« On vient d’ici, on a vu tout ce qu’il s’est passé. Il fallait changer l’état d’esprit du quartier, donc on a décidé entre amis de créer l’association Boost, le nom on l’a trouvé ensemble. Boost ça veut dire aider, pousser les gens vers l’avant »,  raconte avec fierté Moustapha Sy, 22 ans, vice-président de l’association Boost qui se prépare à une nouvelle journée de désinfection.

Comment aider son quartier dans le temps long et sortir de la logique de l’urgence ? C’est la question que se pose Inès Mathlouthi. À 25 ans, elle est chargée de développement social urbain dans le secteur de Bobigny, pour le bailleur Seine-Saint-Denis Habitat, et elle a vu se multiplier les associations organisées spécifiquement dans la distribution de colis alimentaires. Elle souligne l’importance de cette action mais déplore le manque d’initiatives qui s’inscrivent dans le temps long : « Je pars du principe que si tu crée d’autres leviers qui construisent des cercles vertueux, une épicerie solidaire, de l’emploi, c’est plus valorisant pour les bénéficiaires et c’est plus durable. »

C’est dans ce cadre qu’elle est partie à de la jeune association Boost, créée en octobre 2020, pendant le second confinement, par des habitants du quartier Paul Eluard à Bobigny. Les trois fondateurs Mahamadou Fofana, Moustapha Sy et Sam-Sadio Coulibaly, ont proposé une initiative inédite au bailleur : La désinfection des bâtiments contre le covid par des jeunes du quartier pour limiter la propagation du virus, pour les personnes âgées et les travailleurs en “première ligne”.

Les trois fondateurs de Boost au quartier Paul Eluard de Bobigny.

Redonner vie à un quartier broyé par les flammes

Le quartier Paul Eluard a été touché par de nombreux incendies. En 2018, un incendie dans l’un des immeubles coûtera la vie à quatre personnes (dont deux enfants). En 2019 des commerces au cœur du quartier ont été détruits par les flammes qui ont laissé une dalle déserte, sans sandwicherie, épicerie, ni coiffeur. « On est samedi, ils sont où les jeunes ? Il n’y a rien. D’habitude, ça crie, ça joue, ça se vanne», regrette Moustapha Sy, en montrant la dalle vidée de ses commerces et de ses habitant·e·s.

En 2019, un incendie a détruit une sandwicherie au centre du quartier de Paul Eluard.

On bougeait, on faisait des sorties partout, des voyages, il n’y a plus ça et on veut remettre tout ça en place. 

Ce sont ces incendies à répétition et le manque d’infrastructures pour les jeunes qui ont poussé ces trois amis d’enfance à créer leur association sur le quartier. Mahamadou Fofana, 24 ans, président de l’association, se rappelle de son enfance, nostalgique : « Il y avait le service jeunesse, après les cours on se retrouvait là-bas,  on y était tous les jours. C’était notre deuxième famille». « On bougeait, on faisait des sorties partout, des voyages, il n’y a plus ça et on veut remettre tout ça en place », complète Moustapha Sy.

Pour s’ancrer dans le quartier et recréer un lieu de partage intergénérationnel, les fondateurs de l’association demandent un local à la mairie de Bobigny : « On veut faire un coin pour les jeunes, pour les parents, qu’ils aient un petit coin à eux pour s’exprimer, pour parler, discuter, passer du bon temps ». En attente de réponse, pour eux le local est pourtant tout trouvé.

Au cœur de la cité, sous la dalle, recouvert d’une grande fresque colorée, un local est à l’abandon, depuis des années, selon eux. Tous les trois ont grandi à Paul Eluard, et ils ont toujours connu ce local comme étant « squatté depuis toujours ».

Désinfecter les bâtiments contre le virus, pour réunir et protéger toutes les générations

En attendant ce local, l’association a déjà mis en place des activités avec les jeunes, entre 12 et 18 ans. La première initiative était un concours de jongles pour sélectionner deux jeunes pour participer à la détection d’un club de football professionnel italien. Une première réussite car l’un d’entre eux a été sélectionné par le club.

« Dans un quartier il faut vivre en cohésion, en famille, communiquer avec toutes  les générations », philosophe Moustapha Sy. C’est dans ce sens qu’en novembre et décembre, ils se sont lancés dans une action de prévention contre le Covid-19, avec les jeunes du quartier, « pour éviter la propagation du coronavirus, et pour que les gens se sentent plus à l’aise dans leur lieux de vie », précise-t-il.

Requins et combi pour désinfecter le quartier.

En convention avec le bailleur Seine Saint Denis Habitat, trois fois par semaine, dans trois bâtiments de la cité, une vingtaine de jeunes du quartier de 14 à 18 ans se sont attelés pendant les vacances à la désinfection des ascenseurs, des poignées de portes, des rampes d’escaliers et des boîtes aux lettres.

On nous dit bonjour maintenant !

Ismaël et Lara, lycéens, travaillent en duo. Ils ont désinfecté l’un des bâtiments du quartier. L’immeuble de 18 étages leur a pris 25 minutes. « Il y a même des personnes qui nous ont demandé de désinfecter leur porte. Les gens nous remercient, ils sont contents » raconte les deux bénévoles. Tout comme eux, Boubacar et Beydi, soulignent un nouveau rapport avec les adultes du quartier : « On nous dit bonjour maintenant ! » et « nos parents sont fiers. »

Pour les jeunes bénévoles de Boost, cette action permet de revaloriser leur image au sein du quartier mais aussi envers l’extérieur. Pour Boubacar, 17 ans, volontaire pour l’action de désinfection : « Les médias ne font que de parler et dire des trucs qui ne sont pas forcément vrais, et nous on veut leur montrer le contraire […] Les gens ne retiennent que le mal dans les quartiers, alors que dans les quartiers il y a des personnes aussi qui veulent aider, et c’est ça qui fait plaisir. »

Selon le président de Boost, Mahamadou Fofana, les jeunes engagés avaient « d’eux-mêmes l’envie de venir parce qu’ils voulaient changer cette image du 93, des cités. De montrer que l’on peut faire autre chose que les clichés. Ça fait partie de leurs valeurs, de nos valeurs, de s’entraider, la sécurité, l’hygiène. Parce que les gens disent que c’est sale dans nos quartiers mais ce n’est pas vrai, voilà l’action que l’on mène. »

Le nettoyage des parties communes par les bénévoles de Boost.

Pour Sam-Sadio Coulibaly, trésorier, la motivation des jeunes vient aussi de la proximité et de la confiance qu’ils entretiennent avec eux : « l’action de désinfection, je ne suis pas sûr qu’ils l’aient fait avec une autre association. On est leurs grands frères. Ça joue beaucoup parce qu’on a de bonnes affinités avec tout le monde». « C’est plus facile qu’ils viennent nous parler à nous qu’à des personnes plus grandes ou étrangères au quartier. Ils ont une certaine retenue », « ils nous écoutent, on les écoute, quand ils ont besoin de quelque chose on est là pour eux » enchaînent Mahamadou Fofana et  Moustapha Sy.

Pour les trois fondateurs, le bilan est très positif, car depuis la fin de l’action de désinfection les jeunes « demandent quand arrivent les nouveaux projets, et ce qu’ils peuvent faire. Ils viennent d’eux-mêmes ça devient un automatisme de s’impliquer ». En attendant, une potentielle nouvelle convention avec le bailleur, ce n’est donc que le début pour cette jeune association du quartier Paul Eluard de Bobigny qui a de nombreux projets en tête.

Photographies et texte par Anissa Rami

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