Au petit matin, quelques dizaines de personnes gravissent les escaliers de Montmartre qui mènent à la Basilique du Sacré-Cœur au pas de charge. Une rapide vérification au talkiewalkie pour s’assurer que le champ est libre. Pas de voiture de police en vue, l’action peut commencer. Des associatifs sortent affiches, fumigènes et pots de peinture d’un camion de l’association Médecins du Monde, puis déroulent de longues banderoles dans l’escalier, laissant apparaître en lettres noires : « Sans-abrisme, campements, squats, solidarité. »

Cette nuit, il y aura des centaines d’enfants dans les rues de Paris et de Saint-Denis

En bas des marches, Paul Alauzy, coordinateur chez Médecins du monde, prend la parole face à la presse. « Cette nuit, il fera 3°C, cette nuit il y aura 18 000 logements vides que la préfecture pourrait réquisitionner et cette nuit il y aura des centaines d’enfants dans les rues de Paris et de Saint-Denis. Il y aura des nourrissons qui sortent de la maternité qui seront sur le trottoir avec leur mère qui vient d’accoucher », assène-t-il. Et d’évoquer les  dizaines de milliers de personnes qui survivent dans des campements de misère, dans des squats, dans des bidonvilles. « Qu’est-ce qui va advenir de tous ces gens dans six mois, quand, à cet endroit-là, il y aura la flamme olympique et qu’il y aura toutes les caméras du monde qui ne s’intéresseront qu’au sport et à la grandeur de la France ? », ajoute-t-il en désignant de la main l’esplanade du Sacré-Cœur.

« Nous, on veut vous montrer ce que font les jeux olympiques. » D’un geste, Paul Alauzy demande à ce « qu’on amène les Jeux Olympiques. » Des militants des associations présentes s’avancent en haut des marches, portant des anneaux olympiques à bout de bras, tandis que d’autres versent des seaux de peinture aux mêmes couleurs, qui se répandent sur les mots inscrits sur les banderoles. La peinture aux couleurs des JO vient recouvrir, invisibiliser les lettres noires inscrites au sol. Le message est passé.

Le revers de la médaille, une campagne pour dénoncer les effets délétères des JOP

C’est la deuxième action de “revers de la médaille”, une initiative qui vise à dénoncer les effets néfastes de l’organisation des Jeux Olympiques sur les populations les plus précaires. Le 30 octobre dernier, l’inter-association lançait sa campagne en publiant une lettre ouverte signée par 75 associations solidaires, adressée au Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (COJO), à son Président Tony Estanguet, aux élus de Paris et d’Île-de-France, aux Fédérations Sportives et aux Sponsors et Partenaires des Jeux. Le tout assorti d’une action symbolique de collage d’affiches autour du siège du COJO à Saint-Denis.

Le 30 octobre, les associations du revers de la médaille s’étaient invitées devant le siège du COJO à Saint-Denis. ©NévilGagnepain

Les Jeux vont occasionner un bouleversement profond de la ville, avec un impact très négatif sur la vie de ces personnes

« Les Jeux vont occasionner un bouleversement profond de la ville, avec un impact très négatif sur la vie de ces personnes : délogement des sans-abri, réduction des places d’hébergement d’urgence, fermeture des points d’accueil, diminution de la distribution d’aide alimentaire, etc. », peut-on lire dans la lettre adressée par les associations. Elles y rappellent d’ailleurs que l’expérience des quarante dernières années d’organisation de méga événements sportifs tels que les JO s’accompagne bien souvent d’un “nettoyage social” des rues du pays hôte. 

Une première initiative payante puisqu’elle a permis aux organisateurs d’enclencher des discussions avec les pouvoirs publics. Une première rencontre a eu lieu avec le COJO, la préfecture d’Ile-de-France, la ville de Paris et la préfecture de police de Paris. « Ils reconnaissent qu’il y a un enjeu sur les populations les plus précaires avant et pendant les Jeux Olympiques, relate Antoine Declercq, qui travaille à la coordination du revers de la médaille.  Nous, ce qu’on regrette, c’est qu’il n’y ait pas de plan qui soit pour l’instant élaboré », ajoute-t-il.

Un “nettoyage social” des rues déjà à l’œuvre

L’action, qui durera une petite demi-heure devant le Sacré-Cœur, se déroule sans accro. Satisfaits, les associatifs replient les banderoles et jettent quelques seaux d’eau sur les marches pour nettoyer la peinture. David Clougher est trésorier de l’Assiette migrante, une petite association qui distribue des repas aux personnes à la rue toutes les semaines dans le nord-est de la capitale. «  C’est important pour une association comme la nôtre de participer, assure-t-il. C’est un mouvement qui a pour but non pas d’être contre les Jeux Olympiques, mais de révéler le fait que les JO sont un grand vernis. Il y aura donc une tendance à nettoyer Paris de toutes ses “verrues”. »

Selon lui, toutes les formes de précarités risquent d’être invisibilisé par l’événement planétaire qui va déferler sur la capitale l’été prochain. « Évidemment, ça concerne les gens à qui on s’adresse quand on fait à manger, qui sont majoritairement des exilés. Mais ça va concerner aussi les travailleuses du sexe, les usagers de drogue, des gens qui ont souvent d’ailleurs un toit et à manger, mais qui sont des gens dans la rue et qui la pratiquent d’une façon différente », énumère-t-il.

Ces stratégies d’invisibilisation à l’œuvre, l’Assiette migrante en a déjà été directement témoin en octobre. Un arrêté d’interdiction de distributions alimentaires avait été publié par la préfecture, empêchant l’association d’agir dans sa zone habituelle, vers Stalingrad, à quelques pas d’une future fanzone des JO. Si cet arrêté avait été mis à mal par un recours des associations, ces dernières craignent que ce ne soit qu’un avant-gout de ce qui les attend les prochains mois.

Une volonté des associations de s’impliquer dans l’organisation de la ville pour l’événement

Pour l’instant, les pourparlers entre le revers de la médaille et les organisateurs des JOP en sont à la phase embryonnaire. Mais les associations comptent bien faire le forcing et demandent même à être impliquées dans les comités d’organisation et d’aménagements de la ville en préparation des jeux. «  Nous, ce qu’on demande, c’est que ces JO qui mobilisent d’énormes moyens matériels et financiers puissent servir à laisser un héritage positif en termes de prise en charge des personnes les plus précaires et en termes d’hébergement », explique Antoine Declercq.

Névil Gagnepain

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