Dans le quartier du centre ville de Bobigny, l’ambiance semble presque résidentielle. Les fleurs colorent peu à peu le quartier et avec l’arrivée du printemps, le temps s’est adouci bercé par un soleil éclatant. Le petit square rue Lieutenant Lebrun est animé par les cris et les rires des enfants sortis profiter de leur week-end ensoleillé. Mais ce décor d’apparence paisible cache une véritable tempête. Depuis six semaines, la tour 2 est privée d’ascenseur, la tour voisine, au numéro 4 de la rue, depuis 3 mois maintenant. Et la vie devenue un enfer pour les habitants de ces deux immeubles de 10 étages.

Un ascenseur en panne depuis six semaines, un autre depuis trois mois 

Notre rencontre avec les habitants du quartier débute lundi 2 avril. « Ça fait plus d’un mois maintenant que ça dure. Quand tu rentres du boulot, tu n’as pas envie de faire une ascension de 6 étages. Du coup, nos courses, on les fait au compte goutte », nous racontent Didier et sa compagne. Pour Gandega, 41 ans, la situation est plus critique. « Je dois déménager. France Habitation m’a envoyé un recommandé m’indiquant devoir quitter les lieux incessamment sous peu mais comment faire sans ascenseur, j’habite au 5ème étage » s’exclame t-il. Tensions et ras le bol se font sentir de la part des habitants. « Pourquoi ça dure autant de temps ? On ne comprend pas ! », s’exclame l’un d’entre eux.

Une petite affiche de France Habitation informe que les réparations risquent de prendre jusqu’à 7 semaines. « Il compte nous réparer l’ascenseur quand on aura commencé le Ramadan », lâche exaspérée Yasmina qui vit au 7ème étage. Pour elle et son mari, parents de 2 enfants en bas âge, le quotidien est devenu éprouvant. La jeune femme de 36 ans nous décrit la « stratégie » mise en place avec son conjoint pour leurs courses. « Mon mari a un travail avec des horaires très variables. Alors, parfois, je dois me lever très tôt avec lui pour tout préparer. On va faire les courses, moi, je porte les enfants. On gare la voiture pas loin. Puis, pour remonter on fait ça un par un. 6 semaines que ça dure », raconte-t-elle visiblement exténuée.

Au 4ème étage, à l’entrée de l’appartement de Tounkara, un tonneau et un four. « Je dois les descendre. J’attends mes amis. Ils devaient arriver il y a 1h, je les attends toujours ». Ce papa de 46 ans vit avec ses 3 enfants et sa femme. Allongée sur le canapé du salon, on aperçoit sa fille Rokia, 10 ans, opérée le 29 mars du dos. « Elle avait un liquide au dos qui a engendré un handicap au niveau de ses jambes. Ma fille doit rester exclusivement alitée ». L’enfant doit se rendre régulièrement à l’hôpital. « Pour la déplacer, on appelle des amis ou une ambulance qui viennent la chercher directement à la maison. L’ascenseur étant en panne, elle ne peut plus s’y rendre. Depuis son opération, la petite fille ne sort plus de chez elle, et ce même pour se rendre au square« .

Opérée récemment, Rokia, 10 ans, doit normalement se rendre régulièrement à l’hôpital mais ne peut pas en raison de la panne d’ascenseur depuis un mois

Maguy, 55 ans, en fauteuil roulant, coincée chez elle depuis 3 mois

Mais ce qui choque le plus c’est la situation de cette dame en fauteuil roulant, bloquée chez elle au 9ème étage, depuis trois mois dans la deuxième tour au 4 rue Lieutenant Lebrun. Dans cet immeuble, l’ascenseur est bloqué du rez-de-chaussée au 1er étage. « Maguy, ma compagne, se déplace presque tout le temps en fauteuil roulant. C’est devenu infernal pour elle. On a eu beau contacter France Habitation, rien n’y fait » nous explique Daniel, la mine déconfite. Maguy Marlin, 55 ans, est atteinte d’une dégénérescence de la moelle osseuse. « Je suis très fatiguée. Ça fait bien longtemps que je ne peux pas sortir de chez moi. Descendre un étage, c’est pas sorcier me diriez-vous. Mais qui portera mon fauteuil roulant ? Celui-ci est trop lourd pour moi. Je me sens impuissante face à cette situation. On a l’impression de ne pouvoir compter sur personne », souffle t-elle très épuisée. Maguy a dû repousser tous ses rendez-vous médicaux à cause de cette panne.

On a dû abandonner le fauteuil roulant. Ma fille s’est retrouvée sans fauteuil roulant à l’école

Dans cette même tour, même si ce n’est qu’un étage à monter avant de reprendre l’ascenseur, pour beaucoup cette quinzaine de marches relève d’une épreuve. Au 8ème étage, nous discutons longuement avec une maman de 3 enfants. Elle nous confie que sa fillette de 10 ans est atteinte d’une diplégie spastique, une paralysie cérébrale infantile qui l’handicape pour marcher. « En décembre quand l’ascenseur ne marchait pas, on devait sortir 15 minutes plus tôt. Ma fille prend plus de temps qu’un enfant normal. Et moi, je devais porter à bout de bras son fauteuil roulant et son sac à dos. Ça devenait trop. On a dû abandonner le fauteuil roulant. Ma fille s’est retrouvée sans fauteuil roulant à l’école« .

Au 8ème étage de la tour au numéro 4 de la rue vit cette fillette de 10 ans, atteinte d’une diplégie spastique, une paralysie cérébrale infantile

Des problèmes récurrents

Les problèmes d’ascenseurs ne sont pas nouveaux pour ces locataires. Des incidents ont déjà été observés par le passé. « Par moment, l’ascenseur faisait des bruits inquiétants et bougeait beaucoup trop », dit Laura 38 ans résidente au 8ème étage. « Je ne comprends pas. On paye notre loyer dans les temps, un loyer en plus de ça très élevé. On n’embête personne. Et quand on demande des explications personnes ne nous répond », peste Tounkara. Même son de cloche de la part de Yasmina. « Quand c’est moi qui tente de le contacter par recommandés, je n’ai aucune réponse. Des courriers, j’en envoie à la pelle. Tout ça me prend du temps et de l’argent. »

Les locataires sont prélevés de 8,25 euros de charges mensuelles pour l’ascenseur

Contacté le responsable de la communication de France Habitation, François Levèvre, indiquant en début de semaine « ne pas être au courant » de la situation de ces tours privées d’ascenseurs à Bobigny. « Vous savez je ne suis pas un homme de terrain », précise-t-il. Le responsable communication nous informe que mercredi 4 avril au matin, un technicien est venu effectuer une manœuvre sur les ascenseurs défectueux mais que le véhicule de ce dernier aurait été vandalisé. Et d’ajouter : « Vous comprenez pourquoi c’est parfois long et compliqué. Quand nos partenaires ne peuvent pas travailler dans de bonnes conditions, la situation dure. » Pourtant, du côté des résidents aucun ne confirme ce fait. « C’est faux. Il n’y a eu aucun acte de vandalisme. Moi, ma voiture cela fait 2 ans que je le gare dans cette rue, il ne s’est jamais rien passé. France Habitation et KONE ont même une place de parking qui leur est destinée », nous confie, étonné, Kheireddine. « Vous le voyez par vous même, le quartier est très tranquille. Il y a jamais eu ce genre de chose, encore moins cette semaine« , avance Jean-Noël, 36 ans, un autre locataire. 

Service de portage pas satisfaisant pour les habitants

Qu’en est-il du service de portage ? Sur la première tour, une affiche indique « service de portage de 10h à 12h et de 16h à 18h », confirmant ce que France Habitation nous a indiqué par téléphone. Qu’en est-il réellement ? Pour les habitants, le service est loin d’être satisfaisant. « Assis sur sa chaise, on ne devine même pas que le monsieur est là pour nous aider. Écouteurs et portable en main, il ne se présente pas systématiquement », confesse un des résidents en parlant de ce fameux porteur. « Il a l’air âgé. C’est plutôt lui qu’on a envie d’aider », répond Kheireddine d’un ton sarcastique. 

Il est 16h30, nous sommes dans le hall de l’immeuble de la tour 2 mais personne à l’horizon. Pas de service de portage, pas d’homme assis sur la chaise. Dans la tour voisine, le service de portage a été retiré depuis que l’ascenseur marche à partir du 1er étage. Une habitante de la tour s’indigne. « Le service de portage n’est mis en place qu’en semaine et se termine à 18h. Quand on rentre du boulot à 19h, les mains chargées de courses c’est pareil. Puis le week-end tout le monde se débrouille alors que c’est à ce moment que les familles font leurs courses ».

Les habitants nous font comprendre que leur lutte semble vaine et n’acceptent pas le fait de devoir se battre aussi longtemps pour une chose qu’ils leur est due. « Quand on rentre chez soi, ça doit être notre cocon. Pas la source de nos inquiétudes », lâche une résidente. 

Ferial LATRECHE

Crédit photo : Sara SAINZ-PARDO

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