« C’est étouffant de vivre au 10ème étage et devoir descendre et monter les escaliers », peste Flore Balland, trentenaire, croisée au niveau du 2ème étage, son panier de course dans les mains. Au 21 avenue de la République à Épinay-sur-Seine, cela fait désormais six semaines que les habitants copropriétaires de l’immeuble de dix étages vivent sans ascenseur.

La matinée du 25 décembre, jour de Noël, ils ont eu le soulagement de découvrir que l’ascenseur était enfin réparé. La joie n’a duré que quelques heures, l’ascenseur étant retombé en panne rapidement. À l’entrée principale, une affichette collée devant la porte de l’ascenseur faisait encore office d’informations lundi matin : le syndic priait les habitants de l’excuser pour le dysfonctionnement. Pour l’explication des motifs, il fallait repasser. Ce mardi matin, plus d’affichette mais l’ascenseur, lui, est bien toujours en panne.

« Mon mari est malade, il ne peut pas sortir alors je dois faire les courses et les monter seule »

L’ascenseur est le seul de l’immeuble. La panne est une galère sans nom pour les habitants surtout pour les plus fragiles, comme Annie* âgée de 87 ans. « À mon âge, je souffle et je souffre énormément dans les escaliers. Mon mari est malade, il ne peut pas sortir alors je dois faire les courses et les monter seule au 4ème étage. Vous vous rendez-compte, jeune homme ? ». C’est une épreuve douloureuse pour de nombreux habitants, surtout ceux contraints de sortir plusieurs fois par jour. C’est le cas de Fatima*, 33 ans croisée sur le palier du 4ème étage. « Je suis vraiment épuisée. Je n’ai pas d’autre choix que de faire plusieurs fois par jour les allers-retours pour amener mes deux enfants à l’école, les chercher pour le déjeuner, les ramener en début d’après-midi puis retourner les récupérer. Sans oublier, les courses évidemment ».

La panne d’ascenseur de six semaines a bouleversé le mode de vie de certains habitants. Désormais, il faut tout calculer avant de sortir : pas question d’oublier la baguette de pain par exemple. Amelle Cheriguene, 35 ans, mère de deux enfants, habitante du 7ème étage, est lessivée. « Je fais 4 allers-retours par jour. La situation devient insupportable ». Sabrina, enceinte de 7 mois, vit au 8 étage. Âgée de 34 ans, elle est déjà mère de deux filles et travaille comme commerçante. « Quand je monte à pieds jusqu’à mon appartement au 8ème étage, je suis en pleurs. Ma mère m’a proposé de vivre avec elle mais je ne peux pas laisser mon mari comme ça. Et ma petite fille de 2 ans ne peut pas monter jusqu’au 8e étage, je dois la porter. (…) On a aucune explication. Rien ! Ils sont injoignables ». Sabrina nous confie que, selon son médecin, la date de son accouchement va probablement arriver plusieurs jours plus tôt en raison des efforts pour rejoindre à pied son 8ème étage.

« Je paye 800 euros par trimestre de charges pour un ascenseur défaillant »

À quelques mètres de là, au 25 avenue de la République, la situation pour les habitants devient elle aussi insupportable. Cela fait deux mois qu’ils vivent avec un ascenseur qui ne fonctionne qu’une fois sur deux. « Les gens qui interviennent ne font que du bricolage, il n’y a jamais un bon entretien, ils viennent pour deux heures et après ils repartent, s’insurge Jobarda, habitant du 8ème étage. Puis à peine quelques heures plus tard, l’ascenseur tombe de nouveau en panne ». Le chef cuisinier de 42 ans qui réside dans cet immeuble depuis quinze ans ne cache plus sa colère. « Ils ne nous respectent pas, peste Michel, retraité de 66 ans, habitant de l’immeuble depuis 1986. Il y a à peine deux semaines, une réparation avait été faite et aujourd’hui, le voilà encore en panne. Ils font du bricolage. Je vis ici depuis presque trente ans, je n’ai jamais reçu une seule indemnisation sur les pannes de l’ascenseur ni même pour les coupures d’eau chaude. Une fois, nous n’en avons pas eue pendant une semaine entière ! »

Martine, 33 ans, résidente du dernier étage, le 9ème, est contrainte comme ses voisins de monter et descendre les escaliers à pied. « C’est écœurant de voir que tous les deux jours l’ascenseur tombe en panne. Je paye de lourdes charges, près de 800 euros par trimestre, pour un ascenseur défaillant ». Pour Michel, c’est une gestion globale qui pose problème. « Nous n’avons pas de gardien. Celui qui vient nettoyer les parties communes, il fait ce qu’il peut mais on lui donne par les matériels qu’il faut ».

Le syndic Foncia pointé du doigt

Les deux immeubles du 21 et du 25 avenue de la République sont gérés par le syndic de copropriété Foncia, depuis janvier 2014. Certains habitants mettent l’agence à l’index. « Nous payons cher en charges. Ce qui nous est arrivé c’est tout simplement un manque de respect envers nous », indique l’un d’entre eux. « En 2014, Foncia nous a réclamé 128 euros à 4 reprises pour des travaux de modernisation des ascenseurs mais les travaux n’ont pas eu lieu et nous ne savons pas à quoi cet argent a été utilisé », s’interroge Amelle Cheriguene.

Les résidents se plaignent de charges particulièrement lourdes et d’un entretien courant défaillant : des portes de parking défectueuses, des vitres toujours cassées dans le hall, de la peinture aux mures qui s’écaille par plaques. « Une dame du syndic que j’ai eue au téléphone m’a dit que la pièce défectueuse coûtait 15 000 euros, qu’il fallait la commander en Italie, c’est pour cela que cela prend du temps. On est en droit d’exiger que les problèmes soient réglés correctement et que le syndic nous donne les informations concernant sa gestion de notre résidence », s’offusque Amelle Cheriguene. Tous les habitants rencontrés parlent d’une gestion très opaque de la part du syndic de copropriété.

Des frais pour modernisation des ascenseurs absorbés par la dette des copropriétaires

Contacté, Foncia reconnaît que les travaux de modernisation des ascenseurs n’ont jamais eu lieu alors même que les fonds ont été récupérés chez les habitants. « Il s’agissait d’une somme de 25 000 euros au total », nous indique Sylvain Cilpa, le gestionnaire Foncia. Mais à l’époque où nous avons récupéré la gestion syndicale de ces habitations en janvier 2014, il y avait un trou financier très important, près de 130 000 euros de dettes de la part d’une douzaine de copropriétaires qui ne payaient pas leurs charges. Les 25 000 euros ont été absorbés par cette dette. Les travaux de modernisation des ascenseurs n’ont effectivement pas été faits. Nous sommes bloqués par ces copropriétaires débiteurs ».

Foncia, qui reconnaît « la vétusté » des ascenseurs, assure que ces travaux seront réalisés une fois la dette payée. « Nous avons déjà récupéré un peu mais une grosse somme reste à être remboursée. Fin 2016, la dette s’élevait à 92 000 euros. Nous avons entamé des démarches en justice pour récupérer ces sommes. Plusieurs décisions ont été rendues en faveur du syndic de copropriétaires. Des dommages et intérêts vont d’ailleurs être versés ».

Les habitants ne cachent pas leur colère. « Nous n’étions pas informés que ces appels de fonds avaient servi à payer une partie de la dette. Pour nous, nous avions payé pour des travaux de remise aux normes des ascenseurs. C’est ce qu’indiquent les documents que Foncia nous a envoyés », réagit Amelle Cheriguene. Ils promettent de se faire entendre de Foncia dans les prochains jours.

Kab NIANG et Nassira EL MOADDEM

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