Une trentaine de personnes se sont rassemblées ce lundi à Aubervilliers (93) pour honorer la mémoire de Chaolin Zhang, agressé le 7 août 2016, victime du cliché selon lequel les Chinois transporteraient de grosses sommes d’argent. Un an après le drame, la communauté asiatique affirme toujours ne pas se sentir en sécurité. Reportage.

« On est là pour ne pas oublier que le racisme tue ». Ce lundi 7 août, dans la rue des écoles d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), vers 16 heures, ils n’étaient pas loin d’une trentaine à se recueillir à l’endroit où a été agressé Chaolin Zhang. Un an après l’agression mortelle du couturier de 49 ans par trois jeunes hommes, la communauté asiatique ne se sent toujours pas en sécurité en France. La mort de Chaolin Zhang est devenue le symbole de la violence et de la stigmatisation envers les personnes d’origine asiatique dans l’Hexagone.

Après une année d’enquête, trois personnes ont reconnu en juillet être les auteurs de l’attaque. Deux des agresseurs présumés ont été renvoyés devant la cour d’assises des mineurs, et le troisième, âgé de 15 ans au moment des faits, devant le tribunal pour enfants. La juge d’instruction a retenu la circonstance aggravante d’une agression commise en raison de « l’appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une nation« . Les peines encourues vont de 15 ans de prison à la perpétuité. « Depuis le début, on communique sur le caractère raciste de cette agression », explique l’avocat de la famille du défunt, Calvin Job, habitué des affaires d’agressions envers la communauté chinoise. « C’est une première victoire dans cette affaire pour tous les manifestants (…) qui ont appelé les pouvoirs publics à prendre conscience de la montée d’un racisme anti-asiatique », a réagi le comité « Sécurité pour tous », à l’origine du rassemblement.

Commémorations, reccueillement et larmes

La sœur et l’épouse du défunt, en larmes, face au portrait de Chaolin Zhang, à Aubervilliers.

Une plaque commémorative, dédiée à Chaolin Zhang, a été installée sur les lieux du drame par la municipalité PCF d’Aubervilliers : « Chaolin Zhang ciblé en raison de son origine chinoise« , peut-on y lire. Sur le sol, quelques gerbes de fleurs roses et blanches, des bougies et deux femmes effondrées sur le trottoir et en larmes, la sœur et l’épouse du défunt, face au portrait de Chaolin Zhang. Ce dernier était un immigré chinois de 49 ans évoluant comme ouvrier textile à Aubervilliers, où travaillent plus de 10 000 personnes originaires de Chine.

Le 7 août 2016, il marchait dans la rue avec un ami, lui aussi d’origine chinoise, quand trois mineurs les ont attaqués. Deux d’entre eux ont tenté d’arracher la sacoche que l’un des deux amis portait en bandoulière. Leur complice s’en est pris au plus âgé des deux, lui a asséné un violent coup de pied qui l’a projeté au sol. Dans la chute, la tête de Chaolin Zhang percute un muret. Le père de famille ne se relève pas. Il décédera cinq jours plus tard à l’hôpital des suites d’un traumatisme crânien. Confondus par la vidéosurveillance, l’un des jeunes avouera aux enquêteurs avoir ciblé leurs victimes : « Les personnes asiatiques ont plus d’argent ». Dans la sacoche volée, les agresseurs ne trouveront pourtant qu’une paire de lunettes, une batterie externe, un paquet de bonbon. Pas de trace de l’argent escompté.

Mot d’ordre du rassemblement : plus de sécurité

Sous la plaque commémorative, une banderole sur laquelle on peut lire “Sécurité – en rouge -, liberté, égalité, fraternité” a été accrochée aux grilles du 59 rue des Écoles. Les membres du comité “Sécurité pour tous”, reconnaissables par leur t-shirt blanc aux couleurs et slogans sans équivoque (« Silence agression Stop » et « Stop violence agression insécurité« ) relaient le même message devant les nombreuses caméras : « Il faut plus de sécurité ». Cet après-midi, si l’heure est au recueillement, elle est aussi aux revendications. Un an après le drame, la communauté asiatique demande toujours un renforcement des moyens de protection policière : plus d’agents des forces de l’ordre, vidéosurveillance… Car les violences sont loin d’avoir disparu selon M. Chen, 55 ans, habitant d’Aubervilliers depuis 1992. Un sentiment partagé par Zien Zhong, chef cuisinier arrivé en France il y a 12 ans : « On ne se sent pas tout à fait en sécurité », lâche-t-il alors qu’il a lui aussi été victime de plusieurs actes de vandalisme depuis qu’il s’est installé dans la commune de Seine-Saint-Denis.

Plusieurs élus ont également fait le déplacement dont Sophie Vally, troisième ajointe au maire d’Aubervilliers. « Les caméras que nous avons installées dans la ville nous ont permis d’identifier les trois agresseurs », se félicite-t-elle. Treize nouvelles caméras seront installées d’ici à la fin de l’année. Le choix des zones a été discuté avec les associations chinoises du quartier. Au commissariat, des traducteurs chinois accompagnent désormais les victimes dans leurs plaintes. L’élue signale « la baisse de 40% des agressions » grâce au renfort de policiers nationaux et à l’extension de la vidéo, mais souligne toutefois les limites de ses services : « 40 agents de la police nationale ont été déployés à Aubervilliers depuis le début de l’année. Ça reste insuffisant. Nous considérons que nous devons être traité à égalité avec d’autres territoires qui ont un nombre d’habitants semblable à Aubervilliers. Ça pose la question de l’égalité des territoires ».

Pas suffisant non plus selon les habitants interrogés lors du rassemblement. « Il y a un peu plus de policiers à Aubervilliers, l’installation des caméras n’est pas pour tout de suite alors que le problème est urgent », s’alarme la jeune Kim, une participante. Tamara Lui, présidente de l’association « Chinois de France, Français de Chine », dénonce également le manque de policiers. « Il y a sans doute un effort de la part des préfets et des collectivités locales, mais il n’est pas visible. Les violences continuent dans ce quartier, y compris dans le 93 et le 94. Les statistiques montrent une diminution des agressions, mais en réalité beaucoup d’Asiatiques ne vont toujours pas porter plainte. (…) La mort de Chaolin Zhang a mis en lumière un racisme dont on ne parlait jamais avant ». Rui Wang, de l’association des « Jeunes chinois de France », confirme la baisse des enregistrements des agressions des personnes de nationalité et d’origine asiatique mais assure que « le sentiment d’insécurité, lui, persiste ». « Il faut de toute manière la symbiose de tous les acteurs : la communauté, la mairie, l’État, ainsi de suite”, complète Jacques Hua, membre du comité « Stop à la violence, sécurité pour tous ».

« Briser les tabous et faire de la pédagogie »

Rui Wang, de l’association des « Jeunes chinois de France », répond aux questions d’un média chinois.

« S’organiser entre nous pour assurer notre sécurité, réfléchir à des stratagèmes pour rentrer à la maison sain et sauf, se débrouiller, c’est du système D, c’est le genre de choses qu’on ne peut plus accepter », explique Rui Wang. Et pourtant. Depuis un an, la communauté chinoise s’est organisée en parallèle pour s’auto-défendre. « Le soir, on s’arrange pour que les gens ne rentrent pas chez eux tout seul, surtout quand ils terminent tard », raconte M. Chen. Plusieurs collectifs ont émergé afin d’accompagner des personnes de la communauté asiatique dans leurs démarches administratives, notamment lorsqu’elles portent plainte. « Avant de demander plus de sécurité, il faut d’abord venir porter plainte ! », assure Tamara Lui. « Il ne faut pas attendre qu’une personne meurt pour se mobiliser », conclut Medhi Bouteghmès, élu de la Courneuve.

Près de deux heures après le début du rassemblement, alors que l’ombre envahit peu à peu la ruelle, une minute de silence plonge les participants dans un moment de recueillement et d’émotion intenses. Autour, de nombreux journalistes couvrent l’événement, alors que la communauté asiatique, en faible nombre, ne semble pas s’être mobilisée cette fois-ci. « Les chiffres ne sont pas importants, tempère Jacques Hua, car ce qu’on veut, c’est surtout mobiliser autour de nous, grâce aux réseaux sociaux et à la présence des médias, pour briser les tabous et faire de la pédagogie« . En d’autres termes, faire évoluer les mentalités sur la question des préjugés concernant la communauté asiatique. « Chaolin Zhang, c’est une nouvelle affaire Ilan Halimi, estime Rui Wang, on a identifié un Juif, on a pensé qu’il était riche. Pareil ici : parce qu’il est Chinois, il est forcément riche« . Le jeune homme observe quand même « une meilleure prise de conscience depuis un an et le sentiment chez les jeunes d’origine asiatiques qu’il est possible de s’exprimer, de dire non. Nous avons besoin que toutes les personnes des quartiers populaires se disent que c’est possible de changer la situation. Quand on est issu des quartiers populaires, on l’oublie, mais il faut oser ». Moins optimiste mais tout aussi déterminée, Tamara Lui ne veut pas baisser les bras, même si « la mémoire commence à s’estomper » et « qu’il reste encore beaucoup à faire ».

Selim DERKAOUI

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