Si vous vous promenez sur la Rue Henri Dunant non loin de la gare de Savigny-sur-Orge, nul doute que vous remarquerez la devanture couleur rouge vif du Bistrot du Boucher. « Le restaurant a pignon sur rue depuis 2003 et une clientèle fidèle. 100 couverts par jour 7/7 à 35€/couvert en moyenne et un bon niveau de restauration entre la brasserie et le gastronomique », explique avec fierté et un brin de nostalgie, Pierre Haran, le propriétaire des lieux.
L’homme de 55 ans décide en septembre 2018 de racheter l’établissement après avoir longtemps travaillé chez Nestlé : « J’ai racheté le fonds de commerce du restaurant après une carrière chez Nestlé Food Service (filiale française pour la restauration) mais aussi dans des PME, de près de 30 ans. Mon projet était de redynamiser un restaurant emblématique de la ville et me reconvertir professionnellement près de chez moi », rappelle celui qui a tout misé pour reprendre l’enseigne.
Je comprenais très bien le premier confinement même si les salles des restaurants sur l’Île-de-France ont rouvert tardivement.
Lui qui habite dans une ville voisine a trouvé là le moyen d’être proche de ses deux enfants qui viennent lui prêter main forte dès qu’ils le peuvent. Mais voilà que début 2020 le coronavirus commence à être sur toutes les lèvres. L’inquiétude grandit alors de semaine en semaine et le 15 mars la sentence tombe. Le père de famille est contraint de fermer son restaurant à la suite de l’annonce du premier confinement : « Je comprenais très bien le premier confinement même si les salles des restaurants sur l’Ile-de-France ont rouvert tardivement après les autres corps de métier (15 juin et le 2 juin en terrasse, NDLR) ».
Pas de droit au chômage ou autre, le bailleur et l’assureur n’ont rien voulu lâcher.
Bien qu’il profite de cet arrêt de plusieurs mois pour faire quelques travaux dans son établissement, le restaurateur est tout de même inquiet des conséquences de ces mesures notamment sur le plan financier : « J’étais très inquiet pour la trésorerie car le fond de solidarité de 1500,00€ par mois était faible au regard du loyer de 6000,00€ et des charges du restaurant. Puis en tant que président de SAS (société par actions simplifiées) pas de droit au chômage ou autre, le bailleur et l’assureur n’ont rien voulu lâcher. »
Il ajoute : « en revanche, le banquier (Crédit Mutuel) m’a octroyé très vite un PGE (prêt garanti par l’Etat) de 90 000 €. Donc je m’endettais mais j’étais sauvé à court terme pour honorer mes charges. Le seul point positif c’est le chômage partiel des salariés. Cela me permettait de les garder et de penser à la réouverture avec une équipe complète. » conclut-il.
La livraison : 10% du chiffre d’affaires habituel
Face au manque à gagner sur la période Pierre se décide à la livraison via la plateforme Uber Eats en mai dernier, néanmoins 4 de ses serveurs étaient au chômage partiel et seul un cuisinier sur les cinq que compte le restaurant est resté à ses côtés : « Nous faisions 10/15 couverts par jour seulement sur la deuxième quinzaine de mai mais sans boisson ou presque soit 22€/couvert : 10% du chiffre d’affaires habituel. Le peu de chiffre d’affaires réalisé m’a permis de rester proche de l’équipe de cuisine, de couvrir quelques charges et de montrer aux clients que nous existions », explique le gérant du restaurant.
Le déconfinement a permis au restaurateur de se remettre un petit peu à flot financièrement. Mais cela ne s’est pas fait sans quelques sacrifices. Pierre n’a pas touché de salaire durant trois mois malgré l’ouverture du restaurant tout l’été. Alors que les affaires reprennent petit à petit, le deuxième confinement survient à l’automne dernier. « La deuxième vague m’a fait énormément peur car nous n’avions pas vraiment de perspective de réouverture. Et j’avais pu mesurer le coût de la première vague (environ 50 000 €). Je ne pouvais pas imaginer perdre à nouveau autant », avoue-t-il.
Néanmoins il affirme avoir été rassuré par les mesures du gouvernement prises pour les acteurs de la restauration : « Heureusement depuis décembre les aides du gouvernement sont plus conséquentes et me permettent de payer mon loyer. Le gouvernement a enfin pris en compte les différences de taille des restaurants et je suis plus serein en ce début d’année. Pourvu que cela dure. » Malgré les aides exceptionnelles, Pierre Haran a dû se séparer, à contre-cœur, de l’un de ses cuisiniers.
La colère légitime ne justifie pas la fronde d’autant plus que ce restaurateur niçois ne peut se présenter comme un défenseur de la profession en recrutant des travailleurs illégaux.
Ces derniers jours de plus en plus de restaurateurs appelaient à passer outre les mesures sanitaires et ouvrir leur établissement, le hashtag #Desobeissancecivile a pris de l’ampleur sur les réseaux sociaux et sur lequel de nombreuses personnes intimaient aux restaurateurs d’agir au nez à la barbe du gouvernement.
Concernant l’action de Christophe Wilson, le restaurateur niçois qui a ouvert illégalement son établissement, Pierre reste mesuré : « La colère légitime ne justifie pas la fronde d’autant plus que ce restaurateur ne peut se présenter comme un défenseur de la profession en recrutant d’après la presse des travailleurs illégaux », déclare Pierre Haran qui préfère les prises de positions et les mises en garde du médiatisé Philippe Etchebest.
Aujourd’hui le Bistrot du Boucher survit en grande partie grâce aux livraisons et au site d’E-commerce que Pierre a développé. Alors qu’aucune date de réouverture pour les restaurants n’a été annoncée, le gouvernement plancherait pour une réouverture possible uniquement dans plusieurs semaines voire plusieurs mois. Une entrée en matière compliquée pour Pierre dans le monde de la restauration, mais le néo-restaurateur n’espère désormais qu’une seule chose : faire table rase du virus, pour dresser les couverts.
Félix Mubenga