Dimanche après-midi aux Tarterêts, seules les carcasses de voitures brûlées rappellent les révoltes urbaines des nuits précédentes. Certaines personnes s’arrêtent rapidement pour prendre une photo. Tandis que d’autres commentent : « C’est l’Ukraine ici ». 

Au milieu de ce désarroi, des femmes armées de leurs gilets roses se réunissent peu à peu devant un local. C’est le collectif des gilets roses qui préparent un barbecue entre enfants et parents pour échanger sur les révoltes urbaines qui secouent le quartier depuis la mort de Nahel, le mardi 27 juin.

Cela fait maintenant quatre années que le collectif d’environ 50 femmes, pour la plupart des mères, se mobilise dans le quartier des Tarterêts. Née dans un contexte de rixes entre quartiers, où les jeunes s’entretuaient pour des « bricoles », ce collectif a pour objectifs d’apaiser le quartier et de calmer les tensions. « Nos enfants étaient en danger », raconte Fatimata Sy, la présidente des gilets roses.

Mort de Nahel : l’étincelle de trop

À l’image de nombreuses mères des quartiers populaires, Fatimata Sy a été fortement touchée par la mort de Nahel. Elle partage la peine de Mounia, la mère de Nahel.  « Je pense beaucoup à sa mère, ôter la vie à un jeune de 17 ans, c’est horrible. Nous, nos enfants, on y tient, on les aime. On ne veut pas qu’ils terminent comme ça. Elle avait un seul enfant et maintenant, elle n’a plus rien, tout ça pour un défaut de permis, mais où va-t-on ?  », désespère Fatimata Sy.

Ce sont des enfants, ils n’ont pas le droit de les abattre comme des animaux

Cette mort de plus, c’est l’étincelle de trop. « La jeunesse est révoltée », rapporte Fatimata Sy. « Les jeunes ont peur, ils veulent faire entendre le fait qu’ils ne sont pas là pour se faire abattre. Ce sont des enfants de la République. Ils n’ont pas le droit de les abattre comme des animaux. » Un jeune de 17 ans, l’âge de Nahel, ajoute : « On n’a pas à enlever une vie comme ça. Ce que les jeunes veulent dire, c’est que la police doit arrêter de nous tuer pour rien. S’ils continuent à faire des bavures, ça va continuer comme ça. »

Face à cette révolte, les mères du collectif essayent tant bien que mal d’apaiser la situation. Jusqu’à tard le soir, elles sont présentes dans le quartier et échangent avec les jeunes. « On leur explique que ce n’est pas avec la violence qu’on peut obtenir quelque chose ». Mais « cette fois-ci, c’est plus comme avant, ils sont bien organisés et plus réfléchis. Ils sont déterminés à tout casser. »

Et malheureusement, ce sont les habitant.e.s du quartier qui en font les frais. « Ils brûlent les voitures de leurs parents, les écoles de leurs frères et sœurs. Les habitants en souffrent, il y a des gens qui ne peuvent pas aller travailler. Et il y a des personnes qui ont eu du mal à acheter une voiture, ils se sont endettés  », se désole Fatimata Sy.  « Mais ils ne veulent rien savoir. Aujourd’hui, c’est la colère qui parle ». Une colère latente, présente depuis plusieurs années.

« Les policiers pensent que nous ne sommes rien »

Comme dans de nombreux quartiers populaires, ce n’est pas la première fois que le quartier s’embrase à la suite de violences policières. Les mères du collectif se remémorent l’interpellation d’un jeune en septembre 2021. La mère du jeune homme avait été gazée à bout portant par un policier sous les yeux ahuris des habitant.e.s du quartier ainsi que… des caméras. Une fois de plus, suite à la diffusion sur les réseaux de la vidéo, le quartier s’était enflammé pendant cinq nuits consécutives. « Les policiers pensent que nous ne sommes rien. Ils ne nous considèrent pas ou ils nous considèrent comme des ennemis », estime Fatimata Sy.

Depuis cet événement, les gilets roses « n’ont plus jamais enlevé leurs gilets » et ont multiplié les actions : sorties, événements, ateliers, accompagnement des jeunes et même pétitions pour défendre le commissaire Patrick Visser-Bourdon…

Tout ce travail est parti à néant

Des actions qu’elles mènent sans local, ni membre salarié.e.s.  « Ça avait porté ses fruits, les agents nous connaissaient, il n’y avait plus de problèmes. Ils faisaient leurs rondes, tranquillement sans casques, alors qu’avant ils venaient avec dix camions et des casques », témoigne la présidente du collectif.  Fatimata Sy, dépitée, soupire « tout ce travail est parti à néant ».

« On ne traite pas les vraies problématiques »

Une violence policière qui ne représente qu’une face d’un problème beaucoup plus profond selon une élue du coin qui préfère s’exprimer anonymement.  « On ne traite pas les vraies problématiques qui sont l’éducation, l’emploi etc.» Elle en profite également pour dénoncer les politiques de rénovation urbaines portées par l’ANRU, vécues comme une violence de plus pour les habitant.e.s du quartier.

« Avant l’ANRU, on avait la médiathèque, les services publics et des centres sociaux. Tout a été détruit, on se retrouve avec quasiment plus rien. » Les autres mères acquiescent.

Les policiers ne sont pas là pour dialoguer avec nous

« Il faut que la police soit réformée, elle est basée sur le racisme. Tant qu’on n’aura pas revu un peu cette position, ça continuera », prédit-elle. D’après Fatimata Sy, il est également question de renouer le dialogue entre les jeunes et les forces de l’ordre. « Il faut qu’on se connaisse, la police fait des amalgames. Ils pensent que tous les jeunes sont des voyous et viennent en mode répression. Ils ne sont pas là pour dialoguer avec nous »

Ce à quoi l’élue complète :  « Il faut tout revoir : comment on forme la police, comment on les recrute. Quand on voit que 80 % adhèrent au syndicat Alliance, je me pose des questions. Il faut qu’on intègre plus de social, plus “d’aller vers” dans la police ».

La responsabilité du gouvernement envers les quartiers populaires

Au cœur des discussions actuelles sur la responsabilité des parents, Fatimata Sy pointe la responsabilité de l’Etat : « Certes on a la responsabilité de nos enfants, mais le gouvernement aussi a sa part de responsabilité dans cette situation ».

« S’il y avait plus d’écoles, plus de places dans les lycées, plus de moyens pour les associations, ça serait différent. Regardez, nous, on est là. On n’a même pas de local ! Il faut donner plus de moyens aux acteurs locaux dans le quartier pour qu’ils puissent mieux travailler », dénote Fatimata Sy. Entre 2005 et aujourd’hui, le budget de la politique de la ville a baissé de près de 200 millions d’euros. Un abandon coûteux.

Clémence Schilder 

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