Entre 7 000 et 10 000 Réunionnais ont pris part aux manifestations contre la réforme des retraites le 31 janvier dernier. Ces chiffres peuvent sembler dérisoires pour un territoire qui compte plus de 860 000 habitants. Mais cette mobilisation reste la plus forte enregistrée depuis 2013 et la réforme Touraine, qui visait aussi le système des retraites.

« Le gouvernement veut nous faire travailler plus longtemps pour financer les retraites de nos aînés, mais les pensions sont déjà si faibles, dénonce Chrislaine, qui a participé à la grève. Ma mère a 69 ans et touche 300 euros par mois parce qu’elle était au chômage et qu’on l’a poussée à prendre sa retraite. Elle est obligée de travailler au noir pour avoir de quoi vivre », témoigne-t-elle.

Parmi les plus faibles pensions de retraite de France

La Réunion est la région française, hors Mayotte, enregistrant les plus faibles pensions de retraite en France. Ces pensions s’élèvent à 1 110 euros net en moyenne en 2016, selon un rapport de l’INSEE paru en mai 2022. En France métropolitaine, la pension moyenne est de 1 400 euros nets sur la même période.

Le poids de cet écart s’intensifie si l’on prend en compte le coût de la vie, bien plus élevé à La Réunion. Les produits alimentaires sont 28 % plus chers qu’en métropole. Les seniors Réunionnais (gramouns en créole) ont un pouvoir d’achat bien moindre qu’en métropole.

En outre, les inégalités locales sont si fortes que la moitié des retraités du département perçoit en réalité moins de 850 euros par mois. Les 10 % de gramouns aux pensions les plus faibles touchent, eux, moins de 210 euros chaque mois.

Un chômage plus long, des emplois moins bien payés…

Si les Réunionnais touchent moins pour leur retraite que les autres, est-ce parce qu’ils ont moins cotisé ? C’est en réalité un peu plus complexe.

Ces dernières décennies, l’île a connu une transition d’une société agricole vers une société de services, censée fournir plus d’emplois, plus rémunérateurs. Mais la population en âge de travailler a grandi plus vite que l’offre d’emplois. De 23 % en 1967, le chômage n’a cessé d’augmenter jusqu’à un niveau record de 42 % en 2000.

L’emploi informel, non déclaré, permet aussi d’expliquer pourquoi certains Réunionnais ont moins cotisé que les autres. Mais même lorsqu’il s’agit de travail déclaré, les emplois disponibles sont moins qualifiés et moins rémunérateurs.

Les retraités à La Réunion, moins diplômés, ont majoritairement occupé des emplois dits « non-qualifiés », comme des métiers de manutention, d’ouvriers agricoles ou du BTP. Toujours selon l’INSEE, 73 % des plus de 60 ans ne sont pas diplômés, contre à peine 30 % dans la même tranche d’âge en France métropolitaine.

Un salaire minimum longtemps plus faible qu’en métropole

Le Smic sur l’île est aligné sur le niveau national seulement depuis 1996. Avant, le salaire minimum était de près d’un quart plus élevé en France métropolitaine qu’à La Réunion (et 17 % plus fort dans les Antilles et en Guyane). À durée de travail égale, les travailleurs des DOM touchaient moins que leurs homologues métropolitains et cotisaient donc moins pour leurs retraites.

Pour s’assurer une meilleure pension, beaucoup travaillent jusqu’à 65 ans, au risque de dégrader leur santé. Près d’un retraité sur trois a dû partir à la retraite pour inaptitude, sur décision médicale. C’est trois fois plus qu’en France métropolitaine.

La dématérialisation affecte particulièrement les Réunionnais

Comme dans le reste du pays, la crise sanitaire a accéléré le passage au tout numérique des administrations. Du jour au lendemain, les demandes de prestations sociales, dont les pensions de retraite, ont été dématérialisées, laissant sur le carreau beaucoup de personnes âgées. Des difficultés d’autant plus présentes à La Réunion, où l’illettrisme touchait encore un habitant sur cinq en 2012.

Il y avait un vrai besoin d’accompagner les seniors dans leurs démarches administratives

Les gramouns ne sont pas complètement démunis, car l’île est bien dotée en structures sociales. À Saint-Pierre, troisième ville la plus peuplée, le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS), accompagne les retraités au quotidien : « Nous sommes la seule institution à être restée ouverte pendant la crise Covid, explique M. Séverin, responsable du centre. Il y avait un vrai besoin d’accompagner les seniors dans leurs démarches administratives. »

L’argent ne fait pas le bonheur, c’est le lien social

Malgré leurs faibles revenus, huit séniors réunionnais sur dix se disaient satisfaits de leur mode de vie actuel, selon une étude menée par l’Agence Régionale de Santé de La Réunion en 2018. « Nos gramouns, de conditions modestes, ont appris à vivre modestement. Ils se contentent de peu », affirme Patrice Louaisel, président de l’association SOS gramouns isolés.

Beaucoup des retraités vivant d’une faible pension ont vécu des périodes de chômage et ont connu une vie de restrictions. Mais c’est surtout le lien avec leurs proches qui permet aux retraités de garder le moral.

Les Réunionnais sont traditionnellement solidaires envers leurs aînés. Ils reçoivent fréquemment des visites et leur famille leur vient en aide pour les tâches du quotidien. Pour le reste, les structures publiques, comme les CCAS, mettent en relation les retraités avec des auxiliaires de vie, grâce à des subventions du conseil général.

Pourtant, Patrice Louaisel note une augmentation de l’isolement chez les gramouns. « La solidarité envers les personnes âgées a chuté depuis dix ans. Depuis le Covid, le nombre de bénévoles dans mon association a été divisé par 3 », déplore-t-il.

Un air de déjà-vu ?

Malgré ces chiffres alarmants, le niveau moyen des pensions de retraite augmente progressivement à La Réunion : + 4,4 % par an entre 2012 et 2016, contre + 0,8 % par an au niveau national. Le nombre de retraités vivant sous le seuil de pauvreté (1 102 € en 2019) diminue, tout en continuant de toucher près d’un tiers des 60-74 ans.

Mais sur l’île, les gramouns ne sont pas les seuls touchés par la pauvreté. En 2019, plus de la moitié des moins de 30 ans vivait sous le seuil de pauvreté.

En 2021, plus d’un quart des jeunes Réunionnais n’était ni en emploi, ni en études, ni en formation. Deux fois plus qu’en France métropolitaine. Parmi ces jeunes, 40 % n’ont aucun diplôme académique. De quoi rappeler la situation qu’ont connu leurs aînés avant eux et nourrir des craintes quant à leur futur.

Un chômage élevé, des emplois moins qualifiés et bientôt, si le projet de réforme passe, une période de cotisation plus longue. Si rien ne change, La Réunion risque de rester la région aux pensions de retraites les plus faibles de France.

Méwaine Pétard

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