Deux tables sont dépliées à la hâte sous le métro aérien à quelques mètres de la station Stalingrad (Paris, 19ᵉ). En une poignée de minutes, une cinquantaine de personnes, pour la plupart des hommes jeunes, font déjà la queue pour récupérer un bol de soupe et un plat chaud. Les associations la Chorba et l’assiette Migrante ont préparé 300 repas pour l’occasion. Autour, des dizaines de personnes s’amassent, associatifs et soutiens.

Ce dimanche soir, l’inter organisation des associations qui viennent en aide aux personnes à la rue à Paris distribuait des repas à la frontière de la “zone interdite”. Craignant une répression policière, les organisateurs ont fait tourner un appel à soutien deux jours avant, dans lequel ils rappelaient que « l’aide alimentaire est un droit fondamental, une question de dignité humaine et un déterminant de la santé. »

La préfecture de Paris interdit les distributions alimentaires dans les rues

Et pour cause, cet appel à la solidarité intervient une semaine après la publication d’un arrêt de la préfecture de police de Paris, « d’interdiction des distributions alimentaires à Paris dans un secteur délimité des Xème et XIXème arrondissements du 10 octobre au 10 novembre. » La préfecture avance « la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens » et fait état de nuisances récurrentes occasionnées par les distributions aux abords de Stalingrad et du boulevard de la Villette.

« Ces distributions alimentaires engendrent, par leur caractère récurrent, une augmentation de la population bénéficiaire de ces opérations et elles contribuent, en corollaire, à stimuler la formation de campements dans le secteur du Boulevard de la Villette, où se trouvent des migrants, des personnes droguées et des sans-domicile fixe », peut-on lire sur l’arrêté préfectoral.

Les associatifs, vents debout contre un arrêté jugé indigne

Chez les associatifs, l’indignation est palpable. « C’est juste dingue la façon dont les choses sont tournées, on a l’impression que c’est notre faute, si les personnes sont à la rue dans des campements. Que c’est nous qui les faisons venir de l’autre bout de la planète », s’insurge Pauline, membre de la Chorba.

Lorsqu’elle a eu vent de la mesure prise par la préfecture, elle a d’abord cru à une blague. Dans ce quartier, les actions répressives, notamment contre la présence d’exilés en situation de sans-abrisme, se suivent et se ressemblent. Les évacuations se comptent par dizaines et ne débouchent que très rarement sur des propositions d’hébergement pérenne. Les exilés, les associations et des riverains ont dénoncé à plusieurs reprises un harcèlement de la part des forces de l’ordre.

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Parallèlement, les moyens alloués à l’hébergement d’urgence ont encore diminué au cours de l’été, malgré l’engorgement total du système. L’État tente d’orienter le plus de monde possible vers les régions. Mais faute d’accueil digne dans ces territoires, les personnes déplacées reviennent inlassablement aux abords de la capitale.

 

Une politique d’invisibilisation de la pauvreté à l’approche des JO

Les interdictions de distributions alimentaires viennent durcir encore d’avantage les conditions de vie des personnes à la rue. « Les personnes qui ne peuvent plus bénéficier de l’aide à Stalingrad se reportent sur les distributions aux alentours », constate Pauline.

La Chorba organise deux distributions par jour à l’Avenue de la Porte de la Villette, une zone dans laquelle c’est encore autorisé. Ces derniers jours, l’association à vu la demande exploser. « On est dans un contexte déjà très compliqué, constate Pauline. On est passé de 600 repas par jour en moyenne l’année dernière, à pas loin de 800 cette année. Hier, à cause de l’arrêté, on est monté à 1 000. »

Les associations comptent bien se battre, notamment sur le terrain juridique, pour que l’arrêté ne soit pas pérennisé et pour que le phénomène ne s’étende pas aux autres quartiers de Paris. « Tout ça, ça rentre dans des politiques pour vider les rues en vue des Jeux Olympique, décrit Paul. Ces politiques n’ont aucun sens, on le sait très bien. »

Si on n’est pas capable d’assurer la nourriture, l’accès au logement et à la santé, je ne sais pas à quoi on sert en tant que politique

Nour Durand-Raucher, conseiller municipal à la mairie du 11ᵉ arrondissement, est venu manifester son soutien dimanche. « On a une politique qui vise à cacher les pauvres, c’est insupportable, lance-t-il. L’origine du problème, ce n’est évidemment pas les distributions alimentaires, c’est un très mauvais accueil des populations exilées et une incapacité de loger correctement les gens », rappelle-t-il. Pour lui, la faute est belle et bien politique. « Si on n’est pas capable d’assurer la nourriture, l’accès au logement et à la santé, je ne sais pas à quoi on sert en tant que politique », assène-t-il.

Ce dimanche soir, la distribution aura durée à peine une heure. Satisfaits de l’opération, les organisateurs lancent un slogan en soutien aux exilés, repris en chœur par les soutiens. Ils invitent tout le monde à se disperser pour ne pas être accusé de participer à un rassemblement non déclaré. Par cette action symbolique, les associations espèrent bien interpeller les pouvoirs publics. « On ne peut pas souffrir l’idée d’être dans un pays où l’on interdit de donner à manger aux gens à la rue », tranche Paul.

Névil Gagnepain

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