Contexte : Après une opération de mise à l’abri le 27 octobre, le campement de La Chapelle, dit du « Skate Park », a fait l’objet d’une seconde évacuation quelques semaines plus tard, jeudi 17 novembre. Selon les chiffres officiels de la préfecture de région Île-de-France, 956 hommes isolés ont cette fois été pris en charge. Depuis le début de l’année 2022, 5 605 personnes, présentes sur des campements, ont été mises à l’abri, pour la plupart temporairement, dans le cadre d’opérations conduites par les services de l’État. 

À noter que les mises à l’abri conduisent rarement à des hébergements pérennes, contrairement à ce que cette formule peut laisser entendre. Une mise à l’abri peut se traduire par une ou deux nuits dans un hébergement d’urgence (gymnase, hôtel social…). 

Une épidémie de gale s’est propagée sur le campement du « skate park » comme nous le documentions dans le précédent Carnet de route. Rien ne dit que la précédente évacuation ait résolu cette situation préoccupante. Les médecins présents sur place alertaient sur l’urgence sanitaire : « La seule solution, c’est l’hébergement », affirmait Paul Alauzy, de Médecins du monde.

Date : 17 novembre 2022

Lieu : campement de La Chapelle, dit du « Skate Park »

Jeudi 17 novembre – 8 heures

Dans le Nord-Est parisien et sur les chaînes d’informations en continu, les images d’évacuations de campements sont les mêmes depuis sept ans. Plan serré sur le journaliste posté devant un bus ou une file d’attente, et avec un peu de chance, un petit crachin automnal. Ce jeudi 17 novembre ne déroge pas à la règle. « Tiens, l’AFP vient d’arriver », commente un acteur associatif entre deux coups de téléphone, sous les rames du métro La Chapelle.

Camille, de l’association Tendre la Main, est là depuis 6 heures du matin. Les équipes de France Terre d’Asile, chargées de coordonner les opérations de mise à l’abri, patientent elles aussi près du métro. Elles le savent, la matinée va être longue. C’est la 17e opération du genre depuis le début de l’année. Chaque fois, la même rengaine : attendre les bus, y faire monter des personnes, gérer le flux, le froid, l’impatience.

Paris – 17 novembre 2022 : Évacuation du campement de la Chapelle. 800 exilés ont été emmenés dans des bus pour plusieurs villes de France. ©Nnoman

Sur les campements, la plupart des acteurs associatifs ont tissé des liens forts avec les exilés. Ils les appellent par leurs prénoms et partagent, parfois durant de longues heures, le thé ou le café. Quand vient le temps de l’évacuation, on ne parle plus : on observe. Il faut garder un œil sur l’attitude des policiers, tenter de grapiller des infos sur les gymnases vers lesquels seront transférés les groupes, informer les collègues, ramasser les tentes et les effets personnels, quand c’est possible.

Il y a quelques années, les premiers militants arrivaient dès 4 heures du matin avec leur thermos de café. Ils installent parfois une table sous un pont abrité, et distribuent les boissons chaudes en attendant le départ du dernier bus. Ce matin-là, pas de thermos, et guère plus de militants. Et pour cause : de nombreux acteurs de terrain, pourtant habitués des “évacs” n’ont même pas été prévenus de l’opération.

Ils ont appris la nouvelle au petit matin, sur les groupes de discussions. La présence de l’Unité d’Aide aux Sans-Abris (UASA) de la mairie de Paris n’a visiblement pas été jugée nécessaire. « J’ai l’impression qu’ils sont en train de se faire mettre sur le carreau. Avant, c’était impensable de ne pas les voir sur une évac’. Là, on ne les sollicite même plus », commente le cadre d’une ONG.

Lassitude

Ce jour, quelque 1 000 personnes doivent être prises en charge. Dès 7h30, les rues adjacentes au campement sont bloquées par les forces de l’ordre : d’un côté, dix fourgons de CRS et deux camions de pompiers. En face, une dizaine de camions de gendarmes mobiles. Les premiers visages sortent des tentes : il est temps de se mettre en rang. On sait pourquoi, mais pas vers quelle destination.

Certains bus affichent leur parcours sur une pancarte, d’autres non. « Pour l’instant, ce sont les bus vers l’Île-de-France, et ensuite ce sera la région. De toute façon, on publiera un communiqué », indique un agent de la préfecture. On apprendra effectivement à l’issue de l’opération dans ledit communiqué que 197 personnes ont été orientées vers des centres d’hébergement en région, et 759 en Île-de-France.

Mais avant de monter dans les bus, ces 956 personnes ont attendu leur tour, entassées sur le trottoir du boulevard de la Chapelle. Nombreux en sandales, malgré la pluie. Au froid, s’ajoute l’épuisement des nuits sans sommeil passées sur le campement, sous le vacarme incessant des rames. La profonde lassitude, aussi, d’une traversée d’un désert qui semble ne jamais prendre fin.

Les « habitués » des campements sont le plus souvent des hommes seuls, jeunes et dont la demande d’asile à été rejetée. Ils ne parviennent plus à compter le nombre de bus qu’ils ont empruntés sur les doigts d’une seule main, depuis leur arrivée en France.

La faim, la soif, la gale, la honte, la colère. Il est 10 heures du matin. Encore des centaines de personnes patientent. « J’ai l’impression qu’ils se sont trompés dans le nombre de bus, et que certains sont en train de faire des allers-retours », observe une militante. Alors parfois, certains tentent un passage en force et s’élancent vers un bus. La police nasse, et repousse à coups de bouclier. La routine.

Puis vient l’heure du déjeuner. Les médias ont plié bagage. Les quelques photographes indépendants venus couvrir l’événement échangent quelques sympathies pour certains, quelques formalités pour d’autres, avec les associations. Au fond, tous savent qu’ils se retrouveront bientôt.

Julie Déléant et Nnoman 

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