« Quand j’ai été contacté, vendredi, pour participer à ce débat, j’ai d’abord hésité, confie le maire (PCF) de Stains. Puis je me suis dit que cela était une occasion de prendre la parole, de revenir sur la rupture d’égalité républicaine que nous combattons. J’ai donc demandé la parole, à plusieurs reprises, pendant près de deux heures. »

Simple négligence de la part des organisateurs ou réelle volonté de le faire taire ? L’édile stanois est convaincu de la deuxième option. « J’ai vite compris que j’étais invité, mais surtout invité à ne pas prendre la parole, dit-il. L’organisateur m’a très bien vu demander la parole à de nombreuses reprises. Ne pas me la donner, c’était un choix totalement voulu, totalement délibéré. Même les maires assis à mes côtés étaient embarrassés. Tout était bien huilé pour que celles et ceux qui prennent la parole ne remettent pas en cause le président de façon trop virulente. »

Et Azzédine Taibi de remettre en cause la « mascarade » organisée lundi soir à Evry-Courcouronnes. « Il n’y a pas eu de débat de fond, c’était très technique, regrette-t-il. Les trois quarts des interventions ont été choisies par l’Elysée. » 

De leur côté, le service presse de l’Elysée ainsi que le cabinet du ministre Lecornu rappelle qu’ « il y a eu 67 interventions prises à la volée par le ministre et 38 maires qui se sont exprimés. Sauf pour les 4 premières interventions qui ont été programmées pour assurer une représentation politique équilibrée, le ministre a donné la parole à ceux qui l’ont demandé progressivement. La parole a été libre».

Sur le fait que le maire de Stains n’aurait pas pu s’exprimer en raison de son recours contre l’Etat pour « rupture d’égalité républicaine» le cabinet du ministre précise que « M.Lecornu n’avait pas d’information concernant le maire de Stains ».

Le Bondy Blog a décidé de publier le texte de l’intervention qu’avait prévu de faire le maire de Stains.

Monsieur le Président,

Vous nous avez invité à dire notre part de vérité, vous pouvez compter sur moi pour vous le dire en toute franchise.

On entend souvent dire que les quartiers populaires ont été les grands absents de la mobilisation des gilets jaunes.

La vérité, Monsieur le Président, c’est que cela fait des années et des années que nous nous mobilisons pour nos droits, pour l’égalité et pour la dignité. Des années qu’on nous répète que des flots d’argent se déversent sur les banlieues.

La vérité, Monsieur le Président, et je vous le dis sans détour, c’est que nos quartiers populaires sont délaissés ; pire, ils sont stigmatisés, non considérés, non respectés.

La vérité, Monsieur le Président, c’est que les politiques spécifiques nous emprisonnent, nous stigmatisent et nous éloignent chaque jour du droit commun.

Vous le savez, un rapport parlementaire inédit a été publié l’an dernier sur l’action de l’Etat en Seine-Saint-Denis, pointant « la République en échec ».

La vérité, Monsieur le Président, est que dans au moins trois domaines, mais nous savons tous que c’est plus, l’Etat recule, partout, pour tous en Seine-Saint-Denis :

• L’éducation : l’Etat dépense 47% de plus pour un lycéen parisien que pour un élève de Seine-Saint-Denis.
• La justice : des délais d’audience 3 à 6 fois plus long qu’ailleurs en Île-de-France, avec des conséquences très concrètes sur la protection des mineurs, sur les femmes victimes de violences et qui ne peuvent quitter le domicile conjugal, la lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil.
• La sécurité, enfin, avec des policiers moins nombreux qu’ailleurs en région parisienne. À Stains, par exemple, c’est 1 commissariat pour 2 villes, c’est un policier pour plus de 580 habitants, contre 1 pour 310 à Paris.

Laissez-moi tenter de vous expliquer la situation de ma ville, Stains. Vous savez, la ville où vous avez déclaré lors de la campagne présidentielle : « Allez à Stains, expliquez aux jeunes, qui font chauffeurs Uber, qu’il vaut mieux aller tenir les murs ou dealer. Allez leur expliquer ! »

La vérité, Monsieur le Président, est que, au quotidien, le recul des services publics de l’Etat sont criants : c’est le centre des impôts qui a fermé, un CIO en survie, la CPAM et la Poste dont les rideaux sont baissés 1 jour sur 2, c’est un ancien gendarme affecté au lycée de Stains alors que les enseignants, élèves et parents d’élèves réclament davantage d’enseignants, d’assistants d’éducation.

La vérité, Monsieur le Président, c’est tout le sens du recours que nous engageons contre l’Etat pour rupture d’égalité républicaine, avec les maires de l’Ile-Saint-Denis, Mohamed Gnabaly qui est à côté de moi, de Bondy et de Saint-Denis.

La vérité, Monsieur le Président, c’est que l’on ne demande pas l’aumône, nous sommes dignes et fiers, nous réclamons le respect, nous revendiquons le droit commun, l’égalité républicaine. Ce recours s’impose face au danger qu’encourent nos habitants !

La vérité Monsieur le Président, est que nous prenons nos responsabilités pour les protéger alors qu’ils ont le sentiment que vos seuls intérêts sont de protéger le monde de la finance.

Monsieur le Président, il est grand temps ouvrir les yeux. De l’argent, il y en a et vous êtes directement responsable de la colère populaire par les mesures injustes que je ne citerai pas ici car tout le monde les connaît et que vous avez instituées ou que vous avez laissé perdurer.

Alors ma question sera simple : quels moyens avez-vous prévu de mettre sur la table pour mettre fin aux discriminations et aux injustices que nous subissons depuis trop longtemps ?

Quand allez-vous mettre un terme aux politiques spécifiques, aux avantages fiscaux pour les plus riches et des miettes pour les autres, pour les habitants de nos quartiers populaires ? Et faire que le droit commun s’applique enfin !

La vérité, Monsieur le Président, si vous ne le faites pas, désolé de vous dire que vous vous rendez complice et responsable de non-assistance à habitants en danger. Et je pense aux millions d’habitants des quartiers populaires, jeunes, retraités, chômeurs, travailleurs pauvres, classes moyennes qui se sentent méprisés et abandonnés.

Et pourtant les atouts, les richesses humaines, les solidarités collectives sont réelles et exceptionnelles dans nos quartiers populaires.

La vérité, Monsieur le Président et ce sera la dernière, est que votre grand débat national, permettez-moi de vous le dire en toute franchise, s’apparente à la présentation de votre programme électoral.

La vérité, Monsieur le Président, est que l’État doit prendre la mesure de ce qui se passe réellement sur le terrain, la souffrance réelle des habitants.

L’État doit cesser de tourner le dos aux habitants des quartiers populaires !

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