«Choice and prejudice : discrimination against Muslims in Europe » (Choix et préjugés – la discrimination à l’égard des musulmans en Europe) tel est le titre d’un rapport d’Amnesty International. Une étude rendue publique le 24 avril qui constate les discriminations dont sont victimes les musulmans dans cinq pays européens : les Pays-Bas, la Suisse, l’Espagne, la Belgique et la France. Le rapport tombe à pic, surtout à l’heure où la communauté musulmane de France devient le sujet favori des candidats à l’élection présidentielle.
John Dalhuisen, Ancien conseiller du Commissaire aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe et directeur du programme Europe et Asie centrale à Amnesty International a dirigé cette étude. Il a auparavant déjà mené des recherches sur différentes formes de discrimination, notamment celles liées à l’orientation sexuelle des individus. Aujourd’hui, il explique son intérêt pour les discriminations envers la communauté musulmane d’Europe par le contexte « de la peur, du mépris » et ajoute que «c’est un sujet qu’il fallait traiter». Le chercheur ayant travaillé sur cette étude, Marco Perolini « est resté plusieurs semaines dans chaque pays et a interviewé des victimes, des personnes qui ont subies des discriminations ». Il a également été en relation avec des représentants de cette communauté dans ces cinq Etats Européens (Belgique, Pays-Bas, Suisse, Espagne et France), nous explique John Dalhuisen. Cette étude n’a pas de dimension sociologique ou politique. Il s’agit plus d’une étude fondée sur les formes de discrimination et le respect des droits humains.
John Dalhuisen perçoit différents niveau de discrimination envers la communauté musulmane dans ces pays Européens « une minorité a une position défensive face à l’Islam » et qui ferait clairement preuve d’islamophobie. Une autre partie de la population serait « plus discrètes, sur les préjugés, c’est plus du mépris et de la peur que de l’islamophobie ». En d’autres termes cette peur serait liée à la crainte de côtoyer une communauté qui ne partage pas la même culture.
Cette étude démontre par ailleurs que les discriminations subies par les musulmans dans ces pays, se manifestent lorsque ces derniers expriment leur foi ou lorsqu’ils portent une tenue vestimentaire, traditionnelle, un signe religieux interprété comme une appartenance à la religion musulmane. L’objectif dans ces pays serait très explicite « réduire la présence visible des musulmans en Europe […] Ils veulent une uniformité sociale » analyse John Dalhuisen.
Plusieurs témoignages d’individus de confession musulmane vivant dans chacun de ces pays figurent dans ce rapport. Les discriminations les plus fréquentes seraient liées à l’emploi et l’éducation. Certaines tenues vestimentaires comme le « port du voile » ou encore la barbe sont perçues comme une appartenance à la religion musulmane. Cela entraine une sorte de rejet de la société, la difficulté de trouver un emploi ou d’étudier. Certaines personnes se voient alors refuser un emploi pour des raisons de neutralité, exprimées par le fait de ne pas vouloir que sa clientèle soit influencée et engendrerait une certaine nuisance à l’image de l’entreprise pour certains employeurs. Ces problématiques apparaissent également dans l’éducation. Certaines élèves se voient refuser l’accès au cours pour être vêtue d’un vêtement traditionnel ou plus clairement pour le port d’un bout de tissu sur leurs cheveux. Amnesty International ne considère pas ce rejet comme une solution, étant donné que ces jeunes filles ont soit arrêté l’école ou se sont orientées vers des établissements qui autorisent ces tenues vestimentaires. L’organisation de défense des droits de l’Homme explique, par ailleurs, que le port de ces tenues ne doit pas non plus faire l’objet de pression.
La construction de lieux de culte demeure largement problématique et pas qu’en France d’ailleurs, en Espagne par exemple. Selon Amnesty International, ce pays comporte très peu de lieux de culte officiels pour les musulmans. Il y a deux ans, ont été recensés 195 lieux de culte en Catalogne (Espagne) « la plupart étaient de petites salles de prière modestes, souvent situées au rez-de-chaussée d’anciens locaux commerciaux loués à des associations musulmanes » explique ledit rapport. Il est aussi fait mention des fameuses « prières de rues » qui continuent de faire polémique en France mais aussi en Espagne où dans des « villes catalanes comme Barcelone, Badalona et Lleida, entre autres, les musulmans doivent prier dehors car les salles de prière existantes sont trop petites pour accueillir tous les fidèles. »
Laïcité, liberté d’expression et de conviction
Le principe de laïcité demeure un élément fondamental de nos sociétés, encore faut-il savoir de quoi il s’agit concrètement. C’est aussi une valeur républicaine qu’il convient de respecter comme le rappel John Dalhuisen même s’il avoue qu’il « est compris de façon différente d’un pays à l’autre ». Il la définit comme « la séparation de l’Etat et de la religion, afin d’assurer un principe de neutralité, d’égalité des religions et d’exprimer sa foi ou son absence de foi. C’est un mécanisme de protection des religions ». Cette liberté d’expression confirme que les individus ont aussi « le droit de critiquer les religions » comme l’exprime John Dalhuisen.
En France, les gouvernements successifs ont plusieurs fois eu recours à la législation pour interdire le port de tenues vestimentaires au nom du principe de laïcité. « Il y a des pratiques en France qui génèrent des problèmes avec le droit international […] des arguments sont fondés sur la laïcité et ne sont pas conforment avec les droits de l’homme » analyse John Dalhuisen. Dans quelles mesures alors est-ce problématique ? « L’interdiction généralisée comme en France est une législation problématique au niveau des droits de l’homme », John Dalhuisen ne s’oppose pas aux restrictions « s’il y’a des problèmes de pression » mais pas lorsque ces dernières sont « généralisées dans l’espace public ».
En effet, le rapport d’Amnesty International se montre plutôt favorable pour des restrictions au cas par cas. Le rapport indique entre autre que « le droit de porter, ou non, des signes et des vêtements religieux et culturels fait partie de la liberté d’expression et de la liberté de religion ou de conviction. Le droit à la liberté de religion comporte deux dimensions : l’une est positive – une personne a par exemple le droit d’afficher sa religion ou ses convictions en portant des signes ou tenues spécifiques – et l’autre est négative – toute personne a le droit de ne pas être soumise à des pressions visant à lui faire porter lesdits signes ou tenues. Chaque individu doit être libre de décider s’il souhaite ou non porter des signes ou des vêtements particuliers du fait de ses convictions religieuses, de ses coutumes culturelles ou pour tout autre motif. »
En d’autres termes « il faut s’assurer que la laïcité ne viole pas le droit individuel » affirme John dalhuisen, tout comme cette affirmation de sa foi doit être un choix voulu et assumé « il faut protéger les gens des pressions » affirme le chercheur. Le rapport mentionne aussi très clairement que « les interdictions de porter certaines tenues ou certains signes religieux ou culturels en public comportent le risque de violer le droit à la liberté d’expression et le droit de manifester sa religion ou ses convictions ».
John Dalhuisen s’explique sur le cas Francophone, « il peut y avoir des professions, dans le secteur public par exemple, où l’intérêt de respecter la neutralité est très importante, pour les juges et les policiers par exemples mais d’autres professions sont complètement compatibles».
Malheureusement, en France, nombre de politiques n’ont plus peur d’exprimer publiquement leur islamophobie. John Dalhuisen reste très distant par rapport à cela et se limite à des explications strictement juridiques « les personnes qui exercent des fonctions publiques doivent combattre les discriminations ». Il insiste sur le point de vue critique que ces personnalités doivent avoir tout en garantissant le respect des individus et leur liberté d’expression et de conviction et ajoute qu’ en France il s’agit plutôt d’« une question sociétale. Les hommes politiques doivent donner l’exemple ».
Dans la conclusion de son rapport, Amnesty International « appelle les institutions et les gouvernements européens à prendre, dans les plus brefs délais, des mesures afin de lutter contre la discrimination dont sont victimes les musulmans. »
Imane Youssfi