Les camions de CRS s’installent aux portes du foyer pour travailleurs migrants de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), rue Nationale. C’est là que démarre la manifestation des résidents qui contestent une décision de justice dans le conflit les opposant à Adoma. Elle ouvre la voie à l’expulsion de 118 résidents.

Sur le lieu du rassemblement, nombreux sont ceux qui se rappellent le passé industriel de Boulogne-Billancourt. Cette usine où beaucoup de résidents du foyer ont été employés. Les mêmes déplorent aujourd’hui leurs conditions de vie. « Le sol s’effondre. Il y a un trou béant dans notre chambre où on peut voir ce qui se passe dans la chambre du bas, on le couvre d’un tapis, mais c’est dangereux. Adoma est pourtant prévenu depuis des mois », rapporte Moussa Bakayoko, ancien de l’usine Renault.

Moussa Bakayoko dans sa chambre partagée de 16m2, constatant le trou au pied de son lit / ©OlorinMaquindus

Au foyer, de nombreux ex-ouvriers de l’usine Renault

Ces travailleurs ont été en première ligne et ont porté cette époque à la force de leur bras pour des salaires dérisoires. Alors que le cortège se lance en direction de la mairie de Boulogne-Billancourt, les manifestants scandent : « Le respect ne se demande pas, il s’arrache ». À l’arrivée, une délégation de résidents doit rencontrer des membres de la municipalité pour trouver des solutions.

« Nous travaillons, cotisons et enrichissons cette nation. Comment se fait-il que nous soyons considérés comme des sous-hommes ? » interroge Ousmane Diakité, résidant du foyer depuis 1984. Certains résidents travaillent toujours pour l’industrie automobile, d’autres exercent des métiers essentiels en tension dans le domaine du BTP, du nettoyage ou de la restauration.

Leur santé est mise à mal, aujourd’hui, de nombreux anciens ouvriers d’usine, la plupart à la retraite, vivent encore dans le foyer. Pour le doyen Bamody Sow, au foyer depuis 1974 et après 22 ans d’ancienneté à l’usine Renault, « les conditions se sont dégradées d’années en années. Le Covid-19 n’a rien arrangé, nos lieux de rencontres comme la cafétéria ou la cuisine collective ont été purement fermés », déplore ce retraité de 77 ans sous dialyse.

Manifestation contre l’expulsion des résidents du foyer Adoma / ©OlorinMaquindus

« On ne demande qu’à vivre en paix »

Amorcé en 1997, le Plan de traitement des foyers de travailleurs migrants vise à transformer des structures en résidences sociales, ce qui nécessite pour la grande majorité des cas des travaux d’ampleur. Pour autant, les promesses ne sont pas tenues.

Les résidents vivent dans « conditions de vie dégradantes, c’est inhumain de laisser des personnes qui travaillent honnêtement vivre dans ce genre de conditions », s’offusque Jacqueline Geering. Photographe, elle est aussi membre du Collectif pour l’avenir des foyers (COPAF), qui lutte depuis plus de 20 ans pour améliorer les conditions de vie et l’hébergement des personnes migrantes.

Ce foyer est l’un des plus anciens foyers de travailleurs migrants de la région parisienne et son état général s’est dégradé au fil des ans en l’absence de toute rénovation. Pour autant, les résidents payent un loyer mensuel élevé, plus de 220 euros par personne pour un lit dans une chambre triple de 16m2 et 350 euros pour une chambre individuelle de 8m2.

Le cortège rejoint la mairie de Boulogne-Billancourt / ©OlorinMaquindus

À plusieurs reprises, Les résidents ont demandé à Coallia, l’ancien gestionnaire du foyer, la remise en état du foyer pour que les conditions d’hébergement y soient acceptables. « C’est parfaitement injuste et scandaleux pour les travailleurs qui ne demandent qu’à vivre en paix », dénonce Bakary Cissokho, le président du comité des résidents du foyer. « On vit dans des espaces privés, minuscules et dépourvus d’espaces collectifs, qui ont été fermés par les gestionnaires, Coallia et Adoma. On a l’impression d’être prisonnier du foyer », continue-t-il, dépité.

En 2016, les résidents du foyer avaient décidé d’exprimer leur ras-le-bol face à l’insalubrité des logements et à la fermeture de la cuisine collective. Ils avaient alors lancé un mouvement de grève des redevances en réclamant à Coallia des conditions d’hébergement dignes et le respect des espaces collectifs des résidents.

 « Il faut que la mairie prenne ses responsabilités »

Le 1er avril 2018, Adoma (ex-Sonacotra) prend le relais de Coallia et devient le nouveau gestionnaire du foyer. Même si l’état du foyer restait indigne et que la cuisine collective était toujours fermée, les résidents acceptaient de reprendre le paiement de leur loyer. Depuis, les travaux indispensables sont loin d’avoir été réalisés. En 2020, Adoma exige le paiement du retard de redevance accumulé lors de la grève contre Coallia aux résidents. Une dette qu’elle a pourtant rachetée pour 1 euro symbolique au moment du transfert de la gestion.

Devant la justice, Adoma exige le remboursement de la dette d’1,3 million d’euros (soit 4 000 à 6 000 euros par occupant), générés par la grève des loyers menée pendant 18 mois en 2016-2017. « C’est une somme colossale que les résidents, pour la majorité précaires et pour d’autres retraités, ne sont pas en mesure de rembourser, soulève Bakary Cissokho. En plus, le Covid-19 a été assez terrible pour beaucoup d’entre nous qui n’avons pas pu travailler pendant toute la pandémie. » La justice, en donnant raison à la société exploitant le foyer, rend effectif l’expulsion de 118 résidents à la fin de la trêve hivernale le 1er avril 2023.

Rassemblement devant la mairie de Boulogne-Billancourt / ©OlorinMaquindus

Devant le parvis de la mairie, Oumar Diakité, délégué d’un foyer Adoma et venu manifester pour « que la mairie prenne ses responsabilités ». Selon Bakary Cissokho, contacté au lendemain de la réception, la ville se serait engagée à convoquer une « réunion d’urgence en présence du Préfet, d’Adoma et des représentants des résidents », et aurait assuré qu’aucune expulsion n’aurait lieu.

Contactés par le BB, ni la mairie, ni Adoma n’ont répondu à nos sollicitations. « La mairie ne souhaite pas être perçue comme favorable aux expulsions de personnes qui pour une grande part habitent à Boulogne depuis 40 ans, pointe Me Pascal Winter. Ils ont travaillé pour beaucoup à Renault et travaillent encore pour un certain nombre dans les services municipaux de la ville. ». Un constat qui laisse un peu d’espoir quant à l’issue de ce combat pour les résidents du foyer.

Olorin Maquindus

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