Le Bondy Blog : Avec Xavier Lemoine, le maire (Parti chrétien-démocrate) de Montfermeil, vous avez adressé une lettre ouverte au président de la République. Pourquoi ?

Olivier Klein : On entend depuis quelques semaines des bruits sur une possible remise en cause ou des retards sur la ligne 16 du métro du Grand Paris et donc de la gare de Clichy-Montfermeil. La raison invoquée ? Les coûts budgétaires auraient explosé. Mais pour nous, c’est une absolue nécessité que la gare soit livrée comme prévue en 2023 pour répondre aux besoins des habitants du territoire. Le métro va permettre de rapprocher de manière beaucoup plus efficace les habitants de Clichy et de Montfermeil aux sites d’emploi à Paris, Roissy ou Marne-la-Vallée, de rapprocher nos étudiants des sites d’études supérieures et nos enfants des sites de loisirs.

Nous avons accepté toutes les conditions exigées par la Société du Grand Paris (SGP) pour que cette ligne arrive dès 2023. On a construit le projet de rénovation urbaine sur ce métro. On a modifié les plans depuis presque dix ans parce qu’on nous avait annoncé l’arrivée de cette ligne. On ne peut pas accepter qu’on prenne du retard aujourd’hui alors que le chantier n’a même pas encore démarré.

Le Bondy Blog : Aujourd’hui, à quoi ressemble le quotidien d’un habitant de Clichy-sous-Bois qui doit se rendre à Paris pour le travail ou ses études ?

Olivier Klein : Alors qu’ils n’habitent qu’à une vingtaine de kilomètres de la capitale, les Clichois doivent compter environ 1h30 pour se rendre au cœur de Paris pour travailler ou étudier (soit 30 minutes de plus qu’un Paris/Lille en TGV, ndlr). C’est-à-dire passer trois heures par jour, aller-retour, dans les transports quand on additionne le bus, le RER et le métro.

Cela fait 50 ans que Clichy-sous-Bois n’a pas eu les infrastructures de transports nécessaires à son développement. On a construit ici beaucoup de logements sans faire les transports. Mes parents ont acheté sur plan en 1965-66 au Chêne-Pointu, sur les plans on leur proposait une autoroute et un métro. Aujourd’hui, il y a ni l’un ni l’autre. La ville a souffert de cet enclavement, ça explique en partie la paupérisation des populations.

Le Bondy Blog : Dans votre lettre ouverte, vous évoquez une « situation d’urgence ». Quelles sont ces urgences ?

Olivier Klein : Une des capacités pour garder le peu de mixité qui nous reste et surtout de faire que les familles qui vont bien ou de mieux en mieux demeurent à Clichy, c’est qu’elles aient une perspective des transports. Sinon les gens quand ils retrouvent du boulot, il n’ont plus qu’une idée en tête : réduire le temps de déplacement domicile-travail et donc quitter Clichy. Nous les accompagnons pour qu’ils aillent mieux et finalement nous ne leur donnons pas les conditions pour rester sur place. La mixité sociale, elle ne se décrète pas, elle ne se crée pas avec des gens qu’on fait venir d’ailleurs. Je crois en une mixité sociale du territoire donc en faisant en sorte que les habitants de Clichy et de Montfermeil aient des perspectives qui leur donnent envie de rester sur notre territoire et c’est le cas avec le métro, même s’ils savent qu’ils doivent attendre un petit peu.

Le Bondy Blog : Vous parlez également de « trahison », vous dites que « la candidature aux JO de Paris 2024 s’est servie de la Seine-Saint-Denis, de nos villes et de nos quartiers, pour donner du sens à son projet et convaincre les membres du CIO. Nous avons joué le jeu et voilà, nous sommes trahis ».

Olivier Klein : Je pense que les quartiers populaires sont les terreaux de la République. Il faut accompagner ces quartiers dans leur développement, dans leur capacité de réussir. Je dis juste que les Jeux olympiques sont un enjeu majeur, une fête mondiale et l’ensemble de la Seine-Saint-Denis doit pouvoir y participer. Déjà avant les JO, il faut que des habitants de Clichy-Montfermeil puissent travailler dans les chantiers qui vont précéder la compétition. Pendant les Jeux, il faut que des habitants de nos villes travaillent ou soient bénévoles. On parle 90 langues à Clichy-sous-Bois, ce serait bien le diable que l’on ne puisse pas avoir sur une ville comme la mienne des personnes qui fassent l’accueil alors que l’on va recevoir des gens du monde entier.

Il y a environ six millions de citoyens qui habitent dans les quartiers populaires, soit 10% de la population. Ils ont toute leur place dans la République, dans la société. En temps que maire et président du Conseil national de ville, c’est mon quotidien de faire en sorte que ces quartiers soient au cœur des préoccupations des pouvoirs publics et du gouvernement. Je parie sur les quartiers populaires et leur capacité à se faire entendre et être au cœur des réflexions pour les pouvoirs publics et qu’on pense que ces quartiers sont une vraie solution d’avenir.

Le Bondy Blog : Vous demandez à Emmanuel Macron de « ne pas relancer la guerre entre les territoires bien dotés et les autres ».

Olivier Klein : Ce que j’entends par là, c’est ne pas relancer la concurrence des territoires. C’est de ne pas arroser là où c’est déjà mouillé, de ne pas construire là où il y a déjà des transports en commun. Ce n’est pas une menace de nouvelles révoltes, mais c’est l’idée qu’on met ces territoires en concurrence et que dans cette concurrence, on privilégie ceux qui ont déjà beaucoup. Nous, ce que l’on veut c’est le respect des engagements : à la fois le tramway en 2019 et le métro en 2023 comme prévu.

Le Bondy Blog : Justement, vous évoquez le tramway. Dans une interview sur France Inter, la ministre des Transports Elisabeth Borne a voulu vous « rassurer », vous et le maire de Montfermeil, en vous rappelant l’arrivée du tram en 2019. Que lui répondez-vous ?

Olivier Klein : Le tramway et le métro sont deux éléments extrêmement complémentaires, ils ne se substituent pas l’un à l’autre. On ne peut pas considérer le tramway comme un lot de consolation. À Clichy-sous-Bois, ça fait 20 ans qu’on l’attend. On s’est battu pour l’avoir et c’est bien parce que le tramway, ça fait la ville. C’est un mode de transport sur de courtes distances, bien meilleur que ce qu’on a aujourd’hui. Ça sera beaucoup plus agréable pour les habitants que de prendre le bus tous les matins, tous les soirs, pour aller et revenir des deux gares RER voisines. Mais ça ne modifiera pas suffisamment les temps de transports comme le métro peut le faire.

Le métro du Grand Paris est spécifique parce qu’il est en périphérie. Il faut savoir qu’aujourd’hui pour les déplacements banlieue à banlieue, on est quasiment obligé de passer systématiquement par Paris. Ce qui est extrêmement handicapant et rallonge beaucoup les durées de transport. C’est pour ça qu’il faut le métro, en plus du tram. Et le plus vite possible.

Le Bondy Blog : Vingt ans pour raccorder quatre kilomètres du tramway T4 au reste du réseau, comment peut-on expliquer ce délai ?

Olivier Klein : Il a fallu malheureusement convaincre les pouvoirs publics, l’État. La première fois qu’on a parlé de ce tramway, c’était en 1998 avec le ministre des Transports de l’époque, Jean-Claude Guayssot. Le projet a ensuite été acté en 2005, lors des révoltes populaires, par Jacques Chirac. Puis, il y a eu des difficultés à convaincre les villes voisines. Entre 2005 et aujourd’hui, il s’est passé 12 ans. C’est beaucoup trop long pour un tram.

Les gens peuvent trouver qu’entre l’annonce et la réalisation d’un projet, ça prend beaucoup trop de temps et c’est l’un des enjeux : il faut réussir à réduire le temps de l’action publique pour que l’on construise plus vite, que l’on réalise plus vite des écoles neuves, que les changements s’incarnent. Quand on vit dans un immeuble où l’ascenseur et/ou le chauffage sont tout le temps en panne, on a du mal à se projeter sur la manière dont les choses vont évoluer plus tard. Ces habitants ont besoin de voir des changements rapides. Et on a une opportunité formidable qui a été annoncée depuis 2010 avec le métro du Grand Paris. Il ne faut surtout pas briser l’élan que l’on a construit autour de l’arrivée de cette ligne 16, rapide et moderne.

Le Bondy Blog : Les investisseurs sont-ils prêts à parier sur la Seine-Saint-Denis et Clichy-sous-Bois ?

Olivier Klein : Bien sûr ! Il y a quelques années, aucun promoteur ne venait proposer de construire à Clichy-sous-Bois. Là, plusieurs promoteurs de renom ont participé à l’appel à projets « Inventons la métropole du Grand Paris ». Ça démontre que le territoire est en train de changer, qu’il devient attrayant. Autour de la future station de métro, il y a des fonds de commerce qui sont disponibles et de nouveaux logements en construction. 2023, c’est une date que l’on peut toucher du doigt, qui est acceptable même si ce n’est que dans sept ans.

Mais si le métro devait être repoussé au-delà, ça serait une décision lourde de conséquences pour le territoire. On va perdre la dynamique que l’on a engagée avec les Jeux olympiques, les promoteurs mais aussi avec le projet culturel des ateliers Médicis. C’est une résidence d’artistes sur le principe de la Villa Médicis de Rome. Une action culturelle à envergure nationale et internationale : des artistes viendront s’installer à Clichy-Montfermeil pour travailler leur art et être au contact des habitants. La culture, c’est un élément fondateur dans nos quartiers populaires, un élément qui permet aux habitants de se rencontrer, de partager, de construire des projets ensemble.

Le Bondy Blog : En octobre, vous avez participé aux États généraux de la politique de la ville. L’opportunité de tirer la sonnette d’alarme et de dire « n’oubliez pas les quartiers populaires » ?

Olivier Klein : Tout à fait. Je pense que les premiers signaux envoyés par ce gouvernement ont manqué de clarté sur les objectifs : la baisse des crédits aux associations, la baisse des emplois aidés, la question des APL, la question des transports. Autant de signaux qui me paraissent inquiétants. C’est pour cela que l’on attire l’attention du gouvernement. Je pense qu’ils ont tout intérêt maintenant à faire des annonces concrètes en direction des quartiers. Et l’une des annonces, ça pourrait être : « ne vous inquiétez pas, la ligne 16 qui touche en particulier des quartiers populaires sera faite en temps et en heure en 2023-2024 ».

Le Bondy Blog : En 2005, lors des révoltes populaires, vous étiez premier adjoint. Douze années se sont écoulées depuis. Quel regard portez-vous sur Clichy-sous-Bois ?

Olivier Klein : Je ne fais pas partie de ceux qui disent que rien n’a été fait, au contraire. On a réalisé un magnifique programme de rénovation urbaine, on a construit trois écoles, on est en train d’engager le quartier du bas Clichy vers une politique de profond renouvellement urbain et une opération d’intérêt national avec pour la première fois une loi qui permet d’agir vraiment pour les quartiers en copropriété dégradée. Oui, on ne fait jamais assez vite, on ne va jamais assez loin. Mais du fait de l’enclavement, la question sociale et la fragilité des populations n’est pas encore suffisamment réglée. Clichy reste une ville dont la population est fragile, plongée dans des difficultés sociales. C’est pourquoi, il faut désormais faire en sorte que Clichy sorte de son enclavement grâce aux transports.

[MISE A JOUR] Le 13 novembre 2017, lors d’un déplacement à Clichy-sous-Bois, Emmanuel Macron a nommé le maire de la commune Olivier Klein président de l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru). Durant cette visite consacrée à la politique de la ville, le président de la République a également assuré que « L’État respectera ses engagements » et « tiendra les délais » de la future ligne 16 du métro du Grand Paris Express, prévue pour 2023-2024.

Propos recueillis par Kozi PASTAKIA

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