jeunesse. En trouvant des sponsors, elle a permis à deux délégations venues de quartiers populaires de participer à ce festival qui a réuni près de 8000 jeunes à Strasbourg. « J’étais tellement contente quand un étudiant de Bordeaux m’a dit que grâce à ce voyage, il se sentait français pour la première fois », se souvient-elle.

Une fille enthousiasmante, capable de motiver et mobiliser

Très émue, la jeune femme a posté un tweet pour annoncer son prix. Sans se douter qu’elle allait s’attirer les foudres de la fachosphère, l’annonce de sa récompense étant reprise par des élus et militants d’extrême-droite. Marine Le Pen finit de faire de son prix une polémique en publiant un tweet qui sera partagé plus d’un millier de fois.

Sur la photo, on voit Yasmine porter, à bout de bras et avec un grand sourire, le drapeau européen. Mais les harceleurs sur Twitter sont obnubilés par le voile qui couvre ses cheveux : « Ça m’a beaucoup atteint au début de taper mon nom sur Google et de voir que certains blogs m’associaient à Daesh », se souvient l’étudiante. Heureusement, elle est soutenue par ses proches. Sa soeur Sara, de deux ans son aînée, s’est inquiétée : « Elle prenait les remarques personnellement, elle m’envoyait des captures d’écran. Mais plus les messages de haine étaient nombreux, plus elle se rendait compte qu’ils étaient ridicules ». L’acharnement est tel que même son ancien proviseur, également visé, a supprimé son compte Twitter. Yasmine a finalement décidé de prendre un avocat et de porter plainte contre Marine Le Pen.

Dans la tempête, la fondation Schwarzkopf est, quant à elle, restée droite dans ses bottes : « Ils m’ont appelée le jour même et ont incité leurs membres à me soutenir sur les réseaux sociaux ». « Yasmine nous a montré son rêve d’une société européenne dans laquelle tous les êtres humains sont égaux », écrit la fondation dans son communiqué.  L’égalité est, en effet, le premier combat de la 14e lauréate du prix. Elle qui est issue d’un milieu modeste connaît les discriminations et veut que son parcours soit inspirant. Sa soeur aînée est admirative : « C’est une fille enthousiaste capable de motiver et de mobiliser les jeunes qu’elle croise en leur transmettant ses passions. »

Yasmine Ouirhrane lors d’un débat citoyen européen à Rome en 2017

Un père marocain, une enfance en Italie, un bac littéraire en France

Quant à son voile, Yasmine ne souhaite pas franchement en parler… au nom de sa laïcité : « Je ne suis ni dans la revendication ni dans la renonciation. Je veux m’auto-définir sans étiquette. Je m’exprime d’abord en tant que femme, ensuite en tant que jeune et puis en tant qu’européenne issue de l’immigration ». Son père marocain s’est installé en Italie dans les années 1990. Avec sa femme italienne, il a ouvert un restaurant, « Le Marrakech », pour partager sa culture. Née dans une ville assez conservatrice du nord de l’Italie, à Biella, Yasmine dit avoir reçu une éducation à l’italienne : « J’ai grandi dans une société où la religion était centrale. En Italie, toute la vie sociale se fait à l’église. J’ai même appris à coudre à l’église, j’y ai passé toutes mes vacances scolaires ». A l’école justement, l’adolescente était en échec, comme son frère et sa soeur. C’est pour les sauver que leurs parents ont décidé de traverser la frontière et de s’installer en France, à Grenoble.

À l’époque, Yasmine avait 15 ans. Elle se découvre une passion pour la littérature française et s’investit pour décrocher son bac L. « Jean-Paul Sartre m’a énormément marqué avec son existentialisme. Cette idée que l’on est maître de ses choix », explique-t-elle. C’est au même moment qu’elle décide de porter le voile, malgré les réticences de ses parents. En couvrant ses cheveux, elle fait face au nouveau regard porté par la société. Pour elle qui a soif de liberté, les discriminations sont un coup dur : « Beaucoup ont du mal à l’entendre mais mon voile est un choix féministe. Je suis libre de montrer ou de ne pas montrer mes cheveux à qui je veux, quand je le veux », insiste la jeune femme.

Un aplomb qui lui permet d’intégrer Sciences Po, puis de prendre la parole dans le monde entier face à des assemblées de ministres ou d’ambassadeurs, en usant de son polyglottisme (elle parle cinq langues, le français, l’italien, l’arabe, l’espagnol et l’anglais)… En plus d’être l’européenne de l’année, Yasmine a aussi été nommée en 2018 « jeune leader pour l’égalité hommes-femmes » par l’association Woman Deliver, basée à New York. Pour la suite, la jeune femme pense déjà à œuvrer pour la coopération internationale, entre l’Europe et l’Afrique notamment. De quoi continuer à porter sa voix autour du monde, n’en déplaise à certains.

Nesrine SLAOUI

Crédit photo : Bibbi ABRUZZINI

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