« À force de voir ce climat, ce rejet, je me suis détachée, désintéressée de la politique française et de tout ce qui la concerne. C’est un système auquel je ne veux plus participer », témoigne Inès, française et musulmane de 24 ans. Les résultats du premier tour des élections législatives ne l’ont pas étonnée. « Ça reflète toute l’islamophobie, le racisme qu’on voit partout », commente-t-elle.

Les victoires électorales de l’extrême droite l’ont confortée dans son choix de s’expatrier l’année prochaine. « Je ne le vois pas vraiment comme le tournant qui m’a décidée à partir, mais comme une confirmation supplémentaire que ma décision est la bonne », explique Inès.

Le 9 juin dernier, Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée nationale au soir des élections européennes. Les scores historiquement hauts du Rassemblement national laissent craindre le pire pour les législatives anticipées convoquées le 30 juin et le 7 juillet. Courte et inattendue, la campagne électorale voit une libération de la parole et des actes racistes. Selon un recensement de Mediapart, il y a plus d’une agression raciste par jour depuis l’annonce de la dissolution.

Des agressions à l’encontre des personnes de confession musulmane se sont également multipliées. Le Conseil de l’Europe avait déjà confirmé dans son rapport publié le 20 juin 2024, une « sensible augmentation » des incidents « motivés par la haine à l’encontre des musulmans » mesuré sur l’année 2023.

Les binationaux ciblés par l’extrême droite

Redwane, lui, s’est dit « choqué » par l’annonce des résultats des Européennes. Il l’a été encore plus quand il a appris le score du RN de 29,25 % au premier tour des élections législatives, ce dimanche. « On a passé un tournant. S’il y a quelques semaines, j’hésitais encore, aujourd’hui, j’en suis sûr, je pars », affirme le trentenaire.

Ce fonctionnaire à la double nationalité franco-algérienne. Il est né dans les Bouches-du-Rhône, a passé toute sa vie en France, mais aujourd’hui, il s’est senti coupé les ailes. « Je suis binational, je ne pourrais jamais évoluer ici », craint-il.

Le programme du parti d’extrême droite prévoit d’interdire l’accès de postes dits « stratégiques » aux personnes ayant une double nationalité. Le Rassemblement national se montre évasif quant à cette mesure. Mais en janvier dernier, les députés RN avaient déjà déposé une proposition de loi en ce sens. Ils proposaient d’interdire l’accès aux Français possédant une autre nationalité à des emplois dans les administrations et entreprises publiques.

Si ce projet a de fortes chances de s’arrêter net aux portes du Conseil constitutionnel, symboliquement, le mal est fait.

« Peu importe où tu vas, on a de cesse de te rappeler ton identité »

Reste que cette attaque n’est qu’une goutte d’eau dans l’étendue de raisons qui pousse Redwane à vouloir quitter la France. Les contrôles au faciès fréquents, les discriminations, la difficulté d’accès au logement s’ajoutent à l’impossibilité de perspective de carrière dans son corps de métier. « Peu importe où tu vas, on a de cesse de te rappeler ton identité. C’est là que tu comprends que tu es considéré comme un citoyen de seconde zone », regrette le futur expatrié.

Nesrine, professeure des écoles, est quant à elle « en colère » au lendemain du premier tour des élections législatives. « En colère » contre « les médias et contre la majorité présidentielle » qui ont mis le RN sur le devant de la scène. Mais elle est surtout « inquiète et déçue par l’hypocrisie de certaines personnes » autour d’elle. La première place du parti d’extrême droite a rendu le projet de départ de la quadragénaire « beaucoup plus concret ».

On est dans une époque où la violence se déchaîne. En restant ici, je prends un risque pour les miens

« Je pense qu’on n’a plus vraiment le choix », déplore Nesrine. Institutrice et mère de famille, elle assure ne pas vouloir continuer de vivre dans un pays qui « n’aime pas » ses enfants. « On est dans une époque où la violence se déchaîne. En restant ici, c’est un risque que je prends pour les miens. » 

Une islamophobie et un exil documentés

L’enquête sociologue, “La France, tu l’aimes, mais tu la quittes” (Seuil, 2024) parue en avril dernier, a connu un important écho médiatique. Fruits d’entretiens approfondis avec des Français de confession musulmane qui décident de quitter leur pays, ce livre illustre le malaise de ces citoyens confrontés au racisme et à l’islamophobie. Parmi les motivations de cet exil figure la volonté de « moins subir le racisme et les discriminations », celle de « vivre [s]a religion sereinement » et celle de « progresser professionnellement ». 

89 % personnes interrogées par ces chercheurs disent avoir déjà vécu des discriminations avant leur départ. Une expérience partagée par Aïssatou, étudiante en deuxième année de droit. À 20 ans, cette jeune femme noire qui porte le voile rencontre déjà des difficultés sur le marché du travail.

J’ai l’impression que même avec des compétences, je n’ai pas ma place ici

« Quand je parle de ma recherche de stage, on me dit que ce n’est pas possible à cause de mon voile », déplore celle à qui on conseille d’aller « travailler à Action ou H&M » pour acquérir de l’expérience. « J’ai l’impression que même avec des compétences, je n’ai pas ma place ici. Pourtant, je suis Française, je parle français, j’ai vécu toute ma vie en France », regrette Aïssatou. Vivre en France lui paraît de moins en moins être une solution envisageable pour l’avenir.

Retour compromis

De Savoie, de Côte d’Azur, d’Île-de-France, ils travaillent et vivent sur le territoire français qui les a vu naître et grandir. Ils s’y sentent pourtant « de moins en moins chez eux ». Sarah, elle, a déjà sauté le pas, et vit en Belgique depuis deux ans. La consultante en affaire publique observe la situation politique française à distance. « Le climat raciste et islamophobe en France est de plus en plus libéré », déplore-t-elle.

Sarah a vécu des deux côtés de la frontière franco-belge. Désormais Bruxelloise, elle explique ressentir « une nette différence » dans ses interactions quotidiennes depuis son départ : « En France, on te ramène toujours à tes origines ». Elle qui prévoyait revenir en France après quelques années d’expérience à l’étranger n’en est plus si sûre. « La politique impacte mon choix et la montée du RN me fait questionner mon retour. »

Bouchra Berkane

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