La 35e édition du marathon de Paris qui a eu lieu dimanche a accueilli 40 000 participants. L’avenue des Champs-Elysées bourdonnait d’un incroyable brouhaha et d’une fiévreuse excitation à l’approche du départ fixé à 8h45. En plus d’un public toujours au rendez-vous, la température quasiment estivale de ce week-end a rajouté à l’ambiance de fête. Cette année, un habitant de la Seine-Saint-Denis, Pascal Fortin, non inscrit dans un club, se fixait pour objectif de faire au moins aussi bien que lors de sa première participation à un marathon où il avait accompli les 42,195 km en moins de 3 heures.

Depuis le mois de septembre 2010, date de son inscription à la course, j’ai suivi cet athlète de 42 ans dans sa préparation. Arriver sous les 3 heures ne s’improvise guère. Pascal s’est donc investi dans un entraînement presque quotidien (six fois par semaine), à l’heure du déjeuner en semaine, pour reprendre ses activités professionnelles dès 14h15. Partant tôt à son travail le matin, et rentrant tard chez lui le soir, il m’explique que ce créneau horaire était le seul raisonnablement envisageable pour son entraînement.

En semaine, celui-ci a lieu le long de la Seine et sur une piste d’athlétisme du côté d’Asnières tandis que, le week-end, Pascal s’entraîne au stade de Pantin – ville qu’il habite depuis 4 ans – et sur les berges du canal de l’Ourcq. Sa préparation, très variée, consiste en séances de 20 fois 200 ou 10 fois 400 mètres destinées à l’aider à accroître sa vitesse de course ou encore en séries de 4 à 5 fois 2000 à 3000 mètres pour apprendre à courir vite et longtemps.

Depuis le mois de septembre de l’année dernière, il n’a pas cessé d’alterner également les séances de footing lent et au rythme de la compétition afin de se rapprocher le plus près possible des conditions du marathon. Tout cela, bien sûr, quelles que soient les conditions météorologiques et malgré le dernier hiver qui fut assez rigoureux : dans le froid et sous la pluie, parfois même sous la neige, l’entraînement, oscillant entre 45 minutes et 2h30, continuait !

Mais au fait, pourquoi s’impose-t-il un tel traitement ? Le goût de l’effort, l’envie de se surpasser, d’épater la galerie ou bien de rester autant que possible jeune et en bonne santé ? Sans doute un peu de tout cela. L’un des principaux avantages de la course à pied, observe-t-il, est que tout le monde ou presque peut s’y adonner et ce, à n’importe quel moment de la journée et de l’année. Il suffit pour cela de disposer d’un petit créneau de libre, d’une bonne paire de baskets, d’un short et d’un tee-shirt et, hop, c’est parti pour un tour ! Cette activité offre, croit-il, la meilleure solution pour s’extraire du stress, de la routine et des petits tracas de la vie quotidienne.

Enfin, affirme-t-il, la course à pied procure un sentiment de bien-être, et même, cela a été scientifiquement prouvé, une réelle euphorie qui permet de rehausser le cours de notre existence d’une petite pointe de bonheur à ne pas négliger dans la morosité ambiante. Qu’on se le dise : au-delà de la souffrance, des séances d’entraînement parfois très intenses, des petites douleurs plus ou moins passagères, cette activité est avant tout une source de plaisir.

Bien sûr, ce sport n’a pas que des avantages. Pratiqué sérieusement, il impose pas mal de contraintes. En effet, si, depuis son adolescence, la course à pied est le violon d’Ingres de Pascal, elle n’est pas forcément celui de sa compagne. La course est un sujet de conversation trop récurrent à l’heure des repas, lui reproche-t-elle. Il faut ajouter à cela les restrictions en termes de sorties et de voyages, le régime alimentaire spécifique très centré sur les féculents ainsi que les grosses fatigues du coureur, le week-end, lorsque les entraînements sont les plus longs et les plus intenses. « Préparer le marathon exige beaucoup de compréhension de la part du conjoint », ajoute-t-elle.

Les dernières semaines de préparation, Pascal a eu une périostite, blessure très fréquente chez les coureurs à pied, liée à l’intensité de l’entraînement ainsi qu’à la violence du choc du pied contre l’asphalte. Contractures musculaires ainsi que nombreuses crampes ont été l’apanage de sa longue préparation mais la périostite, il n’en avait jamais eue auparavant. A ce moment-là, il a vraiment craint de ne pas pouvoir participer au marathon. La douleur qu’il éprouvait au tibia était extrêmement vive. Tout abandonner la veille du grand jour lui aurait laissé un réel sentiment d’échec et une grande frustration. Finalement, après la visite chez un médecin du sport, la douleur s’est progressivement estompée.

Samedi, la veille du marathon, c’est l’excitation, l’envie impatiente de participer à la course pour concrétiser six mois d’effort physique mais aussi la crainte d’une blessure le jour J qui résument le mieux son état d’esprit. Lors de notre avant-dernier rendez-vous, il ne pensait encore qu’à la course du lendemain, feuilletant une brochure énonçant les dernières consignes avant l’épreuve. Il m’avoue espérer franchir la ligne d’arrivée au bout de 2h50 ce dimanche, soit un rythme de 15km/h tout de même !

Dimanche 10 avril 2011. Le public est, comme chaque année au rendez-vous. L’ambiance est formidable. A la porte d’Auteuil, pom-pom girls et encouragements des familles sur fond de musique festive redonnent du moral aux coureurs qui en sont à leur 35e kilomètres. Certaines agitent des drapeaux, d’autres scandent le nom ou le numéro du marathonien. Une épouse se met en tête d’accompagner sur quelques centaines de mètres son conjoint épuisé.

Les premiers coureurs sont, eux, arrivés depuis un bon moment maintenant. Ce sont, pour la plupart, des Kenyans et des Éthiopiens. Sans être passionnée de course à pied, j’ai observé leur foulée à plusieurs occasions sur le parcours et ai été agréablement surprise par leur élégance. Ils faisaient penser aux athlètes grecs de l’antiquité, du moins à l’idée que je peux me faire d’eux. Quelques instants plus tard, me voilà avenue Foch, lieu l’arrivée. J’apprends enfin le classement de Pascal Fortin : 02 h 58 min 05 sec. Son objectif n’a pas été atteint mais il termine à la 638e place sur environ 31 000 participants. Ce n’est pas si mal, lui dis-je.

Un peu déçu, il me salue une dernière fois, après nos entretiens commencés il y a plusieurs mois. Je le félicite encore. « Loin des clichés mais aussi des réalités sur le mal-être, la violence et la délinquance en Seine-Saint-Denis, s’exclame-t-il, l’écrasante majorité des gens qui vivent dans ce département s’y épanouissent pleinement, comme moi, à travers la pratique de leurs activités favorites, sport, loisirs, culture. Cela peut paraître banal de le dire mais il n’est pas inutile de le rappeler. Merci de bien penser à l’écrire dans ton papier ! »  Eh bien voilà, c’est fait. 

Gaëlle Matoiri

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