#LESBÂTISSEURS « Ambition Campus » aide les jeunes lycéens de zones d’éducation prioritaire à intégrer Sciences Po. Cette année, 74 candidats sur 110 suivis par l’association sont admissibles et se préparent pour l’épreuve orale, dernière étape avant la consécration. Rencontre.

Elle dit que non, ça ne l’impressionne pas. Non, elle ne s’est pas mise sur son 31. Pourtant, une fois passés les portiques de sécurité, ses yeux de lycéenne disent le contraire. Élie a 18 ans et pour la première fois, la voilà qui franchit les portes du ministère des Affaires étrangères. Peut-être pas pour la dernière cependant. Son dossier a été accepté pour passer l’épreuve orale de Sciences Po Paris. Elle, la jeune habitante d’un quartier chaud de Sarcelles est sur le point d’entrer dans l’une des écoles les plus prestigieuses du pays, où sont formées les élites de la République. Pour l’aider dans cette dernière ligne droite, Nassim Larfa veille au grain. Son association, Ambition Campus, aide les jeunes de lycées de ZEP d’Île-de-France, à se préparer pour les concours d’entrée de l’Institut d’étude politique (IEP). Aujourd’hui, il emmène un groupe au quai d’Orsay.

Dans le hall d’entrée, quelques gloussements nerveux raisonnent sous les haut plafonds, un bon mot chuchoté furtivement à l’oreille d’un camarade, un calme inhabituel pour des adolescents s’est emparé des 13 lycéens. Un homme apparaît dans l’encadrure de la porte, costume noir un peu trop large, noeud papillon blanc au col. Une longue queue pie traîne derrière lui. Un médaillon d’argent frappé des armoiries du ministère pend lourdement à son cou. C’est l’un des trois huissiers du ministre. Fin connaisseur des lieux et de leur histoire, il entraîne sous les ors de la République cette bande de gamins qui ne se sentent pas vraiment à leur place. Sous les lustres en cristal et les moulures dorées, Elie écarquille les yeux devant les peintures et les statues de marbre blanc. « Alors, comment vous trouvez le bâtiment ? », demande, amusé, l’huissier.

« Tu t’imagines travailler tous les jours ici, au ministère ? »

« Tu t’imagines travailler tous les jours ici, au ministère ? « , glisse Elie à Alexandre. La question est enfantine, mais ramène à une réalité sociale implacable. La reproductions sociale, ce phénomène qui veut que les enfants d’ouvriers aient plus de chances de se retrouver ouvrier que cadre, reste la règle en France. En 2003, 52 % des hommes âgés de 40 à 59 ans, fils de cadres supérieurs, étaient eux-mêmes cadres supérieurs alors que seuls 10 % des fils d’ouvriers du même âge occupaient ce statut selon l’Insee.

Le phénomène commence dès la cours de récré : en décembre 2016, l’OCDE publie son enquête Pisa, qui montre une nouvelle fois, ô surprise, que la France fait partie des pays membres où le milieu social d’origine influe le plus les résultats scolaires. Résultat : les écoles d’ingénieurs et les classes prépa comptent a peine 6 % d’enfants d’ouvriers, quand près d’un élève sur deux vient des milieux les plus favorisés. Elie veut faire partie des 6 %, voire permettre de grossir leurs rangs. Son père est mécanicien, sa mère, aide soignante. Elle vient du quartier des Sablons à Sarcelles (Val-d’Oise), un quartier réputé difficile. « C’est tranquille chez moi, il n’y a pas trop de bruit, de désordre. C’est à cause du trafic (de drogue ndlr), ils ne veulent pas faire de vague. Ça attire la police ». 

« On veut créer une culture de l’ambition, qu’ils osent demander des grandes écoles »

Assala, 17 ans, prépare son épreuve orale de Sciences Po avec les bénévoles de l’association Ambition Campus.

Ambition Campus est là pour ça. Sciences Po fait partie de ces filières d’excellence longtemps désertées par les enfants des classes populaires. Depuis 2001, et grâce à l’action de son feu directeur, Richard Descoings, l’école essaie de rattraper son retard en matière de diversité sociale  : des « conventions éducation prioritaire » signées avec 106 lycées. Leurs élèves échappent aux concours écrits et sont admissibles sur rendu d’un dossier. Pour être admis, ils doivent passer passer un oral, comme tous les autres candidats. Mais là encore, il ne suffit pas d’être talentueux et travailleur pour réussir. C’est ici qu’intervient Ambition Campus. L’association aide les lycéens à se préparer et à éviter les pièges dans ce parcours du combattant. « Il faut d’abord briser la culture de l’autocensure », explique Nassim Larfa, vice-président de l’association. Aujourd’hui étudiant en master 1 de politiques publiques, il est lui-même passé par ce programme. « Les jeunes se disent :  »Sciences Po, c’est pas pour moi ». Nous, on veut créer une culture de l’ambition, qu’ils osent demander des grandes écoles dans leurs choix d’orientation. Même si ce n’est pas Science Po. Il y a d’autres écoles ».

« En une matinée, j’ai franchi tant de barrières sociales »

« En seconde, une prof’ à moi m’a dit  »tu as vraiment le profil Sciences Po ». J’ai éclaté de rire », se souvient Assala, La lycéenne de 17 ans habite une tour de 18 étages, coincée entre le périph’, une bretelle d’autoroute, et les autres tours de sa cité, la Capsulerie, à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis. A deux pas de la capitale, la « Caps' » a fait partie des « supermarchés » du cannabis pendant des années. Le trafic y va toujours bon train. Son père est technicien des eaux, sa mère au chômage. « Je pensais que la politique, ce n’était pas pour moi. Je me disais  »jamais je ne serai ministre, pourquoi aller à Sciences Po’ ? » Sa prof lui parle des associations qui peuvent l’aider. Dans sa tête, l’idée fait son chemin. Un jour, elle décide d’aller se renseigner « sur un coup de tête », sourit-elle. « Sans association, je ne l’aurais pas fait », avoue Assala. Un élégant voile rose entoure son visage d’adolescente, maquillée, certainement bien mise pour l’occasion. Cette visite ? « Ça me donne de la force, parce que je me dis qu’en une matinée, j’ai franchi tant de barrières sociales. Si on m’avait prédit cela il y a deux ans, je n’y aurais pas cru ». Mais y croire ne suffit pas…

110 élèves inscrits dans le programme, 74 admissibles

Elie, assise, de dos, interroge Nassim Larfa et Hchem sur l’épreuve orale de Sciences Po Paris.

« L’autre fois, je fais passer un oral blanc. Je montre une caricature de Bachar Al Assad à un candidat… il ne savait pas qui il était. Devant le jury de Sciences Po, ce n’est juste pas possible ». Hchem, l’un des quatre intervenants du stage, lui aussi est passé par le programme. En ce jeudi de la fin de la mi-avril, une vingtaine d’étudiants des lycées conventionnées ont profité des vacances pour venir assister à un atelier d’Ambition Campus, dans les locaux de Sciences Po, rue Saint-Guillaume, dans le 7e arrondissement de Paris. La salle détonne avec celles et ceux qui fréquentent le quartier : colorée, des jeunes originaires de plusieurs pays différents, un petit accent banlieusard et la niaque de réussir.

« Je crois que je ne réalise pas encore »

Le thème du jour : comment réussir son oral. Tout au long de l’année, l’association propose des ateliers à thème et des stages en plus des sorties : culture générale, techniques d’entretien, bases de sciences politiques… Les 110 élèves du programme sont libres de choisir ceux auxquels ils veulent assister. « Ceux qui participent à tous les ateliers sont généralement ceux qui s’en sortent le mieux », confie Nassim Larfa. Sur les 110 élèves participants, 74 sont admissibles. Un résultat plus qu’honorable.

« Je m’appelle Assala Zouaïdia, je me présente à vous car je souhaite intégrer Sciences Po ». Voici que le chronomètre démarre en même temps qu’elle. L’exercice : se présenter et expliquer pourquoi vouloir intégrer Sciences Po en une minute. Ni plus, ni moins. Les oraux approchent. Le 31 juin, le 1er et le 2 juillet, tous ces jeunes joueront gros, leur avenir. Pourtant, Elie dit que non. Elle n’est pas stressée, malgré l’épreuve qui approche. « Mais je crois que je ne réalise pas encore », reconnaît-elle. Nous leur souhaitons de réussir, ils sont bien partis.

Alban ELKAIM

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