Au bord de la route au croisement d’Aubervilliers, Pantin et La Courneuve où les voitures passent incessamment malgré un troisième confinement, cachés derrière de hauts grillages : les jardins des vertus sont aujourd’hui menacés de destruction partielle. En cause ? Un projet de solarium, pour compléter la piscine d’entraînement aux Jeux Olympiques de 2024 qui doit être construite à la place du parking qui longe les parcelles cultivées.

L’État, associé aux communes, prévoit de débuter la transformation, dès le mois de mai 2020, des 36 hectares du Fort d’Aubervilliers qui accueillera 2000 logements, et 50 000 m2 de locaux commerciaux, une piscine d’entraînement, une gare inclue dans le Grand Paris Express. Un solarium a été ajouté au projet, qui menace ainsi plus de 10 000 m2 de jardins ouvriers. Mediapart révélait d’ailleurs le 14 avril 2021, que l’agence publique en charge de la transformation territoriale pour les jeux (Grand Paris Aménagement) a fait appel la troisième agence mondiale de communication, Publicis, pour gérer le « risque d’image » et justifier la destruction des jardins ouvrier.

Mais les jardinières et les jardiniers sont en lutte, derrière les slogans aussi enfantins que puissants : « Des potirons, pas du béton ! » ou « Des pommes, pas un solarium ! », chantés par les membres du collectif qui s’est créé à la fin de l’été 2020. Un peu plus de la moitié des terres des parcelles solidaires d’Aubervilliers risque d’être détruite d’ici le début de l’été. Face au départ imminent des travaux : le collectif de défense des jardins ouvriers d’Aubervilliers appelle à une manifestation ce samedi 17 avril, à 10h30, place de la mairie. Parmi eux, quatre habitants, jardiniers, seront là pour défendre, ce qu’ils considèrent comme leurs terres.

« Des potirons, pas du béton ! » peut-on lire sur cette affiche non loin des jardins.

Des jardins symboles d’Aubervilliers

Pour Marie, retraitée, c’est une sixième année de participation aux jardins qui a commencé en mars dernier. Habitante d’Aubervilliers, elle a découvert l’endroit lors des journées du patrimoine organisées par la ville. « C’était en septembre, et avec la pluie, l’air était parfumé. Ça a été un coup de foudre. » Une lettre de motivation et un an et demi d’attente plus tard, elle obtient la possibilité de cultiver une parcelle. « En plus je souhaitais un laurier », raconte-t-elle amusée en désignant l’arbre planté près de sa cabane. Par les jours de beau temps, elle passe tous ses après-midis dehors à cultiver la terre. « C’est bon pour le moral, pour l’exercice physique. » 

La jardinière détaille avec passion la manière qu’elle a de s’occuper de la terre : « Je vais semer ce que je peux : des radis, des petits pois, certain·e·s mettent des fèves… Je prépare aussi mes plants de tomates, de poivrons et de concombres que je replanterai ensuite. Je fais des expériences, et on essaie toujours d’être bio. »

Une autonomie en fruits et légumes pour les précaires

Au-delà d’occuper ses après-midis, le jardin lui apporte une autonomie partielle en fruits et en légumes. Un coup de pouce dans le budget dont elle n’est pas la seule à profiter. « Je donne des légumes à ma famille, à mes copines. Par exemple, l’an dernier, j’ai eu plein de tomates. Maintenant, je n’en achète plus : une fois que vous avez goûté vos tomates, vous ne voulez plus acheter les tomates d’Espagne, qui n’ont pas de goût et qui assèchent les plaines où elles sont cultivées. »

Chacun·e enrichit son jardin avec ce qu’elle ou il amène de son pays. Ça nous enrichit aussi.

La doyenne du jardin insiste aussi sur le partage interculturel présent dans ces jardins. « Ici, nous sommes de plusieurs nationalités. Alors chacun·e enrichit son jardin avec ce qu’elle ou il amène de son pays. Ça nous enrichit aussi. Lorsqu’on a beaucoup de fruits, on se les donne, il y a des échanges, c’est très sympa. »

Comme beaucoup, Marie se mobilise contre la construction du solarium, qui entraînerait la destruction de dix-neuf parcelles : « Je ne suis pas contre la piscine, mais dans les anciens projets, il n’était pas question du solarium, on l’a appris au mois de juillet, après les élections municipales. J’ai assisté à plusieurs réunions. Et je posais des questions : ‘Allez-vous toucher à nos jardins ?’ La réponse était toujours non, mais c’était toujours à l’oral. »

C’est vrai que la terre ne nous appartient pas, mais ce n’est pas une raison pour tout bétonner. On participe à préserver les écosystèmes.

On reproche au Grand Paris de ne pas se soucier de l’éco-système fragile que représentent ces jardins au coeur de la ville.

La retraitée, outils à la main, comme pour partir au combat, regrette le pessimisme de beaucoup de jardinières et de jardiniers. « C’est vrai que la terre ne nous appartient pas, mais ce n’est pas une raison pour tout bétonner. Il y a du béton partout ! Ici, la terre absorbe la pluie, c’est écologique et c’est un îlot de fraîcheur. J’ai des lavandes, et l’été c’est magique, il y a beaucoup d’abeilles : on participe à préserver les écosystèmes. »

Pour Marie, détruire une partie de ces jardins, c’est aussi tirer un trait sur une histoire ouvrière amorcée depuis près d’un siècle. « Ces parcelles, c’est tout ce qu’il reste du passé ; avant 1935, la plaine des vertus approvisionnait Paris. C’est très important de maintenir cette mémoire. Les premier·e·s jardinier·e·s dans les années 1930, cultivaient les jardins pour manger, parce que c’était difficile. Encore aujourd’hui, c’est pour la nourriture. »

C’est notre lieu de sortie.

Les jardins ouvriers, en pleine pandémie, retrouvent aussi leur fonction sociale, au moment où tout est fermé. Ursula et Claude cultivent leur parcelle au jardin des vertus depuis 2006. « Le jour de la Saint-Nicolas« , souligne Claude, pour l’anecdote. « C’est notre lieu de sortie”. Ce couple de retraités d’Aubervilliers, n’est pas farouchement opposé au projet de la piscine, ni même du solarium, mais souhaiterait qu’il soit construit sur un second étage, pour ne pas empiéter sur les jardins ouvriers.

La solidarité pour chacun et  jardiniers pour tous

Si leur parcelle n’est pas directement menacée par ce chantier, Claude insiste : « On est une grande famille de jardinières et de jardiniers. Si la voisine ou le voisin est touché·e, on l’est aussi. On amène ce qu’on peut à la lutte, on est là. » Ursula indique avec fierté que « c’est avant tout pour manger qu’on cultive, pas pour faire joli. Les jardins ouvriers ce sont des jardins viviers, pas des jardins de fleurs – même si on a aussi des fleurs, qui sont importantes pour la pollinisation. Les gens en ont besoin, avec les crises que l’on vit. On donne des légumes à des gens qui en ont besoin, quand on peut. »

Une solidarité que l’on ne retrouve pas forcément partout. « Ce qu’il y a ici, c’est de la camaraderie : je ne suis pas très bricoleur, et un samedi matin, il y a quatre jardiniers qui sont arrivés avec leurs outils pour nous faire l’avancée de la cabane. Dans la vie courante, on est chacun·e chez soi, on ne connaît même pas nos voisin·e·s. Ici, il y a des liens qui se créent », confie Claude.  

Et les animaux, les oiseaux, les hérissons, avec les travaux qu’est-ce qu’ils vont devenir ?

Inquiets, Claude et Ursula savent que chaque projet, chaque “amélioration urbaine” menace toujours un peu plus les jardins. Du doigt, le retraité désigne la station Fort d’Aubervilliers, à quelques pas des jardins : « Avant que le métro n’arrive ici, à la place du parking, il y avait encore des jardins. Une fois que c’est détruit, c’est détruit, ça ne reviendra pas. »

« Je trouve que c’est une faute grave des politiques », dénonce Urusula. « Chaque fois qu’on a parlé aux élu·e·s, on nous a dit de ne pas nous inquiéter pour les jardins. » Et Claude d’interroger : « Et les animaux, les oiseaux, les hérissons, avec les travaux qu’est-ce qu’ils vont devenir ? »

 « C’est notre campagne d’Aubervilliers. » Avec des étés de plus en plus chauds (en France, la période janvier-novembre 2020 a été la plus chaude enregistrée, que n’importe quelle année enregistrée selon météo France), détruire les jardins, c’est aussi détruire une oasis de fraîcheur, notamment pour les populations pauvres qui restent en Île-de-France pendant les vacances.

Une bouffée d’oxygène dans un océan de béton

Dolores est arrivée l’an dernier, après le premier confinement. « Je suis arrivé par un ami, avec mes plans de tomates. » Mais dès le mois de juin « on a dû se mobiliser ». Membre active du collectif de défense des jardins d’Aubervilliers, Dolores détaille : « Ce que l’on savait à l’époque, c’est qu’il y allait avoir la piscine de construite, et qu’il y allait aussi avoir la gare du Grand Paris Express, un peu plus loin. On ne voulait pas que les gravats soient stockés sur les jardins. » Il n’est alors pas question de solarium, l’information n’arrive aux oreilles des jardinières et des jardiniers qu’au mois de juillet dernier. En septembre 2020, le collectif se forme.

Une bouffée d’oxygène, dans un océan de béton. C’est ce que Dolores vient chercher lors de ses matinées de jardinage. « Ce que j’apprécie ici, c’est d’abord le paysage, qui est dégagé. En ville, notre vision est toujours coupée. Puis les lieux ont une histoire, ici on porte toute l’histoire des jardins. » Et derrière le travail de la terre, un sens politique. « Faire pousser quelque chose que tu vas manger, c’est hyper important. Savoir comment ça pousse. Le samedi on fait des visites avec les enfants notamment, et je me rends compte que les gens ne savent pas mais ils et elles en ont envie d’avoir les mains dans la terre. »

Quand on appelle à des réunions, on est nombreuses et nombreux. Et on avance avec les forces qu’on a. 

« Ce solarium ne sert à rien », affirme Dolores. Sûrement l’un des projets les plus superflus dont la Société du Grand Paris semble avoir le secret (après avoir lancé le projet d’une gare en plein champ sur les terres agricoles de Gonesse). Elle ajoute : « On a bien conscience qu’il s’agit d’un cheval de Troie. » Et Dolores regrette que l’association des jardinières et des jardiniers ne soit « pas dans la lutte ». « Ils veulent rester dans la négociation, et ça nous handicape. On est très peu de personnes à être hyper-actives. Mais quand on appelle à des réunions, on est nombreuses et nombreux. Et on avance avec les forces qu’on a. » 

Si les plans d’action divergent, le constat est le même pour chacun : la destruction des parcelles serait catastrophique pour les jardinières et les jardiniers qui les cultivent déjà. Et aussi parce qu’il s’agit d’un pas de plus dans les grands projets de bétonnisation, quand les rapports scientifiques n’ont de cesse de tirer la sonnette d’alarme des conditions climatiques qui, en ville notamment, tendent à devenir de plus en plus extrêmes. « C’est pour laisser la terre à celles et ceux qui viendront ensuite, aux enfants d’aujourd’hui, qu’on se bat », conclut Dolores, déterminée à récolter les fruits de la lutte.

Eva Fontenelle

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