Il fallait s’y attendre : le retour de Karim Benzema en équipe de France a créé un émoi sans précédent dans un pays en manque de bonnes nouvelles, usé par une crise sanitaire qui n’en finit plus, et des débats politiques identitaires toujours plus nauséabonds. Mais alors que l’extrême-droite tente une nouvelle fois de récupérer une séquence sportive à son avantage, la France des supporters se surprend à retrouver un enthousiasme sportif avant une compétition que beaucoup n’attendaient plus.

Une journée spéciale

À quelques jours de l’annonce de la liste des internationaux français sélectionnés pour disputer l’euro, les parieurs pouvaient encore s’amuser à pronostiquer l’identité des 26 sans grand risque de faire fausse route. Il faut dire qu’avec un sélectionneur aussi accroché à ses joueurs les plus capés, et parfois en dépit de la logique sportive, privilégiant souvent l’entente du groupe à la qualité des joueurs qui le composent, la liste ne devait réserver aucune surprise majeure.

Concernant Karim Benzema, banni de l’équipe de France depuis l’affaire de la « sextape » et des présomptions de chantage autour de son ancien co-équipier Valbuena (à propos de laquelle il comparaîtra devant la justice en automne prochain), et ses déclarations reprochant à Didier Deschamps d’avoir « cédé à une partie raciste de la France » en ne le sélectionnant pas pour l’euro 2016, l’affaire semblait entendue, enterrée tant les deux hommes paraissaient irréconciliables. Mais le cœur de Didier Deschamps est insondable. Lui que l’on pensait brouillé à jamais avec l’attaquant du Real Madrid annonçait mardi dernier sa sélection en vue de participer à l’euro qui doit débuter le 11 juin.

 

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Le retour de Karim Benzema a « cassé internet » avec des réactions en vidéos toutes plus enthousiastes les unes que les autres. 

Certes, Le Parisien avait gâché le suspens un peu plus tôt dans la journée. Il n’empêche que l’annonce de la liste des 26 a réuni 7,6 millions de téléspectateurs en moyenne sur TF1, un chiffre nettement supérieur à celui de 2016, lorsque la compétition avait été organisée en France. Saluée par les passionnés du ballon rond comme le retour de l’enfant prodige en équipe de France, la sélection de Karim Benzema a fait des heureux, beaucoup d’heureux. A tel point qu’un vent nouveau de soutien, unanime cette fois, semble souffler sur les Bleus, à quelques semaines du début de la compétition.

Des binationaux réconciliés avec l’Équipe de France

Ahmed, chef d’entreprise de 54 ans et supporter du Real Madrid, refusait d’y croire tant que les mots « Karim » et « Benzema » n’avaient pas été prononcés par Didier Deschamps lui-même, idéalement dans cet ordre-là et sans rien entre les deux. Lorsque le visage de l’attaquant français est apparu à l’écran, un large sourire s’est dessiné sur son visage, comme si la France avait déjà gagné l’euro. « Bien sûr que je suis ravi du retour de Benzema, d’abord en tant qu’amoureux du beau football de retrouver en Equipe de France un des meilleurs attaquants au monde, mais aussi en tant que français issu de l’immigration ».

Le cinquantenaire confesse s’être progressivement détaché des Bleus depuis la mise à l’écart du joueur qui partage avec lui la binationalité franco-algérienne. Il poursuit : « avec Benzema en Equipe de France, je me sens de nouveau représenté. Son éviction est arrivée quelques années après l’affaire des quotas. Ça m’avait donné le sentiment que même le foot était touché par le racisme, un lieu qu’on pensait préserver et qui avait si bien fédéré dans le passé, en 98 par exemple avec la France ‘Black-Blanc-Beur’».

Le numéro 19, c’est celui que portera Karim Benzema pour son retour avec l’équipe de France.

Guillaume, étudiant de 22 ans, partage le constat et regrette les débats autour de la bi-nationalité : « dans le foot, on accepte mal qu’un joueur puisse aimer deux pays, se sentir à la fois français et algérien et finisse par choisir la France pour des raisons sportives ». Dans une France agitée par des débats sur l’identité, Benzema a en effet cristallisé le ressentiment anti-binationaux, certains lui reprochant son refus de chanter la Marseillaise, d’autres dénonçant un mariage d’intérêt motivé par l’appât des trophées internationaux. Benzema n’aimerait pas la France ? Une position pourtant contredite par son patriotisme fiscal : le joueur madrilène continue de payer les impôts sur ses revenus liés à ses droits à l’image, malgré son exil espagnol, malgré les insultes de l’extrême-droite aussi.

Je n’ai pas trop suivi la France ces derniers temps et ne l’ai encore moins supporté, mais le retour de Benzema me rend très curieux

Maintenant que l’histoire de Karim Benzema s’écrit à nouveau en bleu, Ahmed dit avoir retrouvé « l’amour de l’Equipe de France ». Il admet être porté par un engouement nouveau sans lequel il aurait traversé l’euro en simple spectateur. C’est avec un maillot de l’équipe de France, floqué Karim Benzema dans le dos, qu’il compte désormais suivre la compétition. Enfin, s’ils ne sont pas tous épuisés à leur sortie en boutique officielle. D’après Unisport, distributeurs de maillots de football en Europe, la vente des maillot de l’équipe de France a explosé après l’annonce du retour du joueur madrilène, avec une hausse de 2400% en 24 heures. « Sinon, ça sera avec un maillot Benzema du Real », s’amuse le supporter.

Matteo, supporter portugais à plein temps, et soutien occasionnel de l’équipe de France, reconnaît que le retour de Benzema l’enthousiasme au point de le réconcilier avec les Bleus : «  Évidemment que l’annonce de Deschamps crée une “hype”. Je n’ai pas trop suivi la France ces derniers temps et ne l’ai encore moins supporté, mais le retour de Benzema me rend très curieux de voir comment son intégration va se passer ». Avant de conclure : « J’ai hâte de le voir combiner avec Mbappé et Griezmann ».

L’alliance Bondy-Mâcon-Bron : rêve des supporters, cauchemar des adversaires

En plus de réconcilier les Bleus avec ses supporters, la sélection d’un esthète du football amène avec elle la promesse d’un retour du beau jeu en équipe de France, pas toujours saluée pour sa flamboyance et plutôt habituée aux scores minimalistes, en témoigne les dernières rencontres face à l’Ukraine (1-1), le Kazakhstan (2-0) et la Bosnie-Herzégovine (1-0).

 

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Le joueur parisien Kylian Mbappé a démontré son enthousiasme de jouer avec Karim Benzema. 

Guillaume ne cache pas sa joie de revoir l’un des meilleurs attaquants au monde porter le maillot tricolore : « les matchs de l’équipe de France devenait ennuyeux et difficile à regarder. J’ai bon espoir qu’on retrouve un niveau de jeu séduisant et surtout efficace car l’objectif reste de réaliser le doublé coupe du monde-euro. » De quoi mettre une bonne pression à l’attaquant français, qui retrouve une sélection devenue championne du monde et vice championne d’Europe, cinq après sa dernière sélection.

Qu’il soit incorporé dans un système à deux attaquants ou placé seul en pointe avec Mbappé sur l’aile et Griezmann en soutien, nul doute que Guillaume suivra avec attention l’intégration de l’attaquant madrilène dans le onze français. Il n’est pas nécessaire d’être supporter français pour saliver à la seule évocation du trident offensif Mbappé-Benzema-Griezmann. C’est le cas de Bryan, qui se dit passionné de foot avant tout : « Si on attend quatre ans la Coupe du Monde et l’euro, c’est précisément pour voir les meilleurs joueurs s’affronter. L’euro avec trois prétendants au ballon d’or, c’est toujours mieux qu’un euro avec seulement deux ». Reste à savoir si les performances de Benzema en Bleu lui permettront de convoiter la récompense individuelle suprême décernée en fin d’année.

Yunnes Abzouz

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