Défini comme un concept contemporain, la « minorité visible », expression indéfinie, floue, et paradoxalement diverse, prend le pas à une minorité visible représentée par ces voix qui se sont élevées pour dénoncer un manque manifeste de personnes de tout horizon dans des secteurs d’activité clés tels que les médias, la représentation politique, la publicité… Quel bel oxymore!
Deux termes en apparence contradictoires se veulent être le relais d’une politique en faveur des immigrés non européens, des personnes nées dans les départements et régions d’Outre-Mer et de leur progéniture. Sont communément désignés par cette expression aux confins du péjoratif : les Africains, les Arabo-berbères, les Asiatiques, les Indo-pakistanais ou encore les métis et leurs enfants. En effet, une étude établie par Yazid Sabeg et Laurence Méhaignerie, Les oubliés de l’égalité des chances, en 2004, dénombrait la « minorité visible » entre 8 à 9 millions d’individus. Pourquoi éprouver une telle nécessité de classifier pour imposer ce fait aujourd’hui incontestable : une scission au sein de notre société ?
De « la minorité visible » à la fracture socio-économique
L’emploi encore persistant de cette expression surannée et controversée, ne rend guère compte d’une fracture sociale dont le corollaire est aussi une crise financière suivie d’une crise économique non élucidée, irrésolue. Boutade ! Les chiffres ne trompent point.Et une boutade fait son entrée en grande pompe sur le devant de la scène politique. Qu’à cela ne tienne ! Certains médias et des politiques agitent de manière incommensurable leur longue litanie au sujet des minorités visibles impliqués dans les émeutes de 2005 voire au sujet de la criminalité et de la délinquance jusqu’à aujourd’hui. Ils brassent leur nombre pour les pointer du doigt et pour en faire le mal du siècle de notre société occidentale. Quelle est la face cachée de cette « minorité visible » ?
Elle est dévoilée au grand jour paradoxalement par ces discours de politiques qui encensent la présence minoritaire de ministres. Ces derniers représentent ce concept presque irréel au cœur d’une « discrimination positive » haïe et menée sous la présidence de N.Sarkozy. Or 8 à 9 millions d’individus ce n’est pas une minorité mais une diversité. Puis, entre-temps, cette diversité s’est accrue depuis 2004. Quelques médias non timorés et certains politiques osent évoquer le multiculturalisme au cœur de notre République laïque, de notre démocratie et de notre société. D’autres s’insurgent contre ce nouveau concept de multiculturalisme vu sans analyse objective et sans point de vue impartial comme un nouvel envahisseur pris dans les ressacs violents de l’Histoire contemporaine de notre pays marqué dans sa chair et dans son sang par les attentats terroristes.
A l’instar du poète Alfred de Musset et à contre-courant de son titre évoqué par anachronisme, les enfants d’un siècle sont pris dans le tourment de cette « minorité visible » décriée, huée au grand dam de leur énergie citoyenne et républicaine, de leur pragmatisme et de leur volonté à changer positivement la société. Ils y vivent dans le but de déconstruire les préjugés. Ces idées toutes faites sont à l’origine d’un mythe : ceux issus de cette « minorité visible » sont soit rappeurs soit footballeurs soit délinquants. Cependant nombreux sont celles et ceux qui réussissent dans le monde médical, paramédical, managérial, informatique, enseignant, médiatique … Cette réalité est sciemment occultée pour servir une « classification sociale » qui renforce cette idée de communautarisme. Toutefois le communautarisme dessert parfois dans ses excès notre nation qui se veut, dans son essence, une et indivisible.
Les pages de l’histoire de France, de notre histoire commune, s’écrivent, se tournent au détour d’une rhétorique belliqueuse relayée par l’exécutif, par le gouvernement, par les médias, par les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux enflent cette rhétorique de manière virulente. Certains emploient à nouveau et sans gêne, sans complexe, une terminologie spécifique à la dictature nazie à l’encontre de cette « minorité visible ». Cette  « minorité » est la source des maux d’une partie de la population qui adhère pleinement et consent à prêter allégeance à l’extrême-droite. Cette extrême-droite rend ses adhérents vassaux d’un système incapable de se renouveler. Son système décline et égrène, à perte, les discours passés et passéistes, négationnistes, antisémites, racistes du fondateur de l’extrême-droite. Enfin cette dernière est connue encore pour sa conception manichéenne de notre société et du monde, conception à la source du refus et du rejet de l’autre, de l’altérité et de leurs richesses insoupçonnées.
De l’étiquette de « minorité visible » au concept de diversité visible
Comment inciter les politiques et nos concitoyens à abandonner cette expression de « minorité visible » pour le concept de diversité visible ? Dans le morphème diversité, sont accolés le préfixe latin « di » qui signifie deux et une forme issue du supin « versus » qui provient du verbe, vertere -tourner- en latin. La symbolique est essentielle grâce à l’étymologie : une société commence à deux et cette société « tourne », autrement dit elle s’agrandit grâce aux brassages de population au fil des siècles et de l’histoire de la France. Cette diversité évoque un autre terme : « anniversaire » qui étymologiquement signifie « une année tourne ». Quand une « année tourne », une société « tourne » : elle change. Tourner peut être conçu comme un changement.
Et il s’avère nécessaire et primordial que notre rhétorique et que notre langage s’enrichissent indéfiniment de l’expérience des uns et des autres. Faire abstraction de la dimension empirique est une erreur. Car les mots, les expressions s’emploient après avoir été inscrits dans un pan de notre histoire commune qui ne cesse d’être en marche au passé, au présent et dans l’avenir. Le terme diversité traduit mieux ces changements positifs ou négatifs ou stables selon le contexte socio-économique et culturel dont est issu chaque individu. Et le concept de diversité visible est le mieux approprié pour apaiser les consciences. En effet, ces dernières veulent s’affranchir de cette expression de « minorité visible », ô combien douteuse et controversée.
Elle n’a plus lieu d’être utilisée en vue de construire le vivre-ensemble au sein de notre société, notre vivre-ensemble pour souder notre nation. Pour parodier Jean-Paul Sartre, l’existence de notre société dans sa diversité précède son essence : une nation, une et indivisible. Refuser de l’admettre signifie entretenir une pléthore de préjugés contre lesquels lutter s’avère indispensable. Ainsi il est possible d’ atteindre le progrès et le bonheur -collectif- tant défendus par les philosophes des Lumières, tant chéris par la Révolution de 1789 et par les Républiques successives. Nourrir un projet pérenne dans une conscience collective et partagée, fédérera, unira notre société : les mots se meuvent grâce au progrès et au bonheur auxquels une nation aspire.
Ouafia Djebien
Illustration : peinture d’Elodie Barthelemy

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