LA MARCHE. L’ex-miss météo de Canal Plus a fait du chemin. La Québécoise Charlotte Le Bon joue le rôle de Claire, journaliste homosexuelle, dans le film de Nabil Ben Yadir. Elle est nominée parmi les Révélations féminines des Césars 2014. Rencontre.

En 1983, vous n’étiez pas née, quel regard vous portez sur cette époque ?

Sur cette époque je n’en ai pas, c’est pour ça que l’histoire m’a interpellée, et comme mon personnage est homosexuel, je me suis beaucoup renseignée sur la condition des homosexuels à l’époque. Ça m’a étonnée de voir que 1983, c’était il y a 30 ans, mais finalement ce n’est pas si loin c’est l’époque contemporaine et ça faisait deux ans seulement que l’homosexualité avait été dépénalisée. Ça me semble archaïque aujourd’hui de penser comme ça.

Quand est-ce que vous avez entendu parler de la marche pour la première fois ?

En lisant le scénario, ça faisait trois ans que j’étais en France et j’ai pris un cours d’histoire en lisant le scénario. Je me suis beaucoup renseignée après sur Internet grâce aux archives de l’Ina. Ça m’a fascinée que ce ne soit pas un événement plus inscrit dans l’histoire de France et les manuels scolaires parce qu’ils étaient 100 000 à l’arrivée, c’est énorme. A l’époque c’était gigantesque d’autant que c’étaient dix jeunes même pas influents qui ont réussi à mobiliser autant de monde. J’ai même entendu dire que la France n’a été aussi unie que quand elle a gagné la coupe du monde de foot. Autour de moi même aujourd’hui quand je parle de la marche, la majorité des gens ne savent pas de quoi il s’agit. Certains me disent « ah oui la marche des Beurs ».

Comment êtes-vous arrivée sur le casting ?

Le producteur Hugo Sélignac et le réalisateur Nabil Ben Yadir ont voulu me rencontrer. J’ai vu Nabil une première fois, j’ai lu le scénario puis on s’est revus pour en reparler. Je lui ai démontré mon enthousiasme. J’étais surtout très honorée qu’on me demande de faire partie de cette équipe parce qu’on m’a jamais proposé un tel rôle. Quand j’ai appris que Jamel Debouzze et Hafsia Herzi arrivaient sur le casting, je me suis presque mise à pleurer, je me suis dit où est ma légitimité. C’est complètement fou. Je me suis dit que ça aidait mon personnage qui se retrouve dans le combat pour l’égalité.

Le personnage de Claire n’existe pas. Vous avez eu plus de liberté dans l’interprétation, comment avez-vous abordé le rôle ?

Ça me met moins la pression et ça évite de vouloir imiter la personne. Parfois ça peut être contraignant. Claire est un rôle de composition même si elle me ressemble beaucoup.

A quel point ? Est-ce que vous auriez pu marcher comme Claire ?

Dans d’autres circonstances oui j’aurais pu, mais là aujourd’hui je marche en faisant ce film. Moi ça me touche les gens qui se donnent à des causes. Je ne suis pas aussi altruiste qu’elle. Elle ne se pose pas la question de sa légitimité.

Comment avez-vous abordé la scène de viol et quelle était sa justification dans le scénario ?

C’est très physique. C’était plus difficile pour celui qui joue mon violeur. On a fait deux répétions chorégraphiées et avec de bons cascadeurs. On se laisse porter par le moment. Nabil m’a dit que ce n’était pas une scène facile mais indispensable pour le parcours de Claire. Cette violence est un racisme. L’homophobie et le racisme c’est la même chose. C’est issu de la bêtise et la peur. On est tous dans le même bateau.

Avec votre regard étranger, avez-vous le sentiment que le racisme a progressé ?

Les propos racistes se sont banalisés. Je pense par exemple à cette ado de 12 ans qui balance une peau de banane à Christiane Taubira en la traitant de guenon, c’est fou. Il y a une stigmatisation des étrangers alors qu’on parle de gens qui viennent chercher une meilleure vie ici. On les traite comme des criminels. Je suis moi-même immigrée et je galère comme une clocharde pour avoir mes papiers. Je fais la queue à la préfecture, il n’y a rien de clair, jamais. Ce qu’on entend le plus souvent quand on pose une question c’est « je ne sais pas » ou  » je ne peux pas vous aider ». On se demande s’ils ne font pas exprès pour nous dissuader. Même s’il y eu des avancées depuis la marche. Les crimes racistes ont été reconnus mais le combat continue. Il y a encore des enfants d’immigrés qui ont des difficultés à avoir un boulot ou un logement juste parce qu’ils sont bronzés.

Que retenez-vous de vos rencontres avec les marcheurs ?

Je ressens qu’ils ont beaucoup souffert après la marche, il y a encore une espèce de rancune à cause de la récupération de SOS Racisme ou le PS. Ils se sont sentis poussés et volés. Quand j’entends Toumi Djaïdja, ce qui me frappe c’est sa sagesse. Il n’est jamais négatif il parle que de l’homme. Pour moi c’est la clé pour l’égalité. Il faudrait donner la parole à plus de personnes comme Toumi.

C’est un film populaire, est-ce la bonne approche ?

Oui sinon Nabil en aurait fait un documentaire. Quand Jamel arrive, c’est une bouffée d’air frais. Sa force, c’est de faire déplacer des gens au cinéma. Peut-être que des gens qui ne seraient pas allés voir « La Marche » vont apprendre cette histoire et ça, c’est génial.

Propos recueillis par Faïza Zerouala

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