La ville de Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis, a accueilli les deux matchs de préparation de l’équipe de France de Cécifoot contre l’Italie, en vue du prochain tournoi européen. L’occasion de découvrir ce sport pratiqué par des malvoyants. Reportage.

Quand la fédération de Cécifoot m’a contacté pour couvrir un match de l’équipe de France contre l’Italie, en vue de préparer la prochaine coupe d’Europe, je me suis dis : « Pourquoi moi ? » Regarder pendant une heure des malvoyants courir après un ballon, ce n’est pas le truc qui me ferait me réveiller le matin, à une heure de l’après midi, je préfère être honnête. Pour moi quand t’as pas de yeux, tu fais du piano, tu ne fais pas du foot. Ouais désolé, quand il y a un cliché dans l’air faut que je le couche sur papier, c’est plus fort que moi…

Et puis, finalement, l’attachée de presse a balancé l’argument marteau : « Samir Gassama, le sélectionneur de l’équipe, habite à Bondy ». Bondy, Bondy Blog… Vous voyez le lien ? Avec un peu chance, l’équipe australienne de Beach Volley m’invitera à couvrir leur prochain tournoi à Bondi Beach si ça se trouve. En attendant, va pour le Cécifoot.

Silence, on joue

Le match a lieu chez les voisins, Au Stade Salvador Allende de Noisy-le-Sec. Les gradins sont remplis, de jeunes enfants pour la plupart. Ils exultent de joie quand le speaker prononce le nom d’Ivan Wouandji pendant la présentation de l’équipe de France. Ce joueur de 24 ans, originaire de Rosny-sous-Bois, à une station de RER de là, fait la promotion de ce sport depuis des années, en effectuant un tour des écoles du département.

Après avoir chanté à tue-tête La Marseillaise et écouté avec plus ou moins de calme la Fratelli d’Italia, le public se tait. On entendrait une mouche péter. Dans un match de Cécifoot, l’ouïe est le principal sens utilisé par les joueurs, le silence dans les gradins est une obligation.

Le match commence. C’est comme je m’y attendais. On est loin de la Ligue des champions. Les joueurs avancent par petit pas, ils tâtonnent, c’est lent, c’est franchement pas… OH MON DIEU ! UNE MADJER !!! Un joueur français a tenté une Madjer ! Un but de la talonnade qui porte le nom de l’international algérien qui l’a effectué en 1987 avec Porto, en final de la Coupe des clubs champions contre le Bayern de Munich. 30 ans plus tard, le même geste, les yeux fermés et c’est presque rentré. Doux jésus.

Du beau jeu

Comment c’est possible un geste pareil, quand on voit rien ? « Même moi je me demande comment ils font, confie Frédéric Piquonne au bord du stade, joueur professionnel, passé entre autres par l’AS Monaco, et grand soutien du Cécifoot. La dernière fois j’ai fait un essai, poursuit-il, avec le bandeau sur les yeux, je ne suis pas arrivé à toucher le ballon. Je pense que c’est comme tout, il faut de l’entraînement. Je comprends que quand on n’a pas l’habitude, voir un match de Cécifoot, c’est impressionnant ». C’est vrai que passées les quelques minutes où les joueurs prennent leurs marques, un match de Cécifoot c’est beau à regarder. Il y a des passes, parfois millimétrées, des tirs cadrés et mêmes des buts. 1-0 pour la France à la mi-temps.

C’est du football à quelques différences notables. Le terrain est plus petit, il n’y pas de touches sur les côtés et le ballon a des grelots pour signaler son existence. Le seul joueur voyant sur le terrain c’est le gardien de but, qui guide sa défense. Les entraîneurs donnent des indications à leurs milieux de terrain et derrières les buts, un guide, oriente les attaquants. Ce dernier, par exemple, tape sur les poteaux pendant les coups francs. Un match dure deux mi-temps de 25 minutes. Les joueurs qui vont au contact du ballon ont l’obligation de se signaler en criant « Voy ! » « Sans cette prise de parole les joueurs pourrait se percuter dangereusement », affirme Yann Calvet, l’arbitre du match.

« On reste des compétiteurs »

Quand il siffle la fin du match, la France sort victorieuse du terrain sur un score de 2 à 0. Hakim Arezki, buteur sur coup franc, explique : « C’est en me rappelant les informations que le guide m’a données que j’ai pu situer le mur adverse et le contourner par une frappe. La prise d’informations est cruciale dans ce sport ». Samir Gassama, le sélectionneur, est content du résultat mais reste sur sa faim : « Je pense que mes joueurs ont été stressés parce qu’il y avait les familles dans les gradins ». Le match était peut-être beau à voir jouer, mais Samir Gassama a de l’ambition pour son équipe, qui a déjà été championne d’Europe. Il voudrait « peaufiner la technique ».

Pas de faute ou très peu dans ce match « très fair play » selon l’arbitre. Ce qui n’est pas forcement toujours le cas affirme Hakim Arezki : « On reste des compétiteurs. Tout ce qu’on peut retrouver dans le foot valide, tu le retrouves au Cécifoot ».

Un début de notoriété en France

Sur le bord du terrain, Ivan Wouandji est assailli par les fans, pas seulement parce qu’il a permis à beaucoup d’entre eux d’esquiver une heure de cours le temps d’une initiation à son sport. C’est un peu la star du Cécifoot français depuis qu’il a marqué un but de toute beauté contre l’Allemagne en traversant tout le terrain de jeu. Presque 800 000 vus sur Youtube.

Une notoriété bienvenue pour le Cécifoot : « Le public est présent lors des matchs de l’équipe de France mais on a encore du mal à remplir les stades lors du championnat », se plaint le sélectionneur. Pourtant il suffit de voir les vidéos du tournoi de Cécifoot durant les derniers jeux paralympiques, au Brésil, pour se rendre contre du potentiel de ce sport. Un joueur iranien qui slalome toute la défense marocaine avant de marquer, les deux buts magnifiques de Jefinho, la star du Cécifoot brésilien, contre la Chine… De la belle ouvrage. C’est comparable a du beau football en fait. Du coup on comprend pourquoi ils ont choisi ce nom : c’est si foot.

Idir HOCINI

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