Enfant de la Moselle, ayant fait des « copeaux d’acier » comme son père, André Faber s’est tourné vers le journalisme, l’écriture et le dessin de presse. Il collabore avec différents quotidiens, revues et tient un blog sur Le Monde : Trait drôle.

Comment définissez-vous votre activité ?  Êtes-vous dessinateur, caricaturiste, qui êtes-vous ?

André Faber : J’aime bien le terme dessinateur qui reste vaste, compréhensible par tout le monde. On a tendance à poser des mots compliqués sur des choses simples. Dessinateur c’est sympa. Enfin voilà c’est un terme facile. Mes gosses me demandaient toujours quand les profs demandaient la profession du père… Ouais, aujourd’hui c’est dessinateur.

Comment avez-vous réagi le 7 Janvier 2015 ?

Première réaction, la sidération. Franchement, c’est la paralysie dans un premier temps. Je ne trouve plus les mots, je ne trouve même plus les dessins. Je suis congelé. Puis après, internet, coups de fils, copains qui appellent, comme si j’avais été avec eux quoi. Ca y est je suis devenu, avec beaucoup de guillemets, un des combattants du crayon. Des messages de gens dont je n’avais pas eu de nouvelles depuis 10 ans… Tu vois ?

C’est un coup de projecteur pour vous, les dessinateurs ?Croatie élection OK

Moi je suis un obscur, je ne suis pas une vedette, je n’ai jamais cherché ça. Je suis un anonyme. Mon boulot est surtout vu à droite, à gauche, enfin surtout à gauche j’espère ! C’est un boulot qui se fait seul dans sa piaule, je suis de nature solitaire. Tout seul, mais avec les autres, distant. Je bosse de la même manière depuis 20 ans, chez moi.

Et après la sidération alors ?

Et donc après la sidération, la paralysie, il faut pas se laisser aller. J’ai d’abord fait des premiers dessins d’émotions, des dessins plutôt soft, emblématiques, des sortes de logo, puis à partir du lendemain je me dis « Merde Charlie c’est pas ça ! » alors j’ai commencé à faire des trucs plus mordants. D’habitude, je dessine qu’à l’ordi mais là j’ai ressorti mon crayon, mon papier. Pour retrouver quelque chose, je ne sais pas… Même quelque chose de maladroit. Mais je ne voulais pas être trop technique. C’est étrange.
 Je rejoins les survivants de Charlie je pense, il faut poursuivre une expression. Je ne veux pas dire « combat », c’est pas mon mot. Mais, vraiment, ca serait nul à chier de dire que je jette mon crayon, ça ne sert à rien. Il faut y aller. En mesurant ce qu’on fait, mais il faut y aller.

Est-ce que la profession de caricaturiste est aujourd’hui plus menacée qu’avant ? Ou bien l’est-elle par essence ?

On vient d’avoir un exemple tragique. Mais je pense que les dessinateurs ne sont pas plus menacés qu’un écrivain, qu’un peintre. Je n’ai pas de vérité là dessus. La profession n’est pas pour moi plus visée qu’une autre.
 Je vais poursuivre la même manière d’être un artisan. Mon but n’est pas de foutre le feu à la baraque mais c’est pas non plus de l’éteindre. Je ne me sens pas menacé, mais mon dessin ne va pas changer pour autant. Si je suis timide dans la vraie vie, je ne suis pas timide dans mon travail.
 Par contre il faut bien mesurer pourquoi on ramène sa fraise, qu’est ce qu’on dit, comment.
 Sans que ce soit une page qui tourne, j’aimerai que ce soit des portes qui s’ouvrent. Pas forcément pour moi, j’ai plus 20 balais, je suis en fin de carrière et je me tourne vers l’écriture, mais j’aimerai que la presse ouvre ses portes au dessin.Ils se parlent OK

Quelle place tient le dessin d’humeur, la caricature dans les rédactions aujourd’hui ?  Qu’attendez-vous de la part des rédacteurs ?

J’aimerai bien que le dessin prenne plus d’ampleur. Il a disparu au fil du temps. Avec bulle, sans bulle, tache, couleur, noir et blanc, peu importe. Mais qu’il revienne en force. Même dans la presse électronique bien évidemment. Il faut leur laisser une chance aussi. Il faudrait que les rédacteurs en chefs soient moins frileux d’un medium qu’ils ne maitrisent pas. On doit avoir notre juste place.
 Beaucoup de dessinateurs ont un tel égo qu’ils n’acceptent pas qu’on discute de leur dessin. Mais un dessin, ça se discute, comme un papier. Il y a un mot que j’aime bien, c’est le mot « responsable ». Je me dis qu’il y a des lecteurs ; et donc je ne veux pas asséner. Je ne veux pas non plus faire rire, faire chialer, je veux proposer du lien, de la réflexion avec le lecteur. Je préfère l’ambiguïté qui soulève un dialogue, créer un débat plutôt qu’asséner une vérité.
 Parce qu’il faut garder une certaine humilité, on est des citoyens, on participe au débat, comme les autres.
 J’en sais pas plus que les autres. L’humilité ouais, c’est important. Moi j’ai fait ce métier pour faire des images, pas pour faire mon image.

Pensez-vous qu’il y ait une langue « dessin » ? Que la caricature pourrait être considérée comme une langue universelle, comprise par tous ?

La langue dessin, ouais, ça me plait bien ça. Si c’est une langue universelle, elle doit se passer d’une bulle. Juste le dessin. Et ça c’est de plus en plus rare. « Tu veux m’expliquer un truc ? Fais-moi un dessin.  » En France, on regarde d’abord la bulle, le dessin c’est après. On a une tradition du dessin avec beaucoup de commentaires. Mais moins de mots, ça rendrait le dessin plus universel. Je défends une manière de faire assez à l’ancienne.
 Un dessin ca veut dire beaucoup, ça suffit. Ce qui est dommage, c’est que si tu prends des dessins de Charlie, tu masques la bulle, le dessin veut plus rien dire. Moi j’ai fait le choix, en majorité, d’avoir un dessin muet. Qui prête à l’interprétation, à la discussion. Je ne détiens pas plus la parole que d’autres. Personne ne sait.
 Je pense d’ailleurs que c’est un contrepied de Plantu, qui lui est très bavard dans ses dessins par exemple. Il y aurait l’école Plantu, une école bavarde où on explique beaucoup et puis y aurait une autre école, dont je fais partie, qui aurait tendance à avoir un dessin assez dépouillé qui laisse de la liberté au lecteur.
Le dessin universel c’est un but. C’est un vrai but.

Autre chose ?

Tu placeras un dessin, avec l’article ? Ah si, et je peux te dire que je viens de faire une expo au Luxembourg. Visible jusqu’au 15 février. Il y a 1 an, le titre était déjà décidé : Dessin et bd, c’est résister. C’est les propos de Stéphane Hessel quoi. Et après cette fusillade… C’est pas vrai putain… Sur la carte d’invitation, on avait écrit : Le dessin est-il une arme ? S’il est une arme, il n’a jamais tué personne.
Et si. Là, le dessin a été tué.
Et encore un truc, si tu veux bien : Je suis Charlie, oui, mais c’est pas assez. Je suis Mustapha, Manoukian, Shlomo, Jonh Lennon, Anne Frank et beaucoup d’autres.

Propos recueillis par Alice Babin

Articles liés