Djamel Lifa, voilà comment se nomme l’oiseau rare que j’ai pu attraper le temps d’une interview. Premier regard : va-t-il m’aider à élucider ou non le mystère qui plane sur la franc-maçonnerie ? Quelquefois comparée à une secte détentrice d’un réseau occulte, la franc-maçonnerie  inspire de la curiosité et parfois même de la méfiance. Dans le monde, on estime, de manière imprécise, trois millions de franc-maçons, dont  à peu près 165 000 en France. Une dizaine d’obédiences maçonniques sont présentes sur le sol français. Djamel fait partie de la Grande Loge De France (GLDF). Cela dit, il est libre d’aller dans toutes les autres loges de France, exceptée la Grande Loge Nationale Française qui n’autorise l’accès qu’à ses membres. Il peut aussi visiter les loges du monde entier  puisqu’un même mot de passe lui ouvre toutes les portes des loges ! Sésame, ouvre-toi…

Tant de représentations sont véhiculées autour de la franc- maçonnerie. On peut notamment  croire qu’elle est réservée aux hautes sphères sociales de la société et même aux « blancs pur souche ». Mais non. Djamel en est l’exemple vivant. D’origine algérienne, il a intégré la GLDF il y a une dizaine d’années, suite à la fin de sa brillante carrière de boxeur. Auteur du livre Le jour où j’ai raccroché mes gants… Itinéraire d’un franc-maçon, il affiche ouvertement son appartenance à la franc-maçonnerie. Il me précise d’ailleurs que chaque franc-maçon est libre de déclarer son appartenance mais ne doit aucunement révéler l’appartenance d’un autre franc-maçon.

Djamel souligne que la chance de la maçonnerie est de pouvoir côtoyer des gens de toute diversité : avocats, médecins, ouvriers, carrossiers, musulmans, juifs, catholiques, athées, partisans de droite et de gauche… Il n’y a pas de dogmes. Le but de la franc-maçonnerie est de recevoir des personnes différentes par leurs origines et leurs opinions, et leur permettre de travailler ensemble dans la perspective d’un projet de construction. La diversité offre un réel enrichissement, les parcours et expériences des uns et des autres se complètent. Anderson, l’un des pères de la franc-maçonnerie disait que « la franc-maçonnerie réunit des personnes qui, sans elle, auraient continué de s’ignorer ».

Qu’en est-il des origines au sein de la GLDF ? La maison mère de la GLDF, se trouvant 8 rue Puteaux, à Paris, réunit une vingtaine d’ateliers comportant à peu près une cinquantaine de franc-maçons chacun. Djamel nous révèle que dans son atelier nommé « le palimpseste », trois autres personnes issues de l’immigration sont présentes. Ces trois franc-maçons, originaires du Maghreb, sont sociologue, homme d’affaire et un autre travaille dans le cinéma. Djamel fait aussi référence à l’Emir Abd el Kader, franc-maçon de la fin du 19e siècle. Personnage sur lequel Djamel a « planché ». En fait, tous les quinze jours, les franc-maçons se réunissent au temple  et débattent sur des planches (sujets) variées : spiritualité, économie, société, mais pas de politique à la GLDF. Par contre, l’autre obédience qu’est le Grand Orient par exemple, planche, entre autres, sur des sujets politiques.

D’autre part, contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne faut pas être riche pour être franc-maçon. Une modique somme (que Djamel ne tient pas à préciser) est demandée chaque année pour les agapes, le matériel, et la location de la salle. De plus, il n’y a pas d’âge minimum pour intégrer la franc-maçonnerie, quelques jeunes figurent à la GLDF mais les « anciens » y sont plus nombreux.

Mais comment fait-on pour rentrer dans la Franc-maçonnerie ? Le postulant envoie simplement une lettre à l’obédience à laquelle il souhaiterait appartenir en exposant ses désirs et les attentes qui sont les siennes. L’entrée en franc-maçonnerie peut aussi se faire par l’intermédiaire d’un « parrain ». Une série d’entretiens permettra de juger si le candidat est prêt à entrer dans la grande famille de la maçonnerie.

Djamel, faisant partie de cette famille, je l’interroge quant aux motivations de son entrée en franc-maçonnerie et les bienfaits qui en ont découlé. Il me répond qu’elle l’a aidé à éviter les déboires, l’alcool, les sorties après l’arrêt de sa carrière de sportif de haut niveau. On peut tout de même constater un certain décalage entre la gloire d’un boxeur et la discrétion d’un franc-maçon : « à l’arrêt de ma carrière, tout s’est éteint petit à petit et là, je vais être dans le noir et pour retrouver la lumière, où vais-je aller ? C’est la franc-maçonnerie qui m’a donné l’espoir de retrouver la lumière. D’ailleurs, dans le rituel, en chaque début de réunion, on fait référence à la recherche de notre lumière. Quand t’es champion, t’es le plus beau, le plus fort, tout le monde t’aime mais c’est une fausse lumière car quand ça s’éteint, ça s’éteint alors que la franc-maçonnerie, c’est la vraie lumière ! On a l’impression qu’on est dans l’ombre mais, en fait, on est à la recherche de la lumière, le chemin est long pour atteindre cette lumière mais la quête de cette lumière est continuelle ».

Même la définition de la réussite change pour Djamel, la réussite est avant tout spirituelle et non matérielle. De plus, le soutien de ses pairs est important psychologiquement, ils s’entraident spirituellement. Les franc-maçons se jurent, symboliquement, fraternité. Une réelle solidarité ancre les liens entre les « frères » qui sont tous égaux et sont présents les uns pour les autres. Par exemple, lorsque Djamel fut promu Chevalier de l’Ordre National du Mérite, nombreux de ses frères de loge (aux postes professionnels pourtant très prenants) se sont libérés pour pouvoir assister à cet évènement important. Catégories sociales, opinions religieuses, origines, tout cela disparaît au profit de valeurs universelles qui prônent au sein de la franc-maçonnerie. Cela dit, certains rentrent dans ce cercle secret pour affairisme, ils espèrent se créer un carnet d’adresse afin d’évoluer rapidement professionnellement parlant. Djamel insiste pour préciser qu’il s’agit là seulement d’une minorité.

La franc-maçonnerie n’est pas une secte, en effet, comme le souligne André Benzimra avec qui s’entretient Djamel  dans son livre, « ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle n’est pas une secte puisque tu peux la quitter quand tu veux et qu’elle n’exige pas de toi que tu crois en quelque doctrine philosophique, politique ou religieuse que ce soit ».

Pour finir, j’essaie de tirer les vers du nez de Djamel pour qu’il me livre des secrets, petits soient-ils, mais rien à faire : « ce qui se dit et se fait dans les loges restent dans les loges, faut être dedans pour comprendre, je ne peux pas t’expliquer, il faut que tu le vives, tant qu’on n’y a pas mis les pieds dedans, on ne peut pas définir la franc-maçonnerie », vous savez ce qu’il vous reste à faire si la curiosité vous dévaste… peut-être alors que la caverne d’Ali Baba n’aura plus de secrets pour vous…

Rajae Belamhawal

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