Tour à tour, les jeunes prennent possession de la scène. Une scène qui fait penser à un ring. Authenticité, rimes, anaphores, variations de rythmes et de tonalités, chant… Chacun a son style certes, mais tous se sont battus comme des lions et surtout, tous ont réussi à se connecter au public. Public attentif et réceptif. Le brouhaha spécifique aux bars s’éteint à chacune des prestations.

C’est au Social bar, à Saint-Ouen-sur-Seine, que nous rencontrons une première fois les candidates et candidats d’Eloquentia. Ce concours national met à l’honneur l’éloquence et élit chaque année un champion ou une championne de cet art oratoire. Nous avons rencontré cinq jeunes talents de Seine-Saint-Denis. Manuella et Yanis sont aujourd’hui qualifiés pour les demi-finales. Entretiens. 

Mama, 18 ans, étudiante en classes préparatoires économiques et commerciales aux grandes écoles.

L’éloquence ? « Avant d’être l’art de parler, c’est l’art d’être. C’est-à-dire que sur scène, la première chose qu’on verra de vous, c’est vous et votre prestance. L’image que vous donnez aux gens, c’est vraiment ce qu’ils vont garder après la prestation, ce ne sont pas vos paroles parce que les paroles, ça va super vite. Jouer, c’est bien, mais être soi, c’est toujours mieux. »

Mama a découvert l’éloquence lors d’un atelier d’art oratoire au lycée. Elle s’est ensuite exercée lors de concours d’éloquence à l’Assemblée Nationale, au Sénat et à HEC. Travailler son éloquence lui a permis de gagner en confiance : « Quand je suis sur scène, plus rien qui ne peut m’atteindre et quand je redescends, je suis terrifiée, j’ai les mains qui tremblent. Même si vous êtes traumatisé, personne ne le saura si vous souriez. »

Yanis, 26 ans, diplômé d’un master 2 en commerce international, actuellement, support commercial.

L’éloquence ? « Plus que le fait de bien savoir s’exprimer à l’oral, c’est surtout le texte. On dit que les écrits restent et les paroles s’envolent. Bien que pour l’éloquence, les paroles restent, pour moi, l’éloquence, c’est transmettre des émotions, des idées, des points de vue. »

L’éloquence est un moyen d’expression pour Yanis. « Il y a beaucoup de choses que je garde à l’intérieur de moi et que je n’ai pas forcément l’opportunité d’exprimer. Je profite alors de l’écriture et de passer à l’oral devant un jury pour exprimer ces idées que je n’ai pas souvent l’habitude de sortir. »

Écrire est une passion pour Yanis. Ses textes mélodieux empreints de rimes et de poésie se rapprochent du slam. Participer à ce genre d’évènements permet à Yanis de mieux s’exprimer devant une assemblée. Timide et discret, il régule son stress lors des prises de parole en public.

Roua, 20 ans, étudiante en L1 Droit accès Santé.

L’éloquence ? « Pouvoir mettre des mots sur ce qu’on ressent. Plus je grandis, plus j’essaie de le faire. Quand j’étais petite, ma mère m’a carrément emmenée chez un psychologue parce qu’elle trouvait que je ne parlais pas. J’étais trop timide et sage à son goût et c’est à partir du collège que mon énergie a éclaté. L’éloquence, pour moi, c’est de l’énergie à sortir et à dégager. »

Roua souhaite progresser en régulant ses variations de tonalités lorsqu’elle prend la parole. Aussi, Roua était de nature très sensible. Les larmes longtemps étaient son moyen d’expression. Aujourd’hui, elle souhaiterait que ce soit les mots.

Mathias, 22 ans, étudiant en Master recherche histoire.

L’éloquence ? « Ce serait la façon dont on est capable de faire vivre un texte, qu’il soit écrit ou pas d’ailleurs. C’est une façon de faire vivre un texte et de le mettre en valeur. Il y a une forme d’art dans l’éloquence. Il me semble d’ailleurs que, si le cinéma est le septième art, la rhétorique, c’est le premier des arts. »

Mathias s’adonne à l’éloquence car « depuis tout petit, j’adore regarder des gens qui parlent, qui sont à l’aise à l’oral et qui sont capables de vous convaincre en une fraction de seconde. En une phrase, vous êtes emportés ! »

Mathias a aussi des ambitions politiques et vise l’Assemblée Nationale. « Je sens que c’est quelque chose qui bout en moi et que j’ai envie de parler, de m’exprimer le plus possible. C’est pour ça que je me suis lancé dans l’aventure. »

L’année dernière, Mathias a suivi la formation proposée par Eloquentia Saint-Denis, ce qui lui a apporté « tellement de choses. » 

« La formation est géniale. Concrètement, ça apporte une certaine confiance en soi parce que la formation est vraiment axée sur la sincérité, savoir s’exprimer et surtout parler de ce que l’on maîtrise le mieux, c’est-à-dire soi. Aussi, elle donne des clés pour être plus à l’aise et pour faire passer ses messages, ses convictions d’une manière peut-être plus subtile. Cela passe par le langage du corps, par la poésie, par tout un tas de systèmes, qui, finalement, renforce les mots. »

Manuella, 20 ans, étudiante en troisième année, management et gestion des entreprises.

L’éloquence ? « C’est l’avenir ! »

Pour cette étudiante, l’éloquence est un moyen de parler de ce qui reste encore tabou et de faire bouger les choses. « Si l’éloquence est un art, il faut que les arts subliment les consciences en apportant des solutions concrètes. »

« Il faut savoir que j’étais très très timide, quand je dis très timide, c’est que je pleurais quand je parlais devant les gens », confie Manuella.

« Je me suis dit : je veux avoir confiance en moi, je veux servir à quelque chose, je veux que ma voix et ma vie comptent, donc je me suis lancée. Ça m’a redonné confiance en moi. Aujourd’hui, je suis une femme qui s’assume et qui sait qu’elle a beaucoup de choses à apporter, que ce soit à la société, mais également à son entourage. »

Malia, 32 ans, juriste, présidente de l’association Eloquentia Saint-Denis.

« Eloquentia est une association nationale qui organise le plus grand concours d’« éloquence » de France et même d’Europe. Éloquence entre guillemets car c’est surtout une prise de parole, on ne veut pas enfermer les candidats dans des consignes beaucoup trop strictes. Au contraire, on appelle à la créativité et à l’originalité. Ils sont vraiment libres de déclamer comme ils veulent », présente Malia.

L’éloquence ? « C’est mettre une voix sur l’écriture. On a toujours fait un clivage entre l’écriture et la prise de parole alors qu’il faut trouver l’équilibre entre l’oralité et l’écrit. »

Malia a bénéficié de la formation Eloquentia en 2020 et a terminé deuxième finaliste du concours. Ce cursus lui a énormément apporté : « Déjà, j’étais quelqu’un de très très timide, prendre la parole, ça ne m’intéressait même pas. Mais je savais que j’avais beaucoup de freins et je me disais que ça pourrait m’aider au moins à les lever. C’était plus un challenge pour moi. Surtout, j’avais vu le film « à voix haute », que je conseille à quiconque a des doutes sur la portée que peut avoir Eloquentia. »

« La formation Eloquentia m’a vraiment changée. Je ne pourrais pas dire que je suis à cent pour cent à l’aise quand je prends la parole, mais en tout cas, j’ai pu acquérir beaucoup plus d’aisance et de confiance. Surtout, je me suis rendue compte que ça faisait un bien fou de parler ! Exprimer une émotion, une pensée, peu importe. C’est libérateur en fait. »

Zineb SAÏD

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