Anne-Cécile a laissé traîner ses oreilles et son crayon dans les couloirs de la fac, à Paris 8. Elle a surpris un échange sur la prostitution. Le débat actuellement engagé sur la pénalisation du client, sort, selon les étudiants de la sphère féministe.

16h00, l’heure du goûter. L’heure terrible à Paris 8. La bibliothèque est blindée, mon estomac crie à l’injustice et mon cours de chinois ne commence que dans une heure. Mais à Paris 8, dans le bâtiment A, 16h00, c’est l’heure à laquelle on peut discuter avec des étudiants et des étudiantes de tous les cursus, de toutes les nationalités, de tous les âges. Et ce lundi, les remarques fusent avec une énergie féroce. Au grand dam des salles de classes avoisinantes, les réflexions se multiplient, le ton monte, les divergences éclatent, la tension est palpable. Mais c’est compréhensible. Ce lundi, on parle de prostitution.

«Pour moi, il y a un vrai problème d’éducation ! Ce n’est pas normal qu’on associe toujours la prostitution aux femmes ! », Anthony, 22 ans, étudiant en cinéma, plante le décor. « Franchement, il y a aussi plein de gigolos ! On n’y pense pas spontanément, mais ils existent aussi ! » poursuit-il, « on a tellement d’idées toutes faites ! » Karim 21 ans complète : « les gigolos, moi je pense que c’est pour les homosexuels qui ont du mal à assumer! »

En filigrane, une question se pose pourtant : pourquoi y a-t-il dans les faits plus de prostitution féminine ? L’explication serait-elle à trouver, entre offre et demande, dans l’ordre du marché ? Pour Paul, 25 ans, la réponse est en partie liée à l’existence d’une certaine pression qui pèse aujourd’hui sur les hommes. « C’est n’importe quoi de penser que ceux qui vont voir une prostituée attendent toujours plus de choses d’elle que de leur copine ! » explique-t-il, « il faut regarder la mise en scène de l’homme dans les films pornos ! Ceux qui vont voir une prostituée, c’est surtout parce qu’ils savent qu’ils n’auront pas sur les épaules cette obsession de la performance ! ». Paul évoque la campagne de communication à propos des troubles de l’éjaculation précoce, qu’il trouve « super stigmatisante ». Maëlle, 20 ans, objecte : « à mon avis, c’est aussi lié d’un côté à l’idée qu’on a l’impression qu’on peut se sortir de la misère avec ce milieu et aussi c’est parce que chez les femmes, le désir c’est un peu plus tabou, on peut pas l’extérioriser aussi clairement que les hommes ! »

Par ailleurs, pour beaucoup, la prostitution amène à la problématique du viol. « Je trouve que c’est complètement hors sujet, ils croient vraiment que réglementer la prostitution pourrait permettre de diminuer le nombre de viol ? » Cette fois c’est Rafaela qui s’exprime, 24 ans, en dernière année de Sciences politiques. « C’est encore une manière de donner raison à ceux qui pensent que si tu fais violer, c’est de ta faute ! » proteste-t-elle.

Dans ce contexte, la réouverture des maisons closes pourrait-elle être une solution ? Les avis sont partagés. Pour Maxime : « il faudrait rouvrir les maisons closes et les faire fonctionner sur un modèle allemand et pas comme au 19e siècle… c’est une question d’hygiène et de confort ! » Pour Lola au contraire : « ça ne ferait que banaliser des situations qui sont parfois hyper grave » où les femmes « tombent dans un cercle vicieux de dépendance et ont du mal à s’en sortir ! ».

En tout état de cause, il semble primordial de réglementer la prostitution. « C’est super important d’éviter que les réseaux de proxénètes puissent exister impunément » explique Thomas, 22 ans. Il poursuit : « en plus, pour certains aujourd’hui, si tu payes, t’as tous les droits ! » Pour Thomas ou pour Lola, tous les deux étudiants en langues : « c’est grave parce que souvent, la prostitution est vraiment subie ».

Et pour eux, le problème, c’est que cette prostitution majoritairement féminine nous ramène au débat sur l’égalité homme femme. « Moi j’ai l’impression que quoi qu’on fasse, on est un peu coincés… Si on réglemente, les prostituées feront un métier comme un autre et par connotation, ça aura un impact sur le respect que les hommes ont pour leur femme ou pour leur copine et sur ce qu’ils attendent d’elles. Et si on ne réglemente pas, les réseaux de proxénètes vont se développer et la situation des prostituées sera encore pire qu’aujourd’hui, alors que l’égalité homme femme devrait aussi supposer une égalité face au respect ! » déplore Lola.

Thomas reprend un peu écoeuré « C’est sûr, c’est horrible, le corps des femmes devient une marchandise ou un objet, mais à mon avis on ne pourra jamais empêcher les proxénètes de constituer un réseau de prostituées… » Thomas évoque ainsi l’exemple de la traite des blanches et de la situation économique de certains pays de l’Est en expliquant que « l’envie de se sortir de la misère est trop forte ».

N’en déplaise à certains de nos intellectuels dont les propos dégoulinent régulièrement dans les médias, la prostitution, loin d’être un sujet proprement féministe ou antiféministe, est « une problématique majeure » à laquelle il s’agit de réfléchir, « d’autant plus dans un monde où les logiques néolibérales dominent » conclut Thomas.

Anne-Cécile Demulsant

 

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