On ne pouvait pas faire plus symbolique. Zinedine Zidane, le dernier lauréat français (1998), a remis le Ballon d’Or à Benzema, lors de la cérémonie organisée au théâtre du Châtelet. Zizou, considéré comme l’une des plus grandes légendes de l’histoire de son sport, vient de sacrer celui qu’il considère comme son « petit-frère ». Son héritier.

Un trophée récompensant la saison stratosphérique du joueur de 34 ans. KB9 a remporté la Ligue des champions et le championnat d’Espagne, en finissant meilleur buteur de chacune des deux compétitions. En cette saison, Benzema a fait vibrer tous les passionnés de football. Et ce 17 octobre, il a enfin réalisé son « rêve de gamin » : devenir officiellement le meilleur joueur du monde.

Toujours sur le symbole, notons que cet enfant issu de l’immigration algérienne est décoré 61 ans, jour pour jour, après le massacre de manifestants algériens en plein Paris.

Zidane remet le Ballon d’Or à Benzema, au théâtre du Châtelet le 17 octobre ©L’Équipe

Itinéraire d’une comète

Cet objectif, il l’a dans le viseur depuis son enfance à Bron, ville populaire de la banlieue lyonnaise. Très vite repéré, Benzema entre au centre de formation de l’Olympique Lyonnais en 1997, à l’âge de neuf ans, où il fait ses premières armes jusqu’à la signature de son contrat professionnel avec l’OL en 2004. Il y reste cinq ans et remporte quatre championnats de France avec les Gones, avant d’être transféré à l’été 2009 au Real Madrid. Le club de ses deux « idoles », Zidane et Ronaldo (le Brésilien).

Mais les débuts sont difficiles à Madrid : Benzema, alors âgé de 21 ans, joue très peu. Malgré la concurrence féroce avec l’autre attaquant madrilène, Gonzalo Higuain, le Français tient bon et finit progressivement par s’imposer à la pointe de l’attaque du plus grand club de l’histoire. Durant près de dix ans, il joue le rôle du fidèle lieutenant de Cristiano Ronaldo et remporte à ses côtés quatre Ligue des champions, dont trois d’affilée (2016, 2017 et 2018). Après le départ de la star portugaise à l’été 2018, Benzema passe un cap et devient le nouveau joueur phare de la Maison Blanche.

Attaquant ultra complet, il prend autant de plaisir à marquer qu’à faire marquer. Il peut construire une action comme il peut la finir. Bref, il pue le football. Cette saison, avec ses 50 buts et ses 16 passes décisives en 56 matchs, il s’est montré spectaculairement décisif. Benzema a ébloui le monde entier par son jeu et par sa classe. Son Ballon d’Or l’inscrit définitivement dans le panthéon du football mondial. Il devient le cinquième français de l’histoire à obtenir le trophée ultime, après Raymond Kopa (1958), Michel Platini (1983, 1984 et 1985), Jean-Pierre Papin (1991) et Zinedine Zidane (1998).

Benzema, le meilleur ennemi de la fachosphère

Si Benzema est aujourd’hui adulé et unanimement célébré, c’est loin d’avoir toujours été le cas. Pendant de longues années et aujourd’hui encore, il a été sous le feu des critiques. Ses démêlés judiciaires liés à l’affaire Zahia – mis en examen en 2010 mais relaxé en 2014 – et surtout à l’affaire de la « sextape » – mis en examen en 2015 puis condamné en 2022 à un an de prison avec sursis – ont sévèrement écorné son image. À juste titre.

Mais au-delà de ces deux affaires, Benzema a été détesté pour ce qu’il représentait. Le Lyonnais a été désigné par certains comme le symbole de « l’anti-France », de la « racaille de banlieue ». Tout lui a été reproché : son goût pour le luxe, ses amis d’enfance, sa passion pour le rap, sa façon de se tenir, de se comporter, de s’exprimer….

« Un Français de papier » pour l’extrême droite mais un patriote fiscal dans les faits

Pour la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, il « n’aurait jamais dû entrer en Équipe de France » à cause de « son image déplorable » et de « son mépris à l’égard de la France ». C’était un joueur « indigne du maillot bleu » pour le député RN Julien Odoul, qui ne restera qu’un « Français de papier » pour le sénateur Reconquête, Stéphane Ravier.

Le Rassemblement national aurait un rapport contrarié à l’argent public, selon le parquet général de la cour d’appel de Paris. A contrario, l’attaquant des Bleus a continué à payer les impôts liés à son droit à l’image en France, refusant ainsi les paradis fiscaux ou les avantages du statut fiscal espagnol. Un patriotisme fiscal trop rare.  Mais au-delà de l’extrême droite, on a aussi vu le Premier ministre de François Hollande assurer que Karim Benzema « n’avait pas sa place en équipe de France ».

On l’accuse de ne pas aimer son pays, de préférer l’Algérie à la France, de ne pas chanter la Marseillaise… Quand il ne souriait pas sur le terrain, c’était parce qu’il était arrogant. Quand il était moins performant avec les Bleus, c’était parce qu’il ne se donnait pas à fond pour la France. En bref, Benzema cristallisait une haine et des crispations qui le dépassent largement.

Le succès du « Nueve » : un événement politique pour les jeunes de milieux populaires

Blacklisté de l’Équipe de France pendant plus de cinq ans, le retour du « Nueve » sous le maillot tricolore en mai 2021 a été vécu comme un événement politique pour les jeunes de milieux populaires. Cette victoire représente une sorte de revanche pour toutes les personnes qui se sont identifiées au destin de ce footballeur. Tous ces jeunes, victimes de discriminations.

Cela résonne notamment lorsque Karim Benzema reproche à Didier Deschamps, après sa non-sélection à l’Euro 2016, d’avoir « cédé sous la pression d’une partie raciste de la France ».

Aujourd’hui, KB9 est sur le toit du monde. Il a répondu aux critiques sur le terrain, en travaillant d’arrache-pied pour briller et mettre tout le monde d’accord. Benzema représente un modèle de réussite. Malgré une carrière en dents de scie, il a persévéré et s’est bonifié avec le temps.

« Pour moi, c’est le Ballon d’or du peuple »

Quand Zidane a remporté son Ballon d’Or en 1998, il a fait naître une lueur d’espoir dans les yeux de toute une partie de la jeunesse française. Ce fils d’immigré, issu d’un quartier populaire de Marseille, a rayonné à l’échelle mondiale. Des jeunes qui se sentaient marginalisés ont pu s’identifier à lui et se sont autorisés à rêver de réussite, que ce soit dans le foot ou ailleurs.

24 ans après, le scénario se répète. Hier dans les rues de France, des milliers de jeunes scandaient le nom de Karim Benzema. Des scènes de liesse de Bron à Paris. Un couronnement qui leur est dédié par KB9 : « Pour moi, c’est le Ballon d’or du peuple ». Bravo le « Nueve », et merci de nous avoir fait vibrer.

Ayoub Simour

 

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