Dans le bus qui le mène vers la mairie de Clichy-sous-Bois, Mohammed fait défiler les vidéos des heurts de la veille. Des mortiers d’artifices éclatent entre les barres d’immeubles du Bois du Temple, un quartier sensible de la ville.

La mort de Nahel, 17 ans, tué à bout portant par un policier mardi matin à Nanterre, a propagé la colère jusqu’ici. « L’histoire en elle-même, les réactions des journalistes et des responsables politiques… C’est déconcertant. C’est normal que les gens ne supportent plus ça », commente Mohammed, un associatif du coin, en regardant par la fenêtre du bus. « Ça aurait pu être moi, ça aurait pu être mon pu être mon petit-frère…»

« Hier, ça a pété du côté de Bois du Temple, au Chêne-Pointu aussi et à côté de la Poste, il y a un Kangoo cramé », énumère à son tour William, gérant du bar-tabac encastré dans le supermarché Ela. Ici, la mémoire des révoltes urbaines déclenchées par le décès de Bouna Traoré et Zyed Benna en 2005 semble ravivée.

« À l’époque, j’habitais juste en face », pointe William en indiquant au loin un immeuble en proie à la démolition. Il avait 19 ans et se souvient encore du bruit des hélicoptères qui survolaient la ville lors du couvre-feu. « Presque 20 ans après, on en est au même point », constate-t-il, las.

Les feux vont s’éteindre, mais la mère de ce garçon va rester sans son fils

Désormais, il observe ce drame en tant que père de famille. Derrière le comptoir, son petit frère de 17 ans écoute la conversation les bras croisés. « Il a le même âge que le gamin, vous imaginez ? », s’indigne William en désignant son frère. « Je pense surtout à la famille, les feux vont s’éteindre, mais la mère de ce garçon, elle, elle va rester sans son fils. » 

Comme les autres habitants de quartiers endeuillés par des homicides policiers, William connaît la rengaine. Un drame, la colère, une marche blanche, l’oubli et la réitération. « Du bidonville de Nanterre jusqu’à aujourd’hui, c’est un éternel recommencement », juge le gérant.

Sur le parking des immeubles alentours, des anciens, bien mis en ce jour de l’Aïd-el-Kebir, discutent en cercle. « Oui, je suis en colère, On est en colère », lâche sobrement Konaté, retraité. Près d’eux, des enfants, eux aussi sur leur trente-et-un, s’amusent à descendre une allée en pente en trottinette.

Adossés à une voiture, un petit groupe de jeunes commente les réactions en chaîne sur les réseaux sociaux. Emmanuel Macron a qualifié « d’inexplicable » et « d ‘inexcusable » la mort de Nahel et a exprimé son souhait que « justice passe ».

« Là, ils parlent parce qu’ils ont peur que ça pète, mais quand ça va retomber, qu’est-ce qu’il va se passer ? Les policiers vont être mutés en province ? », interroge Amine, circonspect. Eux gardent en mémoire les condamnations a minima ou les non-lieux prononcés par la justice après des violences policières. Comme les policiers mis en cause après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré qui ont été relaxés dix ans après le drame.

« C’est plus comme avant, aujourd’hui, ils te tirent dessus »

« Les émeutes qu’on a fait en 2005 n’ont servi à rien, c’est même pire, là ! Ils [les policiers] tirent à balles réelles », estime, quant à lui, Fabien, la petite trentaine. Lors de l’année 2022, 13 personnes ont été tuées après des refus d’obtempérer au cours de contrôles routiers, un record.

Au fait de la modification législative de 2017, assouplissant la notion de légitime défense pour les policiers, Fabien et Amine commencent à débattre de ce qu’il faudrait faire pour que les choses changent. Réformer l’IGPN, revoir la formation des policiers…

« Mais arrête, c’est juste des racistes. Tu crois qu’il aurait fait la même chose avec le fils de Zemmour ?! (lequel a été mis en examen suite à un accident en état d’ivresse, ndlr) », interrompt un de leurs amis qui tend l’oreille. Amine cherche à nuancer, mais convient que pour certains policiers « un Arabe, c’est un Arabe ». En 2005 comme en 2023.

Héléna Berkaoui et Nadhuir Mohamady 

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