À 8 heures du matin, des enseignant.es et parents d’élèves discutent devant le collège Lanvegin-Wallon (Rosny-sous-Bois). Une scène qui passerait pour anodine s’il n’y avait pas la musique et les pancartes accrochées au portail de l’école. Ce jeudi 7 mars, enseignant.es et personnel ont décidé de tenir un piquet de grève à l’entrée de l’établissement. À l’intérieur, seule une trentaine d’élèves est présente, sur les 535 que compte ce collège de Seine-Saint-Denis.

« On a suivi le mouvement dès la semaine dernière et aujourd’hui c’est une journée phare », explique Julie*. Comme 70 % des enseignant.es de son collège et 100 % des AED, cette professeure d’anglais est en grève. Porté par l’intersyndicale départementale (FSU, CGT Educ’action, SUD éducation, CNT), le mouvement appelle depuis décembre dernier à un plan d’urgence pour l’éducation en Seine-Saint-Denis.

Ça fait huit ans qu’on nous parle de rénovation

Près d’elle, ses collègues, toutes et tous syndiqué.es, ne manquent pas d’exemples pour expliquer leur ras-le-bol. « On a déjà des classes trop nombreuses, un gros manque de budget, des problèmes d’insalubrité », énumère Laure, professeure de math. Dans sa classe, une de ses élèves n’a toujours pas pu bénéficier d’un suivi avec une AESH (accompagnante des élèves en situation de handicap).

Dans une autre classe, les élèves n’ont pas eu de cours d’anglais pendant cinq mois. Dans une autre, pas de physique-chimie durant un mois. S’ajoutent à cela les problèmes d’inondations, les fuites d’eaux à chaque fois qu’il pleut, les volets qui ne fonctionnent pas, les fissures et l’absence d’ascenseur pour accueillir les personnes à mobilité réduite. « Ça fait huit ans qu’on nous parle de rénovation, lâche Julie dans un rire nerveux. Là normalement des travaux sont prévus, mais on n’en sait pas plus. » 

Une réforme qui creuse encore plus le manque de budget

Pour Robin, ses débuts d’enseignement dans le 93 ont eu « l’effet d’une claque ». Ce professeur de 25 ans a d’abord fait ses armes dans l’académie lyonnaise. Nombre de professeur.es, équipements informatiques, état des bâtiments, mixité sociale… « Ça n’avait rien avoir », se souvient-il. « Le 93 ne reçoit pas les moyens et le soutien dont il a besoin. »

On n’a même pas les moyens pour nous donner des feutres »

Alors, quand Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, annonce son nouveau plan « le choc des savoirs », c’est la goutte qui fait déborder un vase déjà sous l’eau. Entre autres, cette réforme entend mettre en place des groupes de niveaux. « Il n’y a pas de moyens pour pouvoir faire ça. On n’a même pas les moyens pour nous donner des feutres », s’agace Mathieu, avant de rappeler que le 93 est le département le plus pauvre de France métropolitaine. « Ce sont les parents des élèves qui achètent les balles de ping-pong ou les raquettes », ajoute Robin, exaspéré.

Le manque de budget pour la rentrée prochaine inquiète. En effet, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a récemment annoncé d’importantes coupes budgétaires, notamment dans le budget de l’Éducation nationale.

Un serrage de ceinture qui s’opère déjà lieu dans ce collège de Rosny-sous-Bois. Laure, la professeure de math, évoque la  suppression des heures payées pour les trajets de sorties scolaires, ou encore des heures de préparations au brevet. « Chaque matière va encore sacrifier quelque chose », pressent-elle.

Anaïs, professeure d’anglais, s’inquiète également de l’impact sur l’opération Sentinelles et Référents, un programme mis en place sur le temps du déjeuner, pour lutter contre le harcèlement scolaire. Pour pouvoir appliquer la nouvelle réforme, le collège s’est vu contraint de ne plus fournir gratuitement les repas. « On craint que beaucoup d’élèves ne puissent pas venir à cause de ça », explique la déléguée syndicale de la CGT Educ 93.

45 000 manifestant.es selon les organisateurs

Des constats et des revendications portées par une grande majorité d’établissements du 93. Et pour cause, ce jeudi 7 mars, le Syndicat national des enseignements de second degré annonce 45 % de grévistes dans le premier degré et 60 % dans le second degré.

Quelques heures plus tard, les professeur.es prennent pancartes et RER pour rejoindre la manifestation à Paris. À l’approche du cortège, les sourires gagnent leur visage. « Je suis content qu’il y ait autant de monde, lâche Robin, mais je ne suis pas étonné. Il y a un consensus chez les enseignant.es, c’est évident. » Selon les syndicats, ils sont 45 000 personnes à s’être réunies place de la Sorbonne.

L’an prochain, on aura seulement deux CPE pour 800 élèves !

L’équipe du collège Langevin Wallon marche en tête du cortège, sous un grand soleil. Leur collègue Anaïs a pris le mégaphone du camion de la CGT. « Nous, ce qu’on veut, c’est le plan d’urgence ! », scande-t-elle. « On veut du fric pour l’école publique », « de l’argent, il y en a dans les caisses de Stanislas ! ».

Derrière eux, des enseignants, mais aussi des parents d’élèves, des lycéens et quelques députés de gauche, prennent les slogans d’Anaïs. Parmi eux, Claire, enseignante de français du collège George Braque. « L’an prochain, on passe de 680 élèves à 800 [dans mon collège], déplore-t-elle. Et cela, sans moyens supplémentaires. On aura seulement deux CPE pour 800 élèves ! »

Grève reconduite

La manifestation se poursuit en direction du ministère de l’Éducation nationale, mais aucune délégation ne sera reçue aujourd’hui. « C’est notre deuxième refus, confie une membre de la CGT Educ, mais on ne désespère pas, en 1998 ils en avaient essuyé huit », rappelle-t-elle. Une allusion au temps où la grève des enseignants du 93 avait entraîné la création de près de 3 000 nouveaux postes.

À la fin de la manifestation, une partie des grévistes se réunit pour une assemblée générale. Selon le SNES-FSU 93, 450 personnes se sont retrouvées à la Bourse du travail de Paris. Un « moment historique pour l’école publique », annonce le syndicat. À mains levées, la grève est reconduite pour toute la semaine prochaine.

Maria Aït Ouariane

*Le prénom a été modifié

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