Au quartier Pablo Picasso à Nanterre, c’est le calme plat en ce mercredi après-midi. Ça et là, quelques enfants s’amusent dans le Parc André Malraux qui jouxte le quartier. Quelques passants déambulent entre les “tours nuages, à l’architecture si particulière, tout en hauteur et en courbes. On pourrait croire que rien ne s’est passé hier. À première vue, les rues ne portent aucune trace de la colère qui a explosé dans la nuit de mardi à mercredi.

Pourtant, lorsque l’on tend l’oreille, la mort du jeune Nahel, 17 ans, qui habitait à deux pas avec sa famille, est dans toutes les bouches. « Quand j’ai vu la vidéo au début, je me suis dit, “c’est pas possible, c’est une vieille vidéo qu’ils ont ressortie, ça ne peut pas être lui” »,  s’exclame une adolescente. Les mots sont à peu près les mêmes dans la bouche d’enfants d’une dizaine d’années.

« On a toujours connu ça ici », lâche James, 50 ans qui est né et a grandi dans le quartier. En nettoyant sa voiture au pied de son immeuble, il se remémore sa jeunesse à Nanterre émaillée de drames du genre. « Ici même, quand j’étais gosse, mon frère de sept ans est descendu du bâtiment et a traversé la route. Il est mort percuté par une voiture de la gendarmerie. »  

« La colère est vraiment à un autre niveau de ce qu’on a pu connaître »

À Nanterre, c’est le ras-le-bol général. La colère déborde, même chez celles et ceux qui ne connaissaient pas Nahel. « La colère est vraiment à un autre niveau de ce qu’on a pu connaître, observe Naomie, 23 ans. Des images de violences policières, on en a vues, mais là, on a le son, on entend ce que disent les policiers, c’est tellement choquant. »  

Comme beaucoup de ses amis, Naomie, qui a travaillé pendant presque quatre ans comme animatrice pour la ville de Nanterre, a découvert les images dès son réveil ce mardi. Un choc. Elle décrit une présence policière constante dans le quartier “les Pablos”. « C’est vraiment insensé, enrage-t-elle. Je travaillais avec des enfants dans une structure ouverte dans le quartier. Parfois, on jouait dehors, les enfants allaient se cacher et revenaient les yeux rouges de lacrymo. » 

D’après elle, dès l’adolescence, le risque d’être confronté à la police « est une réalité » pour les jeunes Nanterriens. « Il suffit d’être au mauvais endroit au mauvais moment pour se retrouver en garde à vue. »

Comment on peut appeler au calme, on a les images d’un meurtre sur la place publique

« Il y a deux ans, on a perdu un proche, se souvient Naomie amère. C’était cette fois un accident de la route avec la police. » Reste que le choc des images devenues virales sur les réseaux sociaux se fait sentir. « Lors de l’accident il y a deux ans, ça avait un peu pété le premier soir, mais les grands avaient réussi à calmer ça, explique Naomie. Là, comment on peut appeler au calme, on a les images d’un meurtre sur la place publique. »

Une soirée de tension et de colère

Nolan, qui habite à Pablo Picasso est rentré chez lui vers 23h30 mardi soir, au début de la révolte qui a animé le quartier une bonne partie de la nuit. Il confirme le sentiment de Naomie : « Il y a certaines personnes du quartier, des grands, qui essayaient de faire en sorte qu’il y ait le moins de casse possible, le moins de voitures brûlées. Mais tout le monde comprend et partage la colère, personne n’est vraiment prêt à tempérer. » 

En bas d’une tour, deux jeunes font défiler sur leur téléphone les vidéos des affrontements qui ont essaimé dans la nuit, principalement des tirs de feux d’artifices contre des jets de gaz lacrymogène. Plus loin, un homme de 33 ans explique qu’il était en première ligne hier. « On sent que c’est la seule solution et on a vraiment l’impression que cette fois, on peut faire changer les choses », avance-t-il. 

On a le sentiment que ça arrive tous les ans et qu’il ne se passe rien, mais pas cette fois

« On a tellement l’impression que la police agit en toute impunité, qu’on peut avoir le sentiment que les affronter est la seule solution, déplore Nolan. On a le sentiment que ça arrive tous les ans et qu’il ne se passe rien, mais pas cette fois. »  La tension ne semble pas retombée mercredi en fin de journée. Alors que la mère de Nahel, dans une courte vidéo postée sur les réseaux sociaux, appelle à une marche blanche jeudi, une nouvelle nuit de révolte paraît inévitable.

Une ville soudée

Au-delà de la colère qui traverse la communauté nanterrienne, il faut noter la solidarité qui est née instantanément après le drame.  « C’est comme ça à Nanterre, on est soudés, c’est ce qu’il y a de plus beau. Autour d’événements aussi dramatiques, on se rassemble. On ira à la marche blanche pour soutenir sa maman demain », détaille Naomie, qui rappelle qu’une cagnotte a été lancée. 17 000 euros ont déjà été récoltées, 24 heures après les faits.

Toute la communauté aux Pablo est solidaire

« Toute la communauté aux Pablo est solidaire, confirme Nolan. Et pas seulement ! Hier soir, j’ai vu des jeunes qui ne venaient pas d’ici prendre le RER en même temps que moi pour venir nous soutenir. » Sur les réseaux sociaux, les appels au soutien se multiplient, des jeunes d’autres villes de France mais aussi à des célébrités telles que Kylian Mbappé ou Omar Sy.

Hier soir, des tensions ont eu lieu dans plusieurs villes d’Île-de-France et même au-delà. Le ministre de l’Intérieur annonçait dans une conférence de presse ce matin que 31 personnes avaient été interpellées la nuit précédente dans le pays.

Un traitement médiatique « insupportable »

Dès l’annonce du drame, le petit refrain habituel du « délinquant bien connu des forces de l’ordre », a été relayé par de nombreux médias pour tenter de justifier l’injustifiable. Pour Naomie, ce traitement médiatique « est insupportable. ». En 2022, 13 personnes sont mortes des mains de la police suite à un refus d’obtempérer, un record.

« Il y a un très très grand travail à faire du côté de la police pour que les choses changent, estime la jeune femme. Il faut tout revoir dès la première brique, tout revoir sur la formation et sur le recrutement. Aujourd’hui, elle est formée à nous détester, comment voulez-vous que ça se passe bien ? »

Névil Gagnepain et Thidiane Louisfert

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