« Jésus compte beaucoup pour nous, les musulmans. Et vous allez voir qu’aux prémices de la diffusion de son message, notre Prophète trouve refuge en Abyssinie, chez un roi chrétien », annonce Khalil Merroun en guise d’introduction. Le recteur de la grande mosquée d’Évry vient de donner le ton, le film peut commencer. Les lumières s’éteignent. Des cavaliers filent sur l’écran, ils parcourent le désert en portant la parole de leur nouveau Prophète, Muhammad. « Le Message » raconte leur longue quête et les débuts de l’Islam, marqués par les persécutions, l’exil à Médine, puis le retour triomphal à La Mecque.

Le film a été choisi par Khalil Merroun, honorant ainsi l’invitation de l’association chrétienne « Mosaïque 91 ». Créée il y a trois ans, celle-ci organise une série de projections cinématographiques pour promouvoir le dialogue interreligieux au sein de l’agglomération. « Il s’agit de se rencontrer, de se regarder, de s’écouter, afin de mieux comprendre ce qui fait avancer l’autre », confie Anne-Marie Nassel, l’une des trois cofondatrices du groupe.

L’idée est née par hasard, il y a quelques mois. Les membres de l’association recherchaient un lieu pour la projection de « Jésus le Messie », et demandent alors au recteur s’il accepterait éventuellement de leur prêter la grande salle du Centre culturel islamique. « Pas de problème », répond l’intéressé. « À condition que l’événement soit aussi ouvert à la communauté musulmane », ajoute-t-il. C’est ainsi qu’un demi-millier de fidèles -catholiques, musulmans, protestants ou orthodoxes- se retrouvent le 30 novembre dernier, pour regarder tous ensemble le long-métrage sur les origines du christianisme. « Un moment paisible et des réactions très positives… malgré une panne de projecteur ! » plaisante Anne-Marie Nassel.

« On a condamné cinq millions de musulmans pour trois gugusses »

Aucun souci technique cette fois-ci, et des discussions qui se prolongent longuement autour de gâteaux secs et du traditionnel thé à la menthe. « Après les événements de la semaine dernière, qu’est-ce que ça fait du bien d’entendre de nouveau un “Allahu akbar” des plus purs ! », s’exclame une femme voilée. « J’ai déjà vu le film trois fois, mais j’ai vraiment l’impression de l’avoir redécouvert aujourd’hui », renchérit une autre -sans relever qu’il avait été raccourci de moitié, et diffusé dans sa version française pour mieux s’adapter au public du jour. « Je crois qu’un vent nouveau est en train de souffler », entend-on s’enthousiasmer un peu plus loin.

« On a condamné cinq millions de musulmans pour trois gugusses dont le cas relève davantage de la psychiatrie ! » s’emporte Mohammed, le corps drapé d’une longue gandoura bleue et le crâne coiffé d’un fez traditionnel. « Il est grand temps qu’on ouvre nos mosquées. Il faut qu’on aille vers les autres pour expliquer qui nous sommes », poursuit celui qui cherche également à améliorer le dialogue social à Étampes (91) -via son association Amitié sans frontières.
D’après Karim, il est également important pour les religions « de ne pas se cacher ». Élevé dans la tradition musulmane, le jeune homme s’est converti au catholicisme après une « révélation » qui lui a permis de sortir de l’emprise des paradis artificiels. Aujourd’hui membre actif de « Mosaïque 91 », il prône la sensibilisation à la citoyenneté, un meilleur accompagnement pour les délinquants qui quittent la prison, mais aussi le modèle laïc, « parce qu’on ne se rend pas compte la chance d’avoir un État qui protège ses citoyens des dérives religieuses [il cite l’exemple du militant saoudien Raif Badawi, condamné à 1 000 coups de fouet pour avoir “insulté l’Islam”] ».

« Le blasphème menace le vivre ensemble »

Les derniers convives partis, le recteur Merroun regagne son bureau à l’entrée de la mosquée. Entre deux prières, il se félicite du succès de ces rencontres interconfessionnelles, qu’il espèrent devenir au minimum bimensuel. « Elles mettent en évidence tout ce qui nous rassemble. On l’a bien vu dans le film, nos deux religions véhiculent un message d’une même essence. Les quelques différences qui nous séparent, c’est le trait dessiné sur le sol par l’empereur d’Abyssinie. Il faut se respecter, chacun derrière cette ligne. »

De la même façon, il condamne les caricatures du Prophète, qu’ils jugent insultantes. « J’aimerais que les députés se penchent de nouveau sur la punition du blasphème, qui menace selon moi l’équilibre du vivre ensemble. Pendant une semaine, un milliard et demi de musulmans ont soutenu “Charlie Hebdo”. Le journal a perdu toute leur sympathie avec cette nouvelle « Une » provocante. Nous sommes pour la liberté d’expression, mais il faut savoir faire la différence entre la satire et l’insulte », développe Khalil Merroun, qui réclame une même catégorisation juridique des actes islamophobes et antisémites.

Pour la prochaine projection*, le fondateur de la grande mosquée d’Évry envisage d’inviter la communauté juive de la ville, et réfléchit actuellement à un film susceptible de faire consensus -sur l’histoire commune de leurs deux populations par exemple. « Il faut reconstruire ce qui a été brisé par des politiques qui essaient sans cesse de nous diviser. Quand l’actualité devient trop conflictuelle, il m’arrive de fermer les yeux et d’imaginer mon enfance dans l’enclave espagnole de Ceuta, au Maroc. Hispaniques et musulmans vivaient alors en harmonie, dans les mêmes quartiers… »

Thibault Bluy

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