L’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe a dix ans. Mais cet anniversaire n’efface pas le vécu de tous les minoritaires sexuels qui auraient pu avoir une vie plus facile si le mariage leur avait été ouvert avant. C’est le cas de Frédéric Minvielle.

En 2003, ce natif de Lorient vit aux Pays-Bas. Un pays parmi les premiers à avoir légalisé le mariage des couples homosexuels. Alors âgé de 32 ans, il épouse son compagnon, Carl, avec qui il tient une agence de distribution et d’importation de produits de luxe à Amsterdam.

Trois ans après, il demande à acquérir la nationalité néerlandaise. Une manière de s’épargner les démarches administratives du statut de résident, mais aussi, pour « avoir le passeport d’un pays qui [le] reconnaissait comme marié. » À l’époque, la France le considérait comme « célibataire » puisque l’union civile pour les couples de même sexe n’était pas légale. Une considération qui aura raison de la nationalité française de Frédéric.

Déchu par voie postale

Après avoir obtenu la nationalité néerlandaise, il reçoit une lettre du consulat français l’informant de la perte de sa nationalité française du fait de l’application d’une convention entre la France et les Pays-Bas. Le problème juridique est relativement simple : l’acquisition de la nationalité d’un pays étranger entraîne la perte de la nationalité antérieure.

Toutefois, si l’on acquiert la nationalité de son époux/épouse de nationalité différente, une exception est prévue permettant au marié de conserver sa nationalité d’origine. Le mariage de Frédéric n’étant pas reconnu par la France, il ne peut pas prétendre à cette exception. Il ne peut plus être Français.

Je me sens rejeté par mon propre pays

Cette nouvelle représente alors un choc. Frédéric ne comprend pas, mais se refuse à rendre ses documents d’identité français. « Quand j’ai reçu la lettre, je me rappelle avoir appelé ma mère qui m’a dit : « Laisse tomber, ce n’est pas grave, tu as un passeport néerlandais, c’est déjà ça » ». 

Hors de question pour Frédéric. L’attachement à ses racines, mais également l’intérêt qu’il porte à la politique et l’importance du vote font qu’il ne renonce pas. Rapidement, « l’affaire Minvielle » prend de l’ampleur. Têtu, Libération, Le Monde, mais aussi le Times, font état de sa situation et de ce qu’elle révèle sur l’homophobie en vigueur.  « La France ne me respecte pas dans mon choix de me marier avec un autre homme. Je me sens rejeté par mon propre pays », dénonçait-il alors.

Me battre pour m’attacher à un pays qui ne me voulait pas

Aujourd’hui, il revient sur ces événements. « Je me demandais pourquoi j’avais besoin de me battre pour m’attacher à un pays qui ne me voulait pas comme j’étais. » Aux Pays-Bas, il a trouvé un espace où sa sexualité ne posait pas de problème. Très jeune, il a été confronté à la violence de l’homophobie en France. Il a été « tabassé toute [son] enfance à l’école » parce que gay, traité de « sale pédé », « salle tapette » par les autres élèves de son école catholique.

Malgré cela, Frédéric Minvielle reste attaché à la France et ne veut pas laisser passer cette « injustice ». Une injustice qui n’était pas évidente pour ses contemporains. « Tout le monde n’arrêtait pas de me dire que ce n’était pas de l’homophobie. Ça m’énervait beaucoup parce que moi, je le ressentais comme de la pure discrimination. Je me sentais discriminé car j’étais homosexuel. »

Une humiliante réintégration

Son avocate, Caroline Mecary, connue pour son engagement pour les droits des personnes LGBT, l’a accompagné dans son combat. « La convention de Strasbourg ne définit pas ce que doit être un mariage et ne le limite donc pas à l’union entre un homme et une femme. La France disposait d’une brèche pour accorder à Frédéric la double nationalité », soulevait-elle à l’époque. Frédéric Minvielle parviendra à retrouver la nationalité française après avoir effectué une demande de réintégration. Pour cela, il a dû prouver son « attachement social et culturel à la France ».

Cette affaire montrait toute l’absurdité du refus d’ouvrir le mariage civil à tous les couples

« C’était tellement humiliant, confie-t-il. Il a fallu ressortir l’acte de naissance de mes parents, fournir un certificat prouvant que je n’ai jamais eu de problèmes avec la justice néerlandaise, montrer des billets d’avion, des photos de famille, etc. »

« Si je devais résumer, poursuit aujourd’hui Caroline Mécary, cette affaire montrait toute l’absurdité du refus d’ouvrir le mariage civil à tous les couples. Elle faisait partie de ces affaires qui permettent de soulever l’injustice d’une situation et qui oblige l’opinion publique à réfléchir, et qui oblige les hommes et les femmes politiques à prendre leur responsabilité. » 

2004 : le premier mariage homosexuel

D’autres séquences ont, elles aussi, permis de secouer l’opinion publique et les politiques. Comme la célébration du premier mariage homosexuel à Bègles (Gironde), en juin 2004, deux ans avant que le consulat français ne décide de priver Frédéric de sa nationalité. Dans un geste de désobéissance civile, qui fit suite au manifeste lancé par le philosophe et sociologue Didier Éribon, et le juriste Daniel Borillo, le député-maire écologiste Noël Mamère avait alors uni Stéphane Chapi et Bertrand Charpentier.

Malheureusement pour Stéphane et Bertrand, et pour tous les minoritaires sexuels de France, la justice française a décidé d’annuler le mariage, deux ans plus tard. L’inverse aurait été possible, et sans compter l’homophobie structurelle de la justice, Stéphane, Bertrand, Frédéric, et tous les autres auraient des vies différentes.

On nous caricaturait comme des monstres qu’il fallait éloigner des enfants

Si l’union civile entre les couples de même sexe célèbre aujourd’hui ses 10 ans, la séquence médiatique et politique du « mariage pour tous » a été traumatisante pour beaucoup. Frédéric Minvielle s’en souvient. « On nous caricaturait comme des monstres qu’il fallait éloigner des enfants. Pourquoi avaient-ils peur que les gays adoptent des enfants ? » Une victoire au goût amer. « En France, les choses ont enfin avancé, mais il vaut mieux ne pas être gay. Et on vous le fait comprendre ».

Miguel Shema

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