Contexte : L’hébergement d’urgence traverse une grave crise en Île-de-France. Dans une série de trois articles, nous documentions comment des dizaines de milliers de personnes sont mises à l’abri dans des hôtels, souvent insalubres, de la région. Dans ces structures, l’isolement s’ajoute à la précarité. Les familles s’y retrouvent bloquées, parfois plusieurs années, faute de pouvoir accéder à un logement pérenne. 

Pour prendre le contre-pied de ce constat délétère, nous nous sommes rendus au Centre de promotion familiale d’ATD Quart Monde de Noisy-le-Grand. Ce centre propose un accompagnement des familles, basé sur l’humain, la dignité, la communauté et se veut un tremplin vers l’accession à un logement social pour les familles du 115.

***

Sur les tables, des colliers de perles multicolores, une brioche bien entamée et une théière encore fumante. Aïssa, Irina, Marius, Maïma et Bénédicte discutent pendant que, dans le fond de la salle, les enfants dessinent sur un tableau blanc. Tous les jeudis matin, cette salle vitrée au rez-de-chaussé d’un bâtiment défraichi accueille le café des parents. « On parle de notre vie quotidienne, de notre parcours logement, de nos enfants, et parfois de nos problèmes », raconte Aïssa.

Après avoir été hébergée au Centre maternel de Bobigny pendant deux ans, la jeune femme a intégré, en septembre dernier, un F3 du Centre de promotion familial de Noisy-le-Grand, avec ses deux enfants. Comme Aïssa, 30 familles logent ici, dans des appartements d’Emmaüs Habitat. La plupart sont d’abord passées par les hôtels d’hébergement d’urgence avant d’être orientées au centre de Noisy-le-Grand, par le 115 de Seine-Saint-Denis.

Au sein d’ATD, on considère que la misère est une violation des droits de l’homme

Ici, chaque famille est locataire à part entière. Toutes signent une convention d’occupation temporaire, et participent au paiement du loyer, avec l’aide de la CAF, en fonction de leurs ressources. « Au sein d’ATD, on considère que la misère est une violation des droits de l’homme. Notre objectif est d’accompagner les gens à reconquérir leurs droits et les responsabilités qui vont avec, de transformer une période de survie en une situation de pleine citoyenneté », explique Christophe Géroudet, volontaire d’ATD Quart Monde depuis 1992.

Une communauté engagée dans un même refus de la misère

Depuis sa création en 1957, le mouvement ATD défend l’idée d’une communauté entre les pauvres et des non-pauvres, engagés dans un même refus de la misère. À l’époque, le père Joseph Wresinski s’engage aux côtés des 252 familles du bidonville de Noisy-le-Grand et décide de dédier son énergie à faire reconnaître « ce peuple en quête de dignité ».

« Le mouvement est né d’un combat pour soutenir les familles du bidonville qui était en train d’être démantelé », rappelle Christophe Geroudet, codirecteur du Centre de Noisy-le-Grand. Plus d’un demi-siècle plus tard, le bidonville a laissé place à un Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Gérés par des associations ou des collectivités locales, ces centres ont pour mission d’assurer l’accueil, le logement, l’accompagnement et l’insertion sociale des personnes connaissant de graves difficultés.

Mais dans le département, comme en Île-de-France, l’hébergement d’urgence se fait principalement à l’hôtel : 12 500 personnes y sont mises à l’abri chaque nuit. Elles sont dix fois moins, à être hébergées dans les 17 CHRS de Seine-Saint-Denis. « Ces chiffres révèlent la volonté de l’État de laisser les gens dans les hôtels au lieu de les loger et de les insérer », estime Jean Cantin, codirecteur du Centre.

« Enfin un vrai repas de famille »

Assise en bout de table, Maïma colorie une rosace pour s’occuper les mains. Elle raconte son parcours, sans lever les yeux de son dessin. Après une période d’errance entre différents hôtels d’hébergement d’urgence, Maïma a fini par trouver une place au centre de Noisy-le-Grand, grâce à son assistante sociale. « Quand on devait déménager d’hôtel en hôtel, on avait une journée pour se débrouiller à transporter toutes nos affaires. Là, l’équipe d’ATD est venu nous chercher avec un camion et nous a aidé à monter nos affaires dans l’appartement. »

Face à elle, Irina renchérit : « La première chose qu’on a faite quand on est arrivés avec mes enfants, c’est aller dans la cuisine. On s’est dit qu’on allait enfin pouvoir se faire un vrai repas de famille ! » Arrivée du Portugal en 2011, Irina a dormi dans des parcs, sur des parkings, à l’hôpital avant de s’en remettre au 115. « Baladée d’hôtels en hôtels » avec ses trois enfants, elle ne sait même plus combien de chambres elle a occupées.

Pour les petits et les grands, l’émancipation par la culture

En début d’après-midi, partout dans le centre, membres d’ATD et habitants travaillent de concert à la préparation d’un carnaval. Les plus grands, par groupes d’âge, participent à la création des déguisements. À l’extérieur du bâtiment, un immense char, construit entièrement au centre, attend le grand jour sous une bâche grise.

Au pivot culturel, quatre bambins préparent leurs masques de chevaux, sous l’œil attentif de Quentin Bernard, qui anime le lieu quatre jours par semaine. Atelier cuisine, couture, théâtre, peinture, ici la culture est perçue comme un outil d’émancipation. « La grande pauvreté, ça enferme les gens. Pour se libérer, c’est important de retrouver une liberté de penser, de s’informer, de créer », considère celui qui a rejoint le Centre en septembre 2021.

Il est 14 heures. Dans la salle commune, le café des parents laisse place à un atelier couture pour les adultes. Sur les baies vitrées de la pièce, des affiches oranges souhaitent la bienvenue aux familles « Bamba et Koné ». Ici les pots de bienvenue succèdent aux pots de départ. Volontaire permanent au sein du mouvement, Marius assiste à chacune de ces retrouvailles. « Évidemment, il y a des liens qui se créent, mais on sait qu’ici, c’est un lieu de passage. S’ils partent, on sait que c’est pour rejoindre un logement définitif et que ça libère de la place pour d’autres qui en ont besoin. »

Un accompagnement sur le long terme

Au quotidien, les équipes d’ATD Quart Monde aident les ménages dans la constitution et la mise à jour de leurs demandes de logement social. Elles nouent des partenariats avec certains bailleurs sociaux pour tenter de présenter des offres adaptées aux familles. Dès lors, pour accéder au Centre de promotion familiale, au moins un des parents doit être en situation régulière. Un statut indispensable pour bénéficier d’un logement social.

Une fois que les familles accèdent à un logement pérenne, le suivi se poursuit pendant deux ans. « Comment s’inscrire dans un quartier, établir le lien avec un centre social, trouver une bibliothèque, une maison pour tous, un centre de loisir, on les accompagne jusqu’à ce qu’elles soient autonomes », relate Jean Cantin. Depuis 201, 125 personnes ont été relogées dans la commune de Noisy-le-Grand.

On n’est pas des machines à dire “on va sortir 10 familles de l’extrême pauvreté”

Investir un appartement, gérer un budget, faire ses courses, se faire à manger… Après une vie passée dans les hôtels sociaux, c’est tout un monde à réapprendre. « Pour que les familles s’émancipent, ça peut prendre 5 ans, 10 ans, ça peut être la prochaine génération, on ne le sait pas à l’avance. On n’est pas des machines à dire “on va sortir 10 familles de l’extrême pauvreté” », explique Angela Melina, volontaire d’ATD depuis 23 ans.

« Ce ne sont pas les chiffres qui comptent, c’est la qualité du travail qui est fait. C’est de redonner confiance aux gens, et ça, ça ne peut pas se quantifier ! » réagit François Magne, assistant social du centre. Malgré tout, l’équipe se prête au jeu des calculs. « Le centre compte 15 salariés rémunérés par les financements de la DRIHL*. Si on compte le coût de l’accompagnement et celui des APL payés par l’État, on est à 6 500 euros par an, soit 17,80 euros par nuit et par personne », évalue Jean Cantin.

À titre de comparaison, une place en hôtel coûte en moyenne 18,60 euros par nuit et par personne. Un constat économique qui confirme un peu plus que la crise de l’hébergement d’urgence n’est pas une fatalité. Que ne pas donner la possibilité aux 4 000 familles hébergées dans des hôtels du département d’accéder à un logement digne relève d’un choix politique.

Margaux Dzuilka et Névil Gagnepain

Illustration : Maya Gering 

*La direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement.

Articles liés