Dès l’entrée, le ton est donné : nous sommes à peine arrivées à l’accueil qu’une douce odeur de monoï caresse nos narines. L’Espace de la Corderie dans le 3ème arrondissement de Paris, a été réservé pour le weekend, pour des ventes, rencontres et débats, par la plateforme Modest Fashion France.  Un site internet ainsi qu’un blog qui répertorie marques et créatrices qui produisent vêtements amples, voiles, et autres accessoires siglés “modest fashion”. Mais de quoi parle-t-on au juste ?

La Modest Fashion : le style au-delà du religieux

Au-delà de l’amour de la mode, ce sont des valeurs communes qui réunissent les participantes de la Summer Session de Modest Fashion France. « Dress modestly, keep your values » (« habille-toi avec pudeur, garde tes valeurs ») peut-on lire sur les flyers mis à la disposition des clientes. Si la formulation peut interroger, il ne s’agit pas de culpabiliser les femmes en sous-entendant une absence de moralité. Il s’agit plutôt d’inciter les femmes qui veulent s’habiller pudiquement à assumer leurs choix, quoi que pourraient dire leurs détracteurs. Mais de quelles valeurs parle-t-on ?

Un événement qui a permis aux créatrices et vendeuses de rencontrer leurs clientes et d’échanger autour des produits mais pas que.

Aux origines de la modest fashion, on trouve les trois religions abrahamiques, celles-ci préconisant aux femmes de se vêtir avec pudeur. Par exemple, le verset 1 Timothée 2:9-10 de la Bible : « (…) je veux aussi que les femmes, habillées d’une manière décente, se parent avec pudeur et simplicité (…) ». Ces dernières années, la modest fashion a gagné en popularité sur les réseaux avec l’explosion des créatrices et influenceuses, notamment musulmanes, qui tendent à normaliser la relation entre identité musulmane visible et amour de la mode.

On ne peut pas chercher à se préserver sans chercher aussi à préserver autrui, ce n’est pas cohérent.

Mais, pour la majorité des vendeuses et clientes présentes à l’événement, la modest fashion va au-delà d’une simple obéissance à une prescription vestimentaire d’origine divine. Et il suffit de se balader entre les stands pour le voir.


Le temps d’un weekend, une centaine de femmes ont pu acheter, échanger autour de leur réalité, qu’elles soient musulmanes, chrétiennes, juives ou non-croyantes. 

Derrière le comptoir, une jeune femme souriante nous passe un bracelet autour du poignet, la clef qui donne accès à l’événement. Mais c’est quelques pas plus loin que les choses sérieuses se passent. Dans l’élégante bâtisse faite de pierres et de voûtes, une dizaine de stands sont disposés : les différentes créatrices y vendent robes, parfums, abayas et autres maillots de bain.

Notre premier combat est politique, on veut être libres de s’exprimer.

Les potentielles clientes, habillées sur leur 31, virevoltent dans entre les différents points de vente, à la recherche de la perle rare. Celles et ceux qui associent pudeur et ennui auraient dû être là : les couleurs, motifs, coupes et matières étaient d’une diversité et d’une originalité qui n’ont rien à envier à la Fashion Week parisienne.

Un engagement éthique et écologique

Upcycling, artcycling, made in France… écoresponsabilité et éthique sont partout. Les pièces de Sara, créatrice de la marque Wirdh Paris, en témoignent. Peinant à trouver des vêtements couvrants, la jeune créatrice a fini par lancer sa propre entreprise dans le but d’aider les femmes qui, comme elle, souffriraient du même manque. En plus de penser à celles qui lui ressemblent, la jeune entrepreneuse est exigeante sur les moyens de productions : « je n’exploiterai jamais des enfants à l’autre bout du monde. » D’où le fait que les vêtements soient confectionnés de A à Z en France, cet engagement témoignant aussi de valeurs écologiques. Les tissus utilisés pour ses collections sont d’ailleurs upcyclés [l’upcycling est une technique qui consiste à transformer et réutiliser les déchets, ndlr].

La Modest Fashion veut s’adresser à toutes les femmes, qu’elles portent le voile ou non.

Du côté de PANNEAU BLANC, la marque de carrés de soie d’Amel Batita, le même rapport à l’écoresponsabilité prédomine. La jeune artiste sur soie, comme elle se décrit, mélange des matières qu’elle photographie et imprime sur le tissu pour « donner de la texture aux carrés ». Elle nomme sa technique « artcylcing ». Pour illuster son explication, elle montre un carré épinglé sur le mur derrière elle dont le motif rappelle l’emblématique motif crocodile : « pour ce carré, j’ai mélangé de la mousse avec de l’encre, et j’ai pris le mélange en photo ». Chaque pièce est ainsi pensée comme une œuvre d’art : « quand tu portes une de mes créations, l’expo, c’est toi » affirme Amel.

On dépasse le strict cadre religieux.

Et les clientes se réjouissent du caractère engagé de l’événement : Amina, 21 ans se dit « inspirée par toutes ces femmes qui créent avec une éthique », soulignant qu’ « on ne trouve pas ce type d’initiatives partout ». Médina, quant à elle, se réjouit que certaines marques ne produisent leurs pièces qu’après pré-commandes des clientes : « ça évite le gaspillage ! », s’enthousiasme-t-elle.

Mais pourquoi la modest fashion est-elle infusée de ces valeurs écoresponsables et éthiques ? Intervenante dans le cadre du talk sur la créativité, Zeïna, jeune consultante social média, confie sa vision des choses : « les valeurs de la modest fashion sont associées à la pureté, au respect de son corps. Donc, de la même manière qu’on se respecte, on veut aussi respecter la planète, les êtres humains, consommer de manière plus saine. On ne peut pas chercher à se préserver sans chercher aussi à préserver autrui, ce n’est pas cohérent. » 

Après le succès de l’événément, Fashion Modest France prévoit déjà d’autres rencontres.

Sonia Jerbi, qui participe au bon déroulement de l’événement en tant que speaker, confirme les dires de Zeïna. « La modest fashion, c’est aider ton voisin. Notre société pousse à être égoïste, à consommer énormément sans penser à celles et ceux qui confectionnent nos produits. Nous, on se préoccupe de toute la chaîne de fabrication. C’est pour ça qu’on dépasse le strict cadre religieux : la modest fashion peut plaire aux personnes végétaliennes, par exemple. »

Mais ce que Sonia souligne surtout, c’est l’aspect féministe et antiraciste de ce style. Lorsqu’on lui demande pourquoi ce type d’événement a son importance en France, l’organisatrice répond : « Les femmes adeptes de la modest fashion représentent souvent ce que notre gouvernement déteste : les femmes, le voile, la communauté, les origines modestes et populaires… La France est un pays ultra raciste, ultra islamophobe. Notre premier combat est politique, on veut être libres de s’exprimer. »


Oversize, épaulettes, color-block, la Modest Fashion se réapproprie les tendances et entend normaliser sa vision de la mode, sans baisser l’exigence du style. 

Malgré les restrictions de plus en plus larges concernant les femmes qui portent le voile, dans le secteur de l’emploi notamment, et les nombreux débats sur le port du voile lors de la dernière campagne présidentielle, on constate que nombre de jeunes femmes musulmanes ne se laissent pas faire.

Au contraire. Parmi les nombreux moyens employés pour lutter pour leurs droits, les vêtements deviennent une arme de choix. Là où certain·e·s veulent absolument donner à la modest fashion un aspect réactionnaire ou restrictif, ses adeptes témoignent du contraire : la modest fashion se préoccupe des soucis de son temps, et a pour but de les régler.

Sylsphée Bertili 

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