Dans le cortège, parmi les soutiens et les manifestant· e· s en attente de régularisation, Samir, sans-papiers albanais, en France depuis 4 ans, marche depuis 29 jours, après son départ à Montpellier. « On a commencé à Montpellier avec à peu près 55 personnes et chaque jour on était plus. A Nîmes, à peu près 100 personnes, ensuite on a rejoint Marseille et Avignon. » 

Dans toutes les têtes, trois objectifs : Régularisation des sans-papiers, fermeture des CRA (Centre de Rétention Administratif) et logements pour toutes et tous. Pendant un mois, ce sont des milliers de sans-papiers et soutiens qui ont marché au départ de Lille, Marseille, et dans toute la France, pour finir leur périple place de la République à Paris. Initialement prévu jusqu’à l’Elysée, une partie du parcours de ce troisième acte a finalement été stoppé proche de la gare Saint Lazare. Dans une ambiance combative et solidaire, le rassemblement parisien a réuni des milliers de manifestant·e·s.

C’était un rêve pour moi.

Alors qu’il marche depuis un mois, Samir ne parle pas des difficultés physiques durant ce long périple à pied, mais rappelle qu’il se sent « obligé » de participer. Un sentiment partagé par beaucoup d’autres sans-papiers.  « Pour nous, il n’y a pas d’autre choix. Si j’ai un travail, j’ai une possibilité pour vivre, j’ai une possibilité pour garder ma famille et mes enfants. »

Pour Aboubacar, 19 ans, membre du collectif des sans-papiers de Marseille et de l’association des usagers et usagères de la PADA (Plateforme d’accueil des demandeurs d’asile), « c’était un rêve d’assister à toutes les étapes de la marche ». Scolarisé dans une formation professionnelle, il n’a pas pu faire la marche entièrement, mais cette journée de manifestation à Paris est historique pour lui.

« Je suis avec mes semblables, mes ami·e·s, mes frères, sans-papiers comme moi, c’est un défi, c’est un rêve pour moi d’écrire mon nom dans l’histoire, surtout une telle marche. Je ne voulais pas qu’on me la raconte. C’est une obligation pour moi d’assister et c’est aussi une fierté. »

Nader, 30 ans, en thèse de cinéma à l’université Paris 8 et réalisateur, a rejoint les marcheur·se·s du Nord à Saint Denis. « Pour témoigner, avec ma caméra, enregistrer ce qu’il se passe, le cours des choses, les revendications, les voix.  Je me sens concerné par cette histoire puisque je suis moi aussi en situation irrégulière, sans-papiers. »

Pendant la confection des banderoles pour la manifestation de l’après-midi, il avoue avoir ressenti un sentiment particulier qui lui a fait prendre conscience « du combat, cette endurance et cette force d’avoir marché de Lille jusqu’ici ».

Les conséquences de la crise sanitaire plus violentes pour les sans-papiers en première ligne 

« On a risqué notre vie pour sauver la vie. Pour nous, les sans-papiers c’est la pire période de notre vie » rappelle Aboubacar, à propos de la crise sanitaire du coronavirus. « Au gouvernement, ils savent que ce sont les sans-papiers qui travaillent dans les fonctions que les français ne veulent pas. Quand on regarde les premières lignes, c’est les sans-papiers qui ramassent les déchets le matin, qui travaillent dans les hôpitaux, qui ballaient, qui nettoient. »

Mamba, membre de la Coordination 93 de lutte pour les Sans-Papiers (CSP 93), comme beaucoup de personnes en situation irrégulière est confronté à la baisse d’activité des restaurants face au couvre feu. « Je travaille dans la restauration, mais Dieu merci de temps en temps je trouve d’autres missions. » Il ajoute : « Au début du confinement, quand les gens ne travaillaient pas, les sans-papiers étaient là pour pouvoir prendre certains boulots. Avec la reprise des activités, c’est difficile pour les sans-papiers de retrouver du boulot ».

Les boulots les plus difficiles c’est nous qui les faisons.

Alors que tout le monde s’attendait à marcher jusqu’à l’Elysée pour y envoyer une délégation de sans-papiers, la fin du parcours a été interdite, stoppant le cortège dans le quartier de Saint Lazare. La peur de la répression policière est bien présente, et c’est cette raison que les organisateur·ice·s ont décidé d’arrêter la manifestation où la police l’a signalé. « L’objectif c’était d’aller à l’Elysée, mais malheureusement le pouvoir en face ne nous a pas laissé dérouler le programme qui était mis en place, ils nous arrêtent ici. Avec l’escadron qu’il y a aux alentours, on n’a pas voulu prendre de risque pour les sans-papiers » indique Mamba de la CSP 93.

Déception totale chez Nadir. « C’est une claque. Ça ne vaut pas le coup. Je sais que c’est une situation de crise mais ces gens là ont marché depuis un mois, j’espère que ça ne va pas les démoraliser ou les dégouter, de ne pas être arrivé à leur but. »

Mamba reste déterminé : « Ça ne va pas s’arrêter là, même si les gens sont déçu·e·s aujourd’hui. Comme on le sait dans la lutte il faut toujours établir le rapport de force, mais malheureusement comme vous le savez le mouvement des sans-papiers est pacifique, et souvent c’est autour de la table que ça se joue, mais si on n’a pas d’interlocuteurs crédibles et sérieux en face, c’est difficile ».

En pleine crise sanitaire, organiser une marche nationale, qui réunit des milliers de manifestant·e·s représente déjà une réussite pour les organisateur·ice·s. La crise du Covid-19, le confinement, et maintenant le couvre-feu mettent en lumière l’exploitation du travail des étranger·e·s, ainsi que le manque de protections face aux employeurs.

Comme le rappelle Mamba, « tout le monde sait aujourd’hui que les sans-papiers sont sur le terrain, les boulots les plus difficiles c’est nous qui les faisons. Quand il y avait le confinement, les gens étaient à la maison, il fallait livrer les repas, c’est les sans-papiers qui étaient là ».  Ce samedi 18 octobre, les sans-papiers ont encore une fois montré leur présence sur le terrain de la lutte et signaler qu’ils ne lâcheront rien.

Anissa Rami

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