« On est des braves gens. Des pauvres gens qui ont travaillé toute leur vie pour avoir une petite maison, et là on espère qu’une chose c’est qu’ils nous fichent la paix quelques années dans nos maisons. » C’est le cri du cœur de Dany Kasparian, 83 ans, retraitée bondynoise. Elle et d’autres sont menacés d’expulsion par les travaux du Grand Paris, qui amèneront le métro jusqu’à Bondy. Non sans dommages collatéraux pour certains habitants. De cette colère est né un collectif anti-nuisance, à l’origine de la mobilisation de ce 4 décembre.

Dans ces pavillons on est des personnes âgées.

Parmi eux, les deux filles de Dany qui mènent pour leur mère, depuis près d’un an, un combat aux allures de David contre Goliath. « Y’a aucun métro qui n’a été prévu sur cette parcelle, rue Etienne Dolet ? Ce n’est que du bluff, on est des victimes. Puisqu’on est trois petits pavillons et chacun dans ces pavillons on est des personnes âgées », se désole celle qui a travaillé toute sa vie dans un studio photo de la commune.

Denise Kasparian, menacée d’expropriation, photographiée par la mairie de Bondy, en novembre 2019, sur le quai de la gare de la commune.

Une manifestation après des mois de dialogue de sourds

Ni la pluie et ni la météo peu clémente n’auront eu raison de la détermination des manifestants venus en nombre exprimer leur colère face aux travaux de la ligne 15 à proximité de la gare de Bondy. Des travaux, dont l’organisation pour les déblais du gros œuvre reste opaque pour les riverains, organisés sous la bannière du collectif Anti-nuisance.

Pour les organisateurs de la manifestation, le stockage de 230 000 tonnes de gravats, et l’installation prochaine d’une centrale à béton à proximité de la crèche départementale Janusz Korczak, paraissent inexplicables. De même que pour la fermeture d’une passerelle piétonne à proximité de la gare, et ce pour plusieurs années.

Nous sommes obligés de vendre, mais c’est eux qui fixent le prix. Mais où est la logique dans tout ça ?

En début d’après-midi, ce premier samedi de décembre, la première salve de personnes commence à arriver sur l’esplanade Claude Fuzier juste en face de l’hôtel de ville de Bondy. Le collectif à l’origine de cette manifestation avait tout prévu, une tonnelle sous laquelle se réchauffer avec un petit thé ou un café. Sur la même table se trouvent quelques tracts et un petit livret de deux pages agrafées l’une à l’autre, expliquant la nécessité de la mobilisation du jour et les objectifs du collectif.

Des riverains qui s’estiment oubliés par la société du Grand Paris

Avant cette manifestation, la société du Grand Paris et le collectif s’étaient rencontrés à la mairie de Bondy, le 14 septembre dernier. Une réunion vécue comme un dialogue de sourds du côté des riverains et du collectif. « Personnellement j’ai 83 ans, je suis à bout de souffle. Ils m’ont complètement usée en deux ans de désespoir, d’essayer de comprendre pourquoi, comment ? Nous sommes obligés de vendre, mais c’est eux qui fixent le prix. Mais où est la logique dans tout ça ? », s’époumone Dany Kasparian.

Petit à petit les manifestants commencent à affluer sur l’esplanade Fuzier, des personnes de tous âges venus d’un peu partout à l’image de Youcef qui s’est déplacé depuis Bobigny pour l’occasion. « Moi je suis un militant, je me bagarre aussi depuis 2015 pour la défense du parc de la Courneuve. Il y a vraiment des points de convergence entre ces deux projets, parce qu’à la base le problème c’est la spéculation immobilière. Je me sens mobilisé, donc je viens. ».

Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées dans la commune de Seine-Saint-Denis pour manifester leur peur face aux travaux du prochain métro.

« En plus j’ai appris que parmi les personnes touchées par l’expropriation, il y a une femme qui s’est suicidée quand même », déplore-t-il en évoquant le sort de la bondynoise Mme Yazar, disparue il y a un an jour pour jour, le 6 décembre 2020.

Ce n’est pas parce que qu’on est dans le 93 qu’on doit faire n’importe quoi avec les habitations et la vie des gens.

Pas très loin de là, certains sont venus avec des pancartes sur lesquelles on peut y lire : « Le métro : oui ; la spéculation non ! » ou encore « Mettez du blé, pas de déblais ! ». Alors que la foule grossit à vue d’œil, c’est Lydia Kasparian, la fille de Dani, se glisse sous la tonnelle pour prendre la parole au micro placé pour l’occasion. Dans l’assemblée sont présents, la maire sortante Sylvine Thomassin et l’actuel élu Stephen Hervé, qui devront se faire face de nouveau, début janvier, à la suite de l’annulation de la dernière élection municipale par le Conseil d’Etat.

Au micro, Lydia Kasparian rappelle que le collectif, dont elle est la porte-parole, s’est efforcé de monter un projet alternatif qui épargnerait la maison de sa mère et d’autres, mais que la SGP a refusé de prendre en compte. Tour à tour plusieurs manifestants se succèdent au micro dont Alain Boucher, président de l’association Bondy Ecologie et qui milite aux côtés des deux sœurs Kasparian au sein du collectif Anti-nuisance.

Les Bondynois veulent se faire « respecter »

Il est environ 15 heures lorsque les manifestants se mettent en marche, aux sons des tambours et des slogans repris en chœur par les participants. La manifestation se poursuit sans heurts et dans la bonne humeur. Le cortège se dirige alors à un rythme lent vers la rue Etienne Dolet où la manifestation est censée prendre fin. Une fois arrivés sur place certains manifestants déposent une fleur devant la maison de Mme Yazar qui s’est suicidée en décembre 2020 peu de temps après la réception de son avis d’expropriation par la SGP. Le cortège prend place devant la crèche Janusz Korczak où prend fin le rassemblement.

Devant la maison de Mme Yazar, les manifestants ont tenu à déposer des roses, en signe de recueillement.

Alain, membre du collectif, prend le micro, remercie la foule et rappelle la prochaine échéance importante pour le groupe de riverains qui se rendra mardi 7 décembre à l’Assemblée nationale pour présenter leur doléance au Ministre délégué auprès de la ministre de la Transition écologique, chargé des Transports, Jean-Baptiste Djebbari.

On a fait des économies toute notre vie pour avoir un pavillon en banlieue, et finir nos jours avec nos petits-enfants.

Chacun se félicite de la mobilisation d’aujourd’hui à l’image de Françoise, ancienne directrice de l’école Pierre Curie situé au sud de la ville : « Je me sens concernée parce que c’est la défense de la vie des Bondynois. C’est aussi pour dénoncer toutes ces injustices que je manifeste, il faut aussi dire que les Bondynois peuvent être respectés et qu’il faut les respecter. Ce n’est pas parce que qu’on est dans le 93 qu’on doit faire n’importe quoi avec les habitations et la vie des gens, il faut leur montrer qu’on existe ! ».

Dani Kasparian qui a juré de se battre jusqu’au bout pour conserver sa maison s’est émue de la mobilisation du jour, et n’a pas cessé de marcher à travers la foule pour prendre des photos avec son petit appareil, malgré son amertume. « On est des gens modestes. On a fait des économies toute notre vie pour avoir un pavillon en banlieue, et finir nos jours avec nos petits-enfants. Je suis désespérée et complètement perdue. C’est la vie. Je ne sais pas qui peut encore nous tendre la main. »

Félix Mubenga 

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