Un soleil radieux illumine les jardins ouvriers d’Aubervilliers. Petite touche de vert, au milieu du gris de béton. Situés à proximité du métro Fort d’Aubervilliers, les jardins ouvriers sont cultivés depuis des décennies par les familles et les habitants de la cité des Courtillières notamment. Ce samedi 27 février, à 11h, une dizaine de personnes s’y sont réunies pour visiter, ce qui pourrait être les derniers vestiges d’une vie collective faite de terreau et de bitume.

La visite est organisée par le “Collectif de défense des jardins ouvriers d’Aubervilliers”. Le but de l’opération ? Montrer l’importance du site et mobiliser massivement la population afin d’arrêter le projet de sa destruction. Depuis plus de 85 ans, les habitants du quartier du Fort d’Aubervilliers entretiennent l’héritage maraîcher de la Seine-Saint-Denis sur un carré de 7 hectares.

Dans la perspective des Jeux Olympiques de 2024, l’État prévoit de transformer, dès le mois de mai prochain, les 36 hectares du Fort D’Aubervilliers en un “écoquartier”, ou seront construits 2000 logements sur 226 000 m2, et 50000 m2 de locaux d’activité et de commerces, une piscine d’entraînement ainsi qu’une gare prévue en 2030 dans le nouveau réseau du grand Paris express. D’après le collectif, c’est plus de 10 000 m2 de jardins ouvriers qui seraient menacés.

C’est un lieu qui permet d’exercer une activité physique et d’être connecté à la terre. Cela aide à préserver sa santé mentale.

En septembre 2020, le collectif de défense des jardins d’Aubervilliers s’est constitué : des jardiniers, militants, photographes, et habitants du quartier mobilisé. « On a très rapidement, à partir de septembre, travaillé avec un architecte qui est dans le collectif pour pouvoir réaliser un document qui montre bien que la piscine peut être tout à fait construite sur les parkings. »,rapporte Dolores Mijatovic, une des militantes très impliquées du collectif dont la pétition compte plus de 44 000 signataires.

Un impact social et alimentaire non négligeable

En ce début de weekend de mars, une vieille dame jardine comme à son habitude avec du cœur à l’ouvrage. « On peut faire pousser des potirons et des pommes de terre », lâche-t-elle, sur un ton enjoué. Et nous incite à l’imiter. Barbara, une jeune femme d’une trentaine d’années est venue participer à l’excursion. Pour elle, l’endroit s’avère essentiel, particulièrement en cette période de pandémie. « C’est un lieu qui permet d’exercer une activité physique et d’être connecté à la terre. Cela aide à préserver sa santé mentale. »

« Il y a 86 parcelles, avec un jardinier titulaire pour chacune d’entre elles. Il y a un titulaire, mais souvent on est plusieurs sur les parcelles, parce que, mine de rien, même si elles ne sont pas très grandes, je me suis rendue compte que c’est beaucoup de travail pour les arroser, planter et entretenir », explique Dolores Mijatovic.

L’association qui gère les jardins les attribue selon une procédure similaire à une recherche d’emploi : les personnes intéressées présentent leur projet, puis rédigent une lettre de motivation. Le lieu se compose de jardins vivriers qui ont pour fonction principale de nourrir celles et ceux qui les cultivent.

Il y a de nombreuses personnes modestes : des ouvriers, des gens humbles qui ont besoin de la parcelle pour se nourrir. Si on les leur enlève, ils n’iront pas acheter des légumes au supermarché. 

Au-delà de l’apport nourricier des parcelles, beaucoup insistent sur l’impact social des jardins sur les populations isolées par la pandémie. « Il y a des jardiniers de toutes origines. Beaucoup d’entre eux sont âgés, et très attachés à leur parcelle. Il y a de nombreuses personnes modestes : des ouvriers, des gens humbles qui ont besoin de la parcelle pour se nourrir. Si on les leur enlève, ils n’iront pas acheter des légumes au supermarché », rappelle Dolores Mijatovic.

Viviane Griveau Genest, une titulaire des jardins, complète: « Pendant le confinement, il y a eu de vraies ruptures d’approvisionnement, donc bien manger, avoir accès à de la nourriture, ce n’est pas du luxe, c’est nécessaire ».

Des jardins précieux pour la biodiversité

Pour Viviane Griveau Genest, le projet de destruction de jardins révèle une aberration totale sur le plan écologique  : « Ce sont des jardins précieux pour la biodiversité. En Seine-Saint- Denis, les petites bêtes ont peu d’espace pour s’installer. Plus on fait pression sur ces bêtes en supprimant leur habitats, plus elles vont venir habiter avec nous. Et donc on peut récupérer les virus qu’elle véhiculent comme le Covid. C’est aussi à ça que sert de préserver des zones où les bêtes peuvent vivre. On a 36 espèces recensées sur ces jardins, dont 22 espèces d’oiseaux protégés, trois de mammifères, et une d’insectes. »

C’est un espace magnifique de respiration, un lieu naturel en ville ou il n’y en a déjà pas beaucoup. 

Avec ses lunettes sur le nez, Sylvie profite de l’excursion pour s’adonner à son art. L’artiste peintre d’une quarantaine d’années, armée d’un petit cahier, croque plusieurs parcelles des jardins. Elle ne tarit pas d’éloges sur l’endroit : « C’est un espace magnifique de respiration, un lieu naturel en ville ou il n’y en a déjà pas beaucoup. Ça permet aussi de faire diminuer la chaleur en été. »

Ce n’est pas avec leur bétonnage, leur écoquartier que ça va s’arranger.

Face à la crainte de voir disparaître les parcelles, elle dénonce l’irresponsabilité et l’inconscience des pouvoirs publics : « C’est incompréhensible. On est quand même face à une crise climatique qui va peser encore plus », fulmine-t-elle. « Surtout dans une commune parmi les plus pauvres de France, c’est vraiment important de garder un minimum de cadre de vie. Ce n’est pas avec leur bétonnage, leur écoquartier que ça va s’arranger. »

Une incompréhension partagée dans les jardins. Les habitués s’interrogent : pourquoi vouloir en finir avec le vivant et la nature en ville ? Surtout, si l’on considère qu’il existe d’autres solutions d’aménagement, comme construire certains équipements qui détruisent les jardins sur les toits des bâtiments déjà existants, comme le solarium en prévision. C’est justement, ce que propose le collectif depuis le début, et qui tous les jours gagne en popularité.

Dolores Mijatovic prévient : « on cherche des forces vives autres pour nous aider à faire encore plus. Il faut informer la population. On fait des visites tous les samedis matin, ce qui nous permet de réunir beaucoup de gens. Ils viennent voir ce qui se passe ici, en parlent autour d’eux, et relaient sur les réseaux sociaux. Si les gens qui veulent détruire les jardins persistent, il y aura des actions de résistance ». 

Hervé Hinopay

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