Que s’est-il passé au lycée Maurice Ravel pour que la ministre de l’Éducation nationale monte au créneau ? Vendredi 1ᵉʳ mars, sur son compte X (ex-Twitter), Nicole Belloubet réagit à un article d’Europe 1 et témoigne son soutien « au proviseur et à l’ensemble des équipes du lycée Maurice Ravel  » tout en dénonçant « une situation inacceptable ».

Le média, racheté par Vincent Bolloré en 2020, rapporte que le proviseur de ce lycée du 20ᵉ arrondissement de Paris est menacé de mort après avoir demandé à une élève d’enlever son voile. Des menaces qui auraient été formulées sur les réseaux sociaux après que quelques comptes ont évoqué l’incident. Le tweet qui a eu le plus de visibilité est celui-ci. Il a été publié mercredi et supprimé dans la journée de jeudi.

En soutien à la lycéenne, un blocus s’est tenu devant le lycée Maurice Ravel, vendredi 1ᵉʳ mars. Sur les grilles de l’établissement, une banderole annonce : « Élève frappée, lycée bloqué ! » Les cours ont tous été annulés pour la journée.

L’incident dont il est question a eu lieu deux jours plus tôt, le mercredi 28 février. Il est environ 15 heures lorsque survient une altercation entre une étudiante en première année de BTS et le proviseur du lycée. Des élèves présents lors du blocus affirment que le proviseur l’a agressée verbalement et physiquement dans la cour de l’établissement alors qu’elle s’apprêtait à sortir du lycée.

L’étudiante conteste la version médiatique qui en ressort

Contactée par le Bondy blog, l’étudiante qui préfère rester anonyme est très perturbée par la couverture médiatique et l’ampleur de cet événement.  « Dans les médias, ils disent que je rentrais dans le lycée alors que pas du tout ! J’avais juste fini ma journée », tient-elle à corriger, en précisant qu’elle s’apprêtait à sortir de l’établissement. En effet, le premier article publié sur cette affaire explique qu’elle « a mis son voile dans la cour du bâtiment, et a refusé de le retirer malgré les injonctions du personnel. »

Il est arrivé tellement vite, de manière agressive, que je n’ai même pas eu le temps d’en placer une

« Mon voile n’était même pas mis complètement, on voyait mon cou », détaille la jeune femme de 19 ans qui assure qu’elle n’a à aucun moment refuser de découvrir sa tête. « Il n’y avait aucun problème pour que je l’enlève. Quand je l’ai vu, j’avais les mains derrière ma nuque pour enlever mon bonnet, mais il est arrivé tellement vite, de manière agressive, que je n’ai même pas eu le temps d’en placer une. Il m’a frappée tout de suite. Je trouve ça très grave, je ne comprends pas comment un proviseur aussi violent peut encore exercer. Il n’avait pas à faire ça. »

Concernant les menaces de mort dont auraient été victime le proviseur, l’étudiante n’en a pas entendu parler jusqu’à l’article d’Europe 1. « Je ne suis pas sur Twitter. Je n’étais pas du tout au courant, mais dans tous les cas, les menaces de mort, je ne suis pas d’accord avec ça, quand il y a des choses comme ça, on doit les régler autrement », réagit-elle.

Reste que la couverture de l’affaire et l’image qui en ressort ne passe pas. « Quand j’essaie de m’exprimer, on déforme ma version. Lui [le proviseur], c’est la victime et moi la méchante fille qui a refusé d’enlever son voile alors que ça ne s’est pas du tout passé comme ça. »

« Il l’a littéralement tapée »

Plusieurs élèves assurent avoir été témoins de la scène et nous confirment cette version. Son voile était prêt à être mis, mais elle ne le portait pas sur la tête.

Un de ses camarades de BTS dit s’être interposé. Il affirme avoir vu le proviseur porter « un violent coup » au niveau des épaules de la jeune fille, qu’il l’aurait ensuite secouée en lui criant dessus. « Le coup, il était parti, tout le monde l’a vu et on était tous choqués. Il était 15 heures, il y avait du monde à l’heure de la récréation. » Le jeune homme martèle : « Il l’a littéralement tapée ».

L’étudiante a déposé plainte pour violences auprès du commissariat du 20ᵉ arrondissement. Plusieurs de ses camarades assurent avoir témoigné auprès de la police.

Le proviseur a quant à lui déposé une plainte pour « acte d’intimidation envers une personne participant à l’exécution d’une mission de service public pour obtenir une dérogation aux règles régissant ce service. » La ministre de l’Éducation déclare avoir mobilisé les services pour garantir la sécurité du proviseur et saisi le procureur. Le pôle national de lutte contre la haine en ligne est saisi du dossier après des « menaces de mort à l’encontre du proviseur constatées en ligne ».

Le rectorat indique par ailleurs avoir mobilisé une cellule « valeurs de la République » pour accompagner les équipes pédagogiques, « afin de réaffirmer le principe de laïcité et rétablir la réalité des faits ».

Plusieurs versions et des menaces sur les réseaux sociaux

Dès mercredi, sur les réseaux, il est question d’une « gifle » portée par le proviseur sur la jeune fille. Une version démentie depuis. Les élèves présents au blocus s’accordent en revanche sur un comportement violent et déplacé de la part du proviseur, le qualifiant de « raciste » et d’ « islamophobe ».

Aucun personnel d’éducation présent sur place n’a souhaité répondre au Bondy Blog et la direction ne s’est pas exprimée dans les médias. Une élève de terminale explique qu’une réunion s’est tenue jeudi avec l’ensemble des professeurs, « pour savoir comment en parler ». Suite à cela, certains d’entre eux auraient décidé d’aborder le sujet en cours pour soutenir le proviseur.

Devant le lycée, une étudiante qui ne participe pas au blocus réagit à cette affaire. « Il a l’air d’être un bon proviseur, mais s’il l’a vraiment frappée, c’est choquant. Ce n’est pas la première fois qu’il pète un cable comme ça. » À ses côtés, sa camarade salue la mobilisation de lycéens en faveur de l’étudiante : « du moment qu’il n’y a rien de violent, ça fait pas de mal de s’affirmer contre l’islamophobie et le RN. »

Une professeure déplorait vendredi matin le blocage du lycée qui a entraîné l’annulation des cours pour la journée, reprochant à ses élèves « de ne pas savoir s’informer » et de « croire aux rumeurs ».

Cette histoire dépasse les étudiants qui font bloc autour de leur camarade. L’écho médiatique renvoie à l’assassinat de Samuel Paty, mais aussi à celui de Dominique Bernard, professeur de français, assassiné, vendredi 13 octobre dernier, à Arras, par un ancien élève radicalisé.

« C’est quelque chose de grave qui reflète la France aujourd’hui »

Les étudiants qui protestaient vendredi matin devant leur établissement en ont conscience. Sur leur compte Instagram, ils insistent : « Nous n’appelons à aucune haine et au contraire condamnons les excès de Twitter. » Pour autant, ils ne veulent pas laisser passer l’agression présumée dont certains ont été témoins. « Ces actes sont inadmissibles et nous continuerons de lutter ». 

Pour le camarade de classe de l’étudiante, celui qui s’est interposé mercredi dernier, « c’est quelque chose de grave qui reflète la France d’aujourd’hui. On est dans un système raciste. C’est bon, c’est un voile, on ne va pas mourir, elle ne va pas tuer quelqu’un. Il faut arrêter d’avoir peur en France en 2024. » Ses amis, en cercle autour de lui, l’applaudissent.

Dario Nadal

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