« Ce sont des anecdotes et des histoires personnelles d’habitant.e.s des Groux. Ça parle de ce que c’est de vivre dans une cité stigmatisée quand on est enfant d’immigrés », présente Karima Benali, co-fondatrice de Renaissance des Groux.

Ce vendredi soir à la librairie Volume, elle introduit le livre Lutter pour la cité qui retrace le combat de quatre femmes contre la démolition annoncée de leur quartier. Ces fameux projets portés par l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) qui s’apprête à fêter ses 20 ans.

Ce récit documente « les étapes d’une mobilisation ainsi que les alternatives proposées par les architectes », indique Rainier Hoddé, le co-fondateur d’Appuii (Alternatives pour des projets urbains ici et à l’international). « On avait envie que ce livre soit un outil pour les habitant.e.s qui sont confronté.e.s à ce type de projet urbain », précise enfin Karima Benali.

Des projets urbains imposés aux habitant.e.s sans concertation

« La rénovation urbaine, c’est d’abord des démolitions », décrit Rainier Hoddé et c’est justement ce que dénonce l’association Appuii. Créée en 2012, cette association mêle professionnel.le.s de la ville (architectes et urbanistes), universitaires et habitant.e.s de quartiers menacés par des projets urbains imposés.

On nous méprise, on ne tient pas compte de ce qui nous lie et nous tient ensemble 

Pendant la présentation de l’ouvrage, Karima Benali revient avec beaucoup d’émotions sur l’histoire du quartier des Groux. « En octobre 2015, lors d’une réunion pilotée par le maire, le nouveau bailleur social du quartier, Valophis, annonce la destruction de la cité des Groux. »

Elle se remémore : « Ils nous ont dit que la cité était vétuste, qu’on était à l’entrée de la ville et qu’il fallait que ça soit plus attrayant. Ils disaient que dans le contrat de vente des bailleurs, ils avaient l’obligation de démolir. Mais, en cherchant bien, tous ces arguments étaient infondés. » 

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Huit ans après, la colère et la tristesse n’ont pas quitté cette habitante. « Une fois de plus, on nous méprise et on ne tient pas compte de qui nous sommes, ni de ce qui nous lie et nous tient ensemble. »

Ma mère, ça fait 50 ans qu’elle habite la cité, maintenant qu’elle arrive à 70 ans, on va lui dire, tu vires !

Face à ce manque de considération, des femmes du quartier décident de s’organiser. Elles lancent l’association Renaissance des Groux pour défendre les droits et intérêts des locataires. « Il était hors de question qu’on se laisse faire, affirme Karima. Ma mère, ça fait 50 ans qu’elle habite la cité, maintenant qu’elle arrive à 70 ans, on va lui dire, tu vires ! C’est inconcevable pour moi. » 

Repousser les plus précaires toujours plus loin

Plus de mille quartiers en France font ou ont fait l’objet de projet de démolition. Le livre l’explique bien, ces projets, portés par l’ANRU, sont présentés comme un moyen de désenclaver, de diversifier l’habitat et de favoriser une mixité sociale. La devise de l’ANRU est d’ailleurs « démolir pour mieux reconstruire ».

Jean-Philippe Vassal, un architecte connu pour ses projets de réhabilitation urbaine, dresse un sombre bilan de son activité. « Depuis 15-20 ans, l’ANRU démolit 200 000 logements sociaux et en reconstruit à peine 200 000, en dépensant environ 20 milliards d’euros. C’est un gâchis écologique, économique, social, culturel. »

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Les membres d’Appuii pointent également les incohérences de l’agence. « Un des objectifs annoncés de l’ANRU c’est le désenclavement, alors pourquoi on ne met pas en place des transports plus réguliers pour les habitant.e.s ?  En fait, c’est une manière de justifier la démolition, soulève Perrine Philippe, bénévole à Appuii. Moi, je parlerai plutôt d’éviction sociale plutôt que de mixité sociale. »

Les plans ANRU s’accompagnent de plan de relogement qui sont rarement à l’avantage des habitant.e.s. Rainier prend pour exemple la Coudraie à Poissy : « Les habitant.e.s nous ont expliqué que dans les années 60 ils étaient dans le 13ᵉ (Paris), puis ils ont dû venir à Poissy et maintenant on leur dit qu’ils doivent aller à Dreux. »

Le coût social de la démolition

« À la Courneuve, on a rencontré des enfants de 14-15 ans qui ont habité dans quatre barres différentes, chacune d’elles a été démolie. Quelle violence ! », assène l’architecte Jean-Philippe Vassal.

« Les habitant.e.s ne sont pas dupes, ils veulent juste nous chasser de ces lieux et faire perdurer les inégalités. C’est ça qui nous révolte. Nous, nos vies elles ne comptent pas en fait », renchérit Karima Benali.

Ce n’est pas que des bâtiments qu’on détruit, c’est nos vies entières

Ces destructions massives ont de lourdes conséquences sociales. Les nombreux témoignages d’habitant.e.s dans le livre en témoignent et traduisent un fort sentiment de mépris. « On s’est vite rendu.e.s compte de ce qu’on allait perdre : les liens sociaux, la solidarité, la fraternité, les liens intergénérationnels…  Ce n’est pas que des bâtiments qu’on détruit, c’est nos vies entières. »

La cité des Groux devait être détruite en 2018, mais la mobilisation a freiné les démarches du bailleur. Actuellement aux Groux, sur les 200 logements, il n’y en a plus que 70 qui sont occupés. « Ils ont commencé à tuer la cité. Là, c’est triste et mort. Avant, c’était un quartier super vivant. »

La rénovation coûterait « 3 à 4 fois moins d’argent » que la démolition

Aux lourdes conséquences sociales, s’ajoutent celles économiques. « On pourrait faire une transformation valorisante, pas juste repeindre. Bien isoler ses appartements, installer des jardins, des balcons, réparer les ascenseurs… Ça couterait à peu près 3 à 4 fois moins d’argent que de démolir », soulève Jean-Philippe Vassal, face à un public interloqué.

Là est le combat de l’architecte : faire avec l’existant. Il a déjà pu l’expérimenter à Bordeaux, dans le quartier du grand parc. Il est ici question de repenser ensemble les transformations urbaines et les questions sociales. Une dynamique à mille lieues de la politique du gouvernement. Mais les habitant.e.s ne lâcheront rien, « il est temps de traiter les habitants avec dignité et respect », tance Karima Benali.

Clémence Schilder

Crédit photo : Archives personnelles de Lakhdar Daoui

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